Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.
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Les syndicats des pharmaciens appellent donc à la grève le 30 mai prochain. Chose rarissime pour une profession qui fait quand même assez rarement parler d'elle. C'est que la situation devient dramatique sur le plan de l'accès aux médicaments. Les pénuries se multiplient, les pharmaciens passent de plus en plus de temps à chercher à renouveler leurs stocks de médicaments. Notons que dans le même temps on apprend qu'il y a des pénuries de pharmaciens. Il en manquerait près de 15000 sur tout le pays alors que le pays compte seulement 50000 pharmaciens, cela fait un très gros trou si je puis dire. On se retrouve comme dans le cas des médecins dans une absence totale de prévision à long terme de la part des pouvoirs publics qui semblent de moins en moins aptes à gérer correctement les affaires les plus courantes. Le dicton qui veut que gouverner, c'est prévoir, nous indique qu'effectivement la France n'est plus vraiment gouvernée depuis longtemps. La plupart des problèmes qui nous accablent étaient pourtant largement prévisibles et évitables.
La pénurie de médecins a été littéralement fabriquée par la puissance publique et les syndicats de médecins qui voulaient réduire sans arrêt le numerus clausus. Les conséquences nous les voyons aujourd'hui avec les déserts médicaux. Il en va de même avec les études pharmaceutiques. On savait très bien qu'on aurait un gros changement d'effectif avec l'arrivée des boomers à la retraite. Il fallait donc augmenter petit à petit le nombre d'étudiants dans le domaine, mais rien n'a été fait. On parle ici de problèmes qui étaient prévisibles il y a plusieurs décennies pourtant, pas d'une crise immédiate produite par un phénomène aléatoire. Cela en dit long sur le manque de réflexion à long terme du pays, mais nous en avons déjà parlé dans un texte précédent.
Nous allons ici plutôt nous concentrer sur la question de la pénurie de médicaments. Certains ont fanfaronné stupidement sur des problèmes similaires en Grande-Bretagne, accusant bien évidemment le Brexit dans l'affaire. Sauf que la France et l'Europe en général sont touchées de la même manière. Montrant ici que le fond de l'affaire n'est pas à proprement parler l'appartenance ou non à l'UE ou à l'euro, mais bien la question du libre-échange et de la désindustrialisation. Pour preuve, même la Suisse est touchée par le phénomène. Car si la Grande-Bretagne est effectivement désormais en dehors de l'UE, elle reste un pays extrêmement libéral ne pratiquant pas le protectionnisme et l'intervention étatique. En ce sens, les Anglais et nous sommes donc toujours sur le même bateau ivre néolibéral. Il semble tout de même que les USA aient quelque peu abandonné cette idéologie comme nous l'avions dit même si leur contrainte impériale les empêche de vraiment entamer un processus de réindustrialisation. Le continent européen lui est complètement englué dans ces dogmes. Que les nations soient membres ou non de l'UE, elles suivent à peu près toutes le même schéma d'organisation économique de spécialisation dans la globalisation, même la Suisse. Ce qu'il y a de drôle c'est que l'UE est aussi la région avec la plus faible croissance du monde, mais elle ne fait toujours pas le lien avec son dogmatisme libéral.
Le libre-échange a trop spécialisé les nations
Nous arrivons en fait probablement aux limites du schéma d'amélioration de la productivité par la spécialisation géographique. Nous avons déjà parlé un peu de ces sujets dans mon texte consacré aux effets de l'euro sur la spécialisation géographique. Il faut bien comprendre que l'ouverture aux échanges à l'échelle de la planète a produit des effets similaires à ceux des unifications nationales qui l'avaient précédé. En effet, chaque nation a produit son propre libre-échange à l'intérieur de ses frontières. Ce mécanisme a entraîné la spécialisation des régions de chaque pays nouvellement unifié. Dans le cas de la France, le processus est ancien puisque le pays est unifié depuis assez longtemps, mais cela a pu être observé au 19e siècle dans les pays comme l'Italie, l'Allemagne, ou les USA qui ont été unifiés plus tardivement. Le processus que nous avons connu depuis le 18e siècle, et l'apparition des nations modernes, fut un processus d'affaiblissement progressif des anciennes frontières.
