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1 décembre 2023 5 01 /12 /décembre /2023 14:56

 

Une triste information vient de nous parvenir, non, je ne parle pas de la mort de Henry Kissinger, qui a probablement rejoint Adolf et Thatcher en enfer, enfin si l'enfer existe bien sûr. Je parle de la fécondité sud-coréenne. En effet, ce pays qui est aujourd'hui le moins fécond sur terre vient à nouveau de connaître une chute de la natalité. Celle-ci atteint désormais le niveau dramatiquement bas de 0,7 enfant par femme. L'historien Pierre Chaunu avait dit en plaisantant dans l'un de ses derniers livres consacrés à la démographie qu'il y avait de la place entre 0 et 1 pour la basse fécondité, il ne croyait pas si bien dire. En 2003 quand il a écrit son essai, aucun pays au monde n'était encore en dessous d’un enfant par femme et maintenant nous y sommes. Alors j'ai déjà longuement écrit sur les questions démographiques sur son lien très important et trop souvent ignorer avec la dynamique économique. J'ai également fait un petit historique du déclin français essentiellement lié à notre incapacité depuis deux siècles à faire suffisamment d'enfants. Un déclin démographique qui a produit l'abaissement formidable du poids de la France en Europe et dans le monde.

 

 

Dans un texte sur l'Inde, nous avons vu aussi brièvement l'évolution démographique de ce pays et la vitesse à laquelle la population va vieillir, ce qui pour l'instant favorise le développement et la croissance. Mais nous n'avons pas encore vraiment abordé la question du pourquoi. Pourquoi la natalité atteint-elle des niveaux aussi dramatiquement bas. Les idées reçues sur le sujet sont multiples. À droite cela va parler uniquement d'un effondrement de la religion, d'une société mortifère qui ne donne plus envie de faire des enfants. On ressort les ritournelles habituelles de l'absence de transcendance, ce genre de chose. À gauche on se focalisera surtout sur les questions économiques. Mais comme nous allons le voir rapidement, la question est très loin d'être simple. Et il n'est d'ailleurs pas certain que la réponse soit universelle. En d'autres termes si la transition démographique et la sous-fécondité semblent devenir universelles, cela ne signifie pas pour autant que les solutions soient elles aussi universelles. Il est tout à fait probable que les solutions au problème de la sous-fécondité dépendent totalement des cultures et des traditions locales même si par moment elles peuvent partager un ensemble de mesures communes.

 

Anatomie du désastre démographique

 

Commençons par un bilan rapide comme je l'ai déjà dit dans mon texte sur l'économie et la démographie, la natalité mondiale est sur le point de passer en dessous du seuil de reproduction. Dans dix ans, si l'évolution actuelle reste au même rythme, l'humanité passera en dessous des 2,1 enfant par femme. Je rappelle qu'en théorie il faut un peu plus de deux enfants par femme pour renouveler les générations en supposant une très faible mortalité infantile. Comme il naît un peu plus de garçons que de filles ( 105 garçons pour 100 filles en France), il faut donc à minima 2,05 enfants par femme pour renouveler à un pour un les générations et un peu plus en prenant en compte la mortalité infantile, qui, même si elle est heureusement devenue très basse, existe encore. On peut donc dire que l'humanité a terminé sa transition démographique commencée en Europe au 19e siècle, si l'on fait exception de la France qui l'avait commencé avant pour son plus grand malheur. Puisqu'un graphique vaut mieux qu'un long discours, voici une image qui résume l'évolution depuis 1950. On voit bien ici que toutes les régions du monde connaissent une baisse marquée des naissances. Et le graphique s'arrête en 2010, comme on l'a vu l'Inde est tombée à deux enfants par femme récemment. Même l'Afrique subsaharienne connaît une surprenante accélération de la baisse de la natalité.

