Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
9 novembre 2023 4 09 /11 /novembre /2023 15:43

 

J'ai déjà parlé de la question de l'euro à de multiples reprises sur ce blog, mais étant donné l'importance de la question pour l'avenir de notre pays j'y reviens encore. Cette fois pour reparler brièvement du lien entre l'unification monétaire et la spécialisation géographique. Nous en avions déjà parlé dans un texte, mais j'y reviens à l'occasion de la création d'une carte assez récente qui donne la proportion d'emploi manufacturier par région d'Europe et l'image est assez saisissante par sa clarté comme vous allez pouvoir le voir. Nous allons réexaminer rapidement pourquoi l'euro est une très mauvaise monnaie et quels sont les effets d'une unification monétaire sur un territoire. La zone euro est aujourd'hui la zone du monde avec la plus faible croissance économique et son décrochage n'est pas le fruit du hasard. Quoiqu'en pensent les idéologues de l'européisme, il y a bien un lien entre l’unification du continent et son déclin qui devient aujourd'hui une évidence même pour ces défenseurs les plus acharnés. Alors évidemment on entendra comme d'habitude des discours pour une autre Europe. Des discours qui supposent que l'échec de l'UE est le produit d'une mauvaise politique de la part des dirigeants de la commission. C'est complètement erroné. Même avec la meilleure politique possible l'UE entraînerait quand même le continent au déclin. Car c'est la structure même de la construction européenne et de l'euro qui entraînent le marasme et le déclin économique.

 

Les effets des unifications monétaires

 

Les unifications monétaires ne sont pas des premières, et l'euro n'est même pas la première monnaie transnationale à avoir existé. