Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.
La démographie mondiale est donc chancelante. Parler encore de risque de surpopulation ou de démographie galopante est pour le moins faux, pour ne pas dire irresponsable. Car une fois que la décroissance démographique s'enclenche, elle risque de ne plus trouver de limites. Pour l'instant, l'expérience montre qu'on ne refranchit plus la limite des deux enfants par femme une fois qu'on est tombé en dessous. Il faut espérer que les nations reviennent un jour à l'équilibre, mais pour l'instant on n'a pas d'exemple d'un véritable redressement. Le délire malthusien sur la nécessité de la réduction de la population mondiale est un anachronisme. Cela pouvait à la limite être théoriquement acceptable en 1960, mais cela n'a plus aucun sens aujourd’hui. Il est d'ailleurs très probable que l'humanité n’atteigne même jamais les 9 milliards d'habitants et encore moins les 10 milliards avant de rapidement décroître. Et le redressement n'est pas à l'heure actuelle imaginable. La France qui est en proie au déclin démographique depuis deux siècles n'en est, par exemple, toujours pas sortie. C'est d'autant plus vrai que nos élites ont volontairement saboté les politiques familiales qui avaient permis une amélioration après guerre. Le denier coup a été donné par François Hollande avec sa réforme des allocations familiales. Une étude récente a montré que cette politique avait clairement cassé la dynamique démographique française. Rappelons que l'actuel président de la République est co-responsable de cette situation puisqu'il était ministre de l'Économie de François Hollande, et qu'il n'a toujours rien fait pour revenir sur ces réformes.
Quoiqu'il en soit nous, devons essayer de voir quelles sont les origines de cette baisse de la natalité. Après tout on ne peut pas résoudre un problème si l'on n'en connaît pas la cause. Mettons-nous tout de même d'accord au préalable, il est bien évident que la natalité allait baisser avec la baisse de la mortalité infantile. Et heureusement d'ailleurs, personne ne souhaite, je pense, une planète à 50 milliards d'êtres humains ou plus. Si les gens avaient autant d'enfants avant c'est qu'il y avait malheureusement peu d'enfants qui parvenaient à l'âge adulte. Pour vous donner une idée, un enfant sur quatre mourrait avant un an au moyen-âge, et à peine plus d'un enfant sur deux atteignait l'âge de dix ans. Et l'on ne parlera même pas de la mortalité des femmes en couche. Avoir beaucoup d'enfants dès le jeune âge était donc la seule méthode permettant d'avoir une descendance atteignant l'âge adulte. Aujourd’hui, il est bien évident que la très faible mortalité infantile rend la nécessité d'avoir autant d'enfants bien plus faibles. Cependant, cela n'explique pas pourquoi la natalité descend en dessous voir très en dessous des deux enfants par femme dans de plus en plus de pays. Particulièrement dans des pays où théoriquement tout va bien. Que ce soit sur le plan économique ou politique à l'image de la Corée du Sud ou de la Suisse.
Les diverses hypothèses
On pourrait arguer ici l'effondrement religieux comme source du problème. La modernité a tué Dieu et la religion, elle a cassé la transcendance et donc les gens sont devenus individualistes et n'ont plus d'enfants. C'est un argument qu'on retrouve très souvent, mais qui en réalité n'explique rien. Comme c'est souvent le cas avec les explications morales. Tout d'abord comme je l'ai dit précédemment, un simple coup d’œil aux statistiques par pays montre que l'effondrement de la religion ou de la transcendance ne marche pas. Il sera difficile de décrire par exemple l'Iran comme un pays totalement voué à la modernité libérale ou athée. Et pourtant la fécondité locale est au même niveau que celui de la France laïque. Même chose avec un pays comme la Pologne ou la Russie. Ces nations restent très attachées à la tradition, en particulier la Russie qui rejette assez largement le modèle « occidental ». Pourtant la natalité est très faible dans ces deux pays, ils conjuguent églises pleines et berceaux vides. Et pour rajouter un peu plus de certitude sur la question, parlons d'un pays que j'aime bien, le Bhoutan. Un tout petit pays perdu dans l'Himalaya. Aux frontières de l'Inde, et de la Chine et pas très loin du Népal. C'est un pays emblématique du rejet de la modernité, ils ont même rejeté la notion de PIB pour lui préférer la notion de BNB (bonheur national brut).