Autrefois partagés en petit comté et duchés soumis souvent à leurs propres lois avec tout un tas de règles commerciales et politiques, les ensembles nationaux ont été les premiers à pratiquer le libre-échange. C'était des libres-échanges intranationaux si je puis dire. Un processus qui a entraîné la concentration des richesses dans certains lieux et le dépérissement de grandes régions. Mais ce processus était accompagné aussi d'une protection externe liée à la défense nationale même si certaines nations ont aussi pratiqué le libre-échange à plus grande échelle. Globalement, des processus de spécialisation ont permis un enrichissement collectif, mais ils ont fait des gagnants et des perdants. Surtout dans les territoires faiblement homogènes où certaines régions étaient géographiquement très avantagées par rapport à d'autres. Ce processus s'est aussi accompagné d'une fragmentation en matière de densité de population. On a tendance à l'oublier, mais les pays européens et en particulier la France avaient comme particularité d'avoir des populations relativement harmonieusement réparties au moyen-âge. À la différence des peuples latins et grecs qui avaient déjà de grosses cités et des campagnes, les peuples d'Europe de l'Ouest avaient des cités moins peuplées et beaucoup de petits villes et villages.
La France en particulier avait une population vraiment bien répartie sur le territoire ce qui explique l'énorme quantité de villes et village que le pays a encore aujourd'hui même si la plupart se dépeuplent depuis plus d'un siècle au profit des grandes agglomérations. On ne peut pas comprendre la migration colossale qu'a connue l'humanité depuis deux siècles sans faire le lien avec ce processus de libre-échange interne aux nations qui a précédé la globalisation actuelle. Avant que la globalisation n’entraîne des mouvements de population planétaire, les « globalisations » nationales avaient fait le même travail à l'intérieur des frontières nationales. Cependant, si les coûts de ce changement ont été élevés, on peut dire que globalement cela a permis une meilleure efficacité des économies nationales. Le principal problème de désertification pouvant en partie être réduit par des transferts étatiques vers les régions les moins bien loties.
Il semble par contre que la globalisation à l'échelle du monde et même de l'UE comme nous avons pu le voir dans d'autres textes n'ait pas du tout les mêmes effets bénéfiques. Pour deux raisons principales. La première est qu'il n'y a pas de nation à l'échelle globale ni de solidarité globale. Pas plus à l'échelle du monde qu'à l'échelle de l'UE. Les territoires les moins avantagés comme la France sont donc simplement condamnés à plus ou moins long terme au dépeuplement et à l'effondrement du niveau de vie. Encore une fois, l'idée que le libre-échange ne produit que des gagnants est une idiotie. Il a toujours un coût, mais ce coût était compensé à l'intérieur des nations. Il ne l'est pas du tout à l'échelle de l'UE et encore moins à l'échelle du monde. Le second facteur est la dangerosité de la spécialisation à cette échelle. Et nous en arrivons à cette question de pénurie. En effet, la globalisation a spécialisé des pays dans des secteurs particuliers. Le plus éclatant est à l'heure actuelle la production des terres dites rares qui rentrent dans la composition d'une grande partie des productions de haute technologie, en particulier celle des batteries électriques et des semi-conducteurs. Or la Chine possède un quasi-monopole, fruit de l'intervention étatique et du laissez-faire global. On voit bien les conséquences géopolitiques d'un tel phénomène.
Dans le cas de la production de médicament, même problème. La Chine et l'Inde qui sont les grands gagnants dans la production des produits médicamenteux et des produits chimiques pour les produire font passer leur demande avant celle du reste de la planète. Et en cas de rupture de la chaîne d'approvisionnement pour x ou y raison, c'est la catastrophe. Autre problème, une spécialisation à cette échelle a entraîné une perte de savoir-faire un peu partout. Donc en cas de rupture il devient impossible de faire appel à un voisin ayant encore une production locale pour pallier momentanément à la pénurie. De la même manière, refaire une industrie de haut niveau de technologie est extrêmement complexe lorsqu'on a perdu la totalité des savoir-faire et des compétences nécessaires à sa mise en œuvre. Les difficultés actuelles des USA pour relancer leur industrie sont là pour en témoigner. On voit ici le très grand danger que représente une spécialisation à une telle échelle. Quand aux bénéfices de cette globalisation, ils sont essentiellement allés dans les poches des 1% les plus riches, et encore. Les pénuries de médicaments ne sont qu'un début, attendez-vous à bien pire dans les années qui viennent si nous continuons dans cette direction. Imaginez un instant des pénuries de nourriture et une France dans une France n'ayant plus d'agriculteur préférant tout importer, car c'est moins cher. Nous devons comprendre que le coût de la production locale, si c’est plus élevé, a aussi l'immense avantage de nous permettre de piloter et de prévoir la production nationale. Préférons-nous vivre dans l'incertitude radicale de manquer de nourriture ou de médicament en fonction de changement de géopolitique mondiale ou de catastrophe naturelle touchant tel ou tel lieu de production planétaire ? Ou produire nous-mêmes ce que nous consommons avec comme seul problème un coût légèrement plus élevé ? À mon avis le prix de la globalisation est beaucoup trop élevé pour ce qu'elle apporte à nos concitoyens.