 

 

Tout ceci remet sérieusement en doute l'idée d'une planète Terre atteignant dix milliards d'habitants. Un scénario qui était en fait très optimiste sur le maintien des naissances avait sous-estimé la capacité de certaines régions du monde à faire moins d’un enfant par femme. La Chine elle-même avait par exemple menti sur ses statistiques démographiques. La natalité dans le pays était déjà beaucoup plus basse que ce qui avait été déclaré. Or il est assez facile pour démographes de trouver des incohérences dans ce genre de données. Tout aussi intéressant, voici un graphique sur la vitesse de la transition démographique. En réalité, la transition démographique en Europe a été relativement lente. Comme le montre le graphique suivant, il a fallu 95ans à la Grande-Bretagne pour passer de six enfants par femme à seulement 3. La Chine et l'Iran ont fait la même chose en seulement une dizaine d'années. Il s'agit de phénomènes particulièrement violents qui déstabilisent les sociétés. Pierre Chaunu dans son essai sur la démographie pensait qu'il y avait un lien entre la basse fécondité et la vitesse à laquelle celle-ci baissait. Un coup d’œil rapide aux fécondités des pays concernés invalide cette hypothèse. Certes, la Chine est aujourd'hui à 1,3 enfant par femme et sa fécondité a baissé très vite. Mais il y a des pays qui ont connu une baisse plus lente et qui sont tombés au même niveau à l'image de la Grèce. Je pense donc qu'on peut affirmer qu'il n'y a pas de lien entre la descente finale de la natalité et le rythme auquel le pays a fait sa transition. Par contre, il est évident que ce rythme a d'énormes conséquences économiques, mais c'est un autre sujet.

 

 

Comme vous pouvez le voir sur la carte mondiale ci-dessous, la baisse de la fécondité est générale et touche toutes les régions du monde (pourtant la carte est basée sur les chiffres de 2017cdéjà anciens) . Au premier coup d’œil, on voit que cela n'a aucun rapport avec la religion contrairement aux idées reçues de certains à l'extrême droite. Mais cela n'a pas plus de lien avec le niveau de développement d'un pays. On a aujourd'hui des pays qui sont encore pauvres et ont pourtant une fécondité à l'occidentale si je puis dire. Comme disait Emmanuel Todd avec un peu trop d'empressement sur la Chine « Ils seront vieux avant de devenir riche ». Nous allons chercher des explications dans la seconde partie de ce texte qui arrivera plus tard, mais il faut vraiment arrêter de dire des bêtises sur la démographie mondiale.

 

 

-Il n'est pas vrai que l'humanité se dirige vers un monde surpeuplé. La transition est déjà presque terminée et le monde va vite devenir très vieux avant de voir sa population fortement baisser. Le Japon actuel préfigure un peu ce à quoi ressemblera la majorité des pays vers 2100 et c'est très inquiétant sur le plan économique et politique. Rappelons que cela signifie également que les personnes âgées représenteront la majeure partie des électeurs, ce qui n'est pas sans conséquences dans les démocraties.

 

-La religion n'a pas de rapport avec le taux de fécondité. On a des pays encore très religieux où la fécondité est très basse. L'islam et l'islamisme ne favorisent pas les hautes fécondités. La preuve l'Iran est aujourd'hui un pays à 1,7 enfant par femme. Et sa fécondité est tombée après la montée au pouvoir des islamistes. Le catholicisme n'a pas plus de rapport avec la fécondité d'ailleurs. On trouve des pays fervents catholiques encore féconds à l'image des Philippines et d'autres à très basse fécondité à l'image de la Pologne.

 

-La fécondité en Afrique baisse. Et elle n'a jamais cessé de baisser. L'augmentation de la population est due à un retard de la baisse de la natalité par rapport à la baisse de la mortalité infantile. J’insiste sur ce point parce qu'on entend trop souvent chez certains à droite que l'Afrique ferait de plus en plus d'enfants, c'est simplement faux.