Cette nation est très traditionaliste, à tel point que la télévision était interdite jusqu'en 1999. La religion est omniprésente essentiellement du bouddhisme vajrayāna . Et bien le Bhoutan, ce rêve traditionaliste et conservateur, est tombé à 1,4 enfant par femme en 2021. Vous voyez ici que l'explication passant par l'idée que la population a cessé de croire dans la religion, ou la perte des traditions qui serait à l'origine du problème est invalide. On pourrait multiplier les exemples, mais l'explication est probablement ailleurs que dans la pratique religieuse ou la question de la tradition. Alors bien évidemment les démographes ont déjà réfléchi à ces questions. Mais je ne crois pas qu'on ait réellement de réponse absolue. Le premier facteur qui peut venir à l'esprit est bien évidemment la concentration urbaine. Les populations ont tendance à vivre de plus en plus dans les villes. Or le coût de la vie étant plus élevé et le prix du mètre carré plus contraignant, les gens auraient tendance à faire de plus petites familles. Et l'on constate qu'effectivement la tendance est à une plus faible fécondité en ville qu'à la campagne. Même dans des pays avancés comme le Japon, la différence entre les grandes villes et la campagne est une réalité.
Cependant s'il est possible que cela explique en partie la baisse de la fécondité. On pourrait tout autant dire que la baisse de la fécondité part des villes et s'étend ensuite dans les campagnes. En Inde par exemple on voit clairement la baisse de la fécondité partir des grandes villes puis s'étendre dans les campagnes. À tel point qu'on peut dire que les villes constituent une vue de l'avenir de la natalité générale d'un pays. Et si dans des pays comme le Japon la fécondité est plus faible à Tokyo qu'ailleurs, en France, la baisse de la natalité a été plus faible dans les métropoles que dans les campagnes récemment, si l'on se fit à cette étude de l'INSEE. D'ailleurs en parlant de notre cher pays, la baisse de la fécondité nationale a précédé en grande partie l'urbanisation et la concentration des populations dans les grandes villes. Une concentration qui a accompagné la modernisation du pays. Comme quoi si ce facteur doit jouer, il est difficile à interpréter et il dépend probablement fortement des conditions économiques locales. La paupérisation des villes moyennes et de la France périphérique explique probablement en partie pourquoi la natalité a plus baissé dans ces lieux que dans les métropoles. Un phénomène qui n'existe peut-être pas sous cette forme au Japon.
Comme nous avons parlé brièvement de la question de l'urbanisation, passons à la question économique. On a longtemps associé à tort baisse de la natalité et processus d'enrichissement. À gauche en particulier on a vu longtemps cette idée qu'un pays pauvre faisait nécessairement des enfants alors qu'un riche en faisait peu. On va être clair, cela n'a simplement aucun rapport direct. On a aujourd'hui des pays pauvres à faible fécondité. Et des pays riches avec des natalités encore assez fortes, comme les pays du Golfe. Cependant, comme je l'ai déjà dit dans mon texte sur le lien entre la démographie et l'économie, la transition démographique facilite le développement économique. Pendant une période importante, les actifs deviennent beaucoup plus nombreux que les inactifs. Cela permet donc de faire une forte croissance économique pendant 40 ans environ, avant d'être rattrapé par le vieillissement induit par la baisse de la fécondité à long terme. Certains pays en profitent pour se développer, d'autres non. Mais c'est dans ce sens qu'il faut comprendre le lien entre la richesse et la démographie.
Les modes de vie modernes ont-ils un impact sur la fécondité ? Comme je l'ai dit précédemment, certains pays restés traditionnels ont une fécondité très basse donc cela veut dire que ce facteur n'est pas déterminant contrairement à ce que l'on pourrait croire au premier abord. Il est cependant vrai que le rapport des populations à la famille peut jouer. On prendra deux exemples extrêmes pour s'en convaincre la France et le Japon. En France la famille traditionnelle a implosé depuis les années 70. Aujourd'hui, la majorité des naissances ont lieu hors mariage. Au Japon, c'est tout simplement inimaginable et cela concerne seulement 2,4% des familles. Cette différence peut être expliquée par la différence de structure familiale. Selon la conception toddienne, le Japon est un pays de famille souche, la France, un pays de famille nucléaire égalitaire. La France a donc un rapport moins rigide à l'organisation familiale et accepte mieux la recomposition. Le statut des femmes étant plus élevé en France à cause de cette différence anthropologique, la France s'adapte mieux aux changements liés à l'arrivée des femmes sur le marché de l'emploi. Au Japon, un peu comme en Allemagne qui a les mêmes structures familiales, la femme qui travaille est en quelque sorte un homme sociologiquement. Et une femme qui a des enfants doit absolument se concentrer sur sa famille et abandonner son travail. Ce choix cornélien joue contre la natalité dans ces pays et rend l'adaptation au changement du statut des femmes plus difficile.
