Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.

Le libre-échange contre la démocratie

 

La récente crise agricole que le gouvernement et la FNSEA ont réussi momentanément à calmer ont remis au cœur du débat public la question du libre-échange et de la construction européenne. Évidemment, le système médiatique qui est aujourd'hui largement aux mains de puissances d'argent a déployé beaucoup d'effort pour noyer le poisson et éviter que l'on ne remette trop en question les principes du saint libéralisme économique et son principal organe de promotion qu'est la construction européenne. Les médias ont donc fait feu sur les normes et la bureaucratisation produit par le système européen. Dans cette stratégie on peut dire que l'écologisme théâtral qui a servi de justification à tout un tas de mesures plus ou moins discutable a été utilisé en quelque sorte comme contre-feu face à la colère agricole. Je ne vais pas débattre ici de l'intérêt de certaines interdictions de produits chimiques et d'intrant divers. Je ne vais pas non plus débattre de l'intérêt écologique de telle ou telle mesure d'interdiction. Certaines sont sûrement justifiées, d'autres moins, il y a aussi des pressions liées à des lobbys qu'ils soient industriels, ou provenant d'organisations écologistes. Je ne suis pas spécialiste de la question, ni chimiste, ni agriculteur, ou agronome. Je constate juste que l'état pour se départir de la crise agricole provoquée en réalité par le libre-échange débridé a préféré botter en touche et réduire les normes environnementales plutôt que de toucher à l'UE et au libre-échange.

 

Cela dénote le sens des priorités de nos gouvernants. Même la question écologique dont ils ne cessent de promouvoir en apparence l'importance passe après l'idéologie libérale qui leur tient lieu de gouvernail. Les dogmes du libéralisme sont à ce point puissant qu'ils passent avant l'intérêt de la population, de nos agriculteurs, mais également devant la nouvelle peur de l'an mille qui frappent nos élites sur la question de l'écologie. Vous allez me dire qu'on l'avait déjà remarqué pendant la période du COVID. En effet, pendant cette sombre période on se souvient très bien que nos gouvernants ont été plus prompts à enfermer leurs citoyens chez eux, entraînant ainsi un effondrement économique, qu'à fermer les frontières commerciales pour ralentir la progression de l'épidémie. Là encore, il ne s’agit pas de juger si ces mesures étaient bonnes ou pas, mais de constater le sens des priorités de nos dirigeants prétendument éclairés. Le libre-échange est vraiment devenu un idéal-type consubstantiel à l'identité des élites françaises, et plus généralement occidentales. Plus qu'un attrait théorique, il s'agit maintenant d'une cause identitaire qui définit la réalité bourgeoise. Il faut être ouvert aux autres, donc pour le libre-échange, la libre circulation des capitaux, et des hommes. Remettre en question cet idéal revient à tomber dans l’extrémisme, être réactionnaire et anti-progressiste.

 

Ces affaires du COVID ou de la crise agricole ont en quelque sorte remis en exergue la qualité dogmatique et non rationnelle de cet attachement. Car il n'y a nul besoin de démontrer aux yeux des dominants les qualités de leurs idéale-type de l'ouverture totale. La plupart d'entre eux seraient d'ailleurs la plupart du temps bien incapables d'en démontrer en pratique l'intérêt pour la France et son économie. Ils régurgiteront quelques phrases issues des vieux penseurs du libéralisme à l'image d'un Ricardo totalement anachronique. Telle est la réalité actuelle d'une quasi-religion d'État qui a littéralement ruisselé sur toutes nos élites sans que personne ne remette vraiment en question cet idéal, comme on aurait pourtant pu s'y attendre de la part de gens qui prétendent être des élites. Ce ne serait pas si grave cette croyance irrationnelle si elle n'avait pas des conséquences massives sur la société française et notre démocratie.