 

-Dernier point géographiquement centré, la politique de l'enfant unique en Chine n'est pas responsable de la baisse de la natalité du pays. Cela étonnera certains, mais en réalité on peut comparer la Chine avec Taïwan. Il s'agit du même peuple, même si certain hurleront en entend ça, c'est un fait historique. Seulement les deux pays ont eu des trajectoires politiques et économiques différentes. Taïwan n'a pas fait de politique de l'enfant unique et pourtant les natalités des deux pays ont baissé de manière totalement identique. Cela signifie que la politique de contrôle des naissances en Chine n'est pas responsable de la baisse de la natalité. Ce qui explique au passage aussi pourquoi son annulation n'a pas relancé la fécondité du pays. Elle n'a aucun effet dans les deux sens. Cela ne signifie pas que les politiques n'ont aucun effet sur la démographie, mais qu'elles n'ont pas automatiquement un effet. Mais nous verrons ça dans la seconde partie.

 

 

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commentaires

R
Je crois que l'ONU estime le taux de remplacement mondial à 2.4 enfants par femme.<br /> Du coup, c'est pas dans 10 ans. C'est maintenant.<br /> Et si on réfléchit à mortalité infantile en Afrique, ou à la surmasculination de pays à forte démographies, c'est peut-être optimiste comme chiffre.
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Y
C'est possible effectivement. Il est vrai que la mortalité infantile est encore assez élevée dans certains pays, je n'avais pas pensé à souligner cet aspect merci d'en parler.
L
Ce qui me frappe sur la carte mondiale que vous reproduisez ce sont les futurs pôles économiques dynamiques qu'elle révèle possiblement. <br /> D'abord le basculement relatif de la puissance de l'ancien nouveau monde vers sa composante Latino américaine mais surtout peut-être le nouveau cœur battant de l'économie monde que serait non plus l'extrême orient asiatique mais le bassin de l'océan indien, puisque les derniers grands réservoirs de main d'œuvre se situeraient dans cette zone. <br /> La grande nouveauté historique serait que, pour la première fois, l'Afrique pourrait en être bénéficiaire, l'Afrique de l'ouest étant partagée entre le rééquilibrage de l'ancien nouveau monde et le nouvel eldorado qui se dessine sur la façade est de son continent.<br /> La clé de la résilience du monde pourrait être là, toute libation personnelle mise à part. <br /> Une chose est sûre pour moi, le facteur travail humain risque de reprendre de l'importance et la main d'œuvre redevenir une denrée précieuse qu'il faudra bien rémunérer en conséquence (je ne crois pas plus à la pérénité de la dystopie esclavagiste que de l'utopie axée sur les robots et l'IA). <br /> Nos "gouvernants" européens risquent aussi de payer cher le fait de n'avoir pas intégré les populations d' immigration récente autrement que comme ressource humaine au rabais. Quel sera l'intérêt pour ces gens et leurs enfants de rester dans des pays qui vont se "tiersmondiser" à leur tour à grande vitesse (à ce sujet la perspective d'effondrement que vous évoquiez dans un billet récent serait finalement un mal nécessaire) alors qu'un monde meilleur s'esquissera dans leur continent d'origine ? <br /> Le "problème migratoire" que nous avons créé de toute pièce et qui finit par gangrèner toute la vie politique et sociale d'un pays comme la France ne sera-t-il plus ainsi qu'une péripétie dépassée à l'horizon du demi-siècle ? <br /> Personne (même vous) ne semble pourtant envisager cette éventualité d'une remigration volontaire de nécessité, oubliant pourtant combien l'histoire n'est pas avare de surprises. <br /> Les "élites" qui travaillent activement depuis des décennies à faire de la France une sorte de Monaco clubmédisé pour touristes friqués (tout en transformant paradoxalement ses villes en dépotoir) se retrouveraient ainsi le bec dans l'eau. <br /> Tout comme ce troupeau de diplômés inutiles qui alimente les oppositions en peau de lapin auxquelles vous faites aussi allusion et qui ne font que transmettre la hantise des générations des décennies heureuses du demi siècle passé : avoir à retourner aux champs ou à l'usine. <br /> Il faudra bien pourtant s'y résoudre, en France ou sur les terres de son souvenir.
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