Cependant dans le cadre français il est indéniable que les questions économiques jouent aussi. La fécondité de la population est très largement structurée autour du revenu comme le montre ce graphique que j'avais déjà utilisé, mais qui est passablement clair sur la question. Cependant encore une fois ce qui est vrai en France ne le sera pas forcément ailleurs. Nous pouvons aussi parler de l'hypergamie féminine et de la hausse du niveau scolaire des femmes qui induit une sélectivité vis-à-vis des hommes de plus en plus importante. En effet, les femmes dans nos pays faisant maintenant plus d'études que les hommes auront statistiquement moins de choix pour leurs partenaires potentiels. L'hypergamie obligeant les femmes à choisir les hommes au statut social aussi élevé ou plus élevé qu'elle fait qu'elles auront de moins en moins de choix en réalité. De fait, la hausse de l'éducation des femmes est l'un des facteurs prépondérants pour les démographes expliquant la chute de la natalité. Non seulement parce que les femmes retardent de plus en plus l'âge du premier enfant à cause des contraintes éducatives et de la nécessité de s'insérer dans la vie active. Mais aussi à cause du facteur d'hypergamie qui rend la recherche d'un partenaire potentiel de plus en plus difficile. L'on pourrait ici arguer que l'hypergamie finira par disparaître pour des raisons pratiques, mais rien n'est certain en la matière. Certains auteurs affirment que la France connaît un déclin de l'hypergamie féminine, mais les hommes en moyenne dans les couples continuent de gagner plus que leurs femmes. Et le taux de célibat chez les hommes reste inversement proportionnel aux revenus. Peut-être que ce changement se fait, mais il est probablement assez lent.
La rationalisation de la reproduction
Si tous ces facteurs jouent probablement, le facteur essentiel à mes yeux est simplement le passage à une société humaine soumise à des aléas naturels et à ses pulsions, à une société entièrement autodomestiquée. Car l'être humain est une espèce qui s'est autodomestiquée, en quelque sorte. Nous avons convenu depuis que la civilisation est née qu'il était potentiellement plus intéressant d'abandonner certaines libertés pour vivre en groupe, car le groupe était plus efficace pour faire face aux aléas naturels et à la survie. De fait petit à petit, de nombreuses règles et habitudes ont façonné l'organisation humaine pour permettre au groupe de survivre à long terme. Cependant, il y avait des choses qui sont longtemps restées l'apanage de l'individu, de la famille et de la nature. L'éducation des enfants reste globalement le fait parental, l'école n'étant là que pour instruire (enfin cela devrait être son rôle). Et le fait de fonder un couple et une famille reste là aussi la prérogative des individus même s'il existe des pressions sociales dans certaines sociétés. Par contre, le fait d'avoir des enfants était jusqu'à la pilule et à la contraception moderne très sujet à l'influence de mère Nature si je puis dire. Même en faisant attention, on pouvait très bien avoir des enfants sans le souhaiter et quand on en avait on faisait avec si je puis dire.
Là est la grande rupture anthropologique de notre temps. Nous sommes passés au stade terminal de l'autodomestication et aucune civilisation avant la nôtre n'avait connu ça. La rationalisation des naissances nous a fait entrer dans un autre monde et il nous faut en réalité inventer une nouvelle façon d'organiser la société pour que ce changement ne soit pas fatal. La France avait déjà fait un effort dans ce sens après la Seconde Guerre mondiale. Notre système de politique familiale aujourd'hui à l'abandon doit probablement être repensé. Mais il préfigure l'inéluctable orientation des sociétés voulant survivre à ce changement anthropologique majeur. Les familles doivent être rassurées, elles doivent avoir confiance en l'avenir et pouvoir se projeter dans un monde stable si l'on veut que les gens aient des enfants. Le rôle de l'état et des collectivités seront essentiels à l'avenir sur ce sujet.