 

Souveraineté et démocratie

 

L'on revoit ces images de 2020, 2021 d'une France incapable de produire des masques pour protéger sa population pendant la crise épidémique. Le gouffre que l'on a pu voir entre la puissance de réaction des nations asiatiques et l'occident a mis sous les yeux des projecteurs la réalité des rapports de force productifs entre ces deux régions du monde. D'un côté, on a un occident incapable de produire le minimum syndical pour protéger, ou faire semblant de protéger, sa population. De l'autre l'Asie en particulier la Chine et la Corée qui démontraient des capacités d'adaptation très rapide grâce à leur ingénierie. Il ne s'agit pas ici encore une fois de parler de la justesse des mesures, mais de mettre en valeur le fait que l'occident à cause des quarante années de libre-échange n'est même plus capable de gérer des crises sanitaires sans soutien industriel extérieur. C'est d'ailleurs ce que soulignait Emmanuel Todd dans son dernier livre dont nous avons déjà abondamment parlé. Nous le voyons encore aujourd'hui dans la crise des médicaments et les pénuries à répétition que la globalisation produit de plus en plus.

 

Mais plus que ses conséquences économiques et sociales, il faut souligner le caractère antidémocratique du libéralisme économique et particulièrement celui qui est produit par le libre-échange et la libre circulation des capitaux. En effet, la démocratie est conditionnée par la capacité d'un état à agir en fonction de la volonté de la population dont il est censé être le défenseur et le représentant des intérêts. Mais pour pouvoir agir, cet état a besoin de contrôler certaines choses . « Jean Bodin, en 1576, dans Les Six livres de la République, la définit comme la « puissance absolue et perpétuelle d'une République ». L'État n'est subordonné à aucune autre entité et n'est soumis qu'à sa propre volonté. ». En clair, l'état doit avoir la souveraineté sur ses terres. Il doit battre monnaie, pouvoir décider de faire la guerre ou non, contrôler le budget et les frontières. On voit bien que la France en particulier ne possède plus aucun des attributs d'un état et d'une nation puisque nous avons tout légué à l'UE et à l'OTAN. Et au cœur de cette dépossession, il y a le libre-échange.

 

Car le libre-échange en rendant excessivement interdépendantes les nations les rend incapables d'action autonome et de choix particulier. C'était d'ailleurs l'un des vrais motifs du libéralisme qui penser mettre fin aux guerres en rendant ainsi les nations interdépendantes. Ce fut une grave erreur, car les nations les plus puissantes finissent par faire la guerre justement parce qu'elles sont dépendantes. On le voit très bien aujourd'hui avec l'Empire américain qui n'en finit pas de produire des conflits pour se maintenir parce que justement il est trop dépendant des importations pour renoncer à son dollar comme monnaie de réserve internationale. De l'autre côté, l'Empire chinois naissant use de ses capacités de production pour détruire l'autonomie des autres nations et ainsi faire progresser son propre agenda en utilisant les exportations comme une arme de chantage. C'était du reste exactement ce que faisait la Grande-Bretagne au 19e siècle qui se mit à prôner le libre-échange à partir du moment où son avantage comparatif lui permettait d'écraser toute forme de concurrence extérieure.

 

Avec ces crises qui vont de toute manière se multiplier à l'avenir, l'évidence devrait se généraliser. Il y a une contradiction fondamentale entre le système démocratique et le globalisme. Nous n'avons en effet pas fini de payer les conséquences du libre-échange puisque nos pays deviennent petit à petit des pays en voie de sous-développement. Il est aussi important de rappeler le lien quasiment charnel qu'il y a entre la souveraineté, l'autonomie productive et la démocratie. Produire est déjà un acte de souveraineté par définition. Renoncer à produire pour des calculs bêtement comptables à court terme c'est déjà renoncer un petit peu à sa souveraineté et donc à la démocratie. Car la démocratie ne peut pas exister sans souveraineté par définition. Il y a donc logiquement une contradiction entre vouloir le libre-échange et la démocratie en même temps. Le libre-échange ne peut exister dans un cadre démocratique qu'à l'intérieur d'une nation, dans un cadre égalitaire qui met les hommes sous le même régime, la même loi et les mêmes conditions de production. Autrement, il se transforme en contrainte qui met la liberté des citoyens en péril. Si un peuple décide d'avoir une production agricole plus respectable pour l'environnement, le marché global n'a pas à lui imposer un autre modèle. Or c'est très exactement ce qui se passe avec le libre-échange. Ce sont les nations qui ont le modèle le plus efficace au sens comptable du terme qui imposent leur modèle. Et il s'avère que cette optimisation comptable est rarement compatible avec des objectifs écologiques et sociaux. On voit donc bien que derrière la question de la crise agricole et du livre-échange se cache aussi la question de la souveraineté et de la démocratie.

 

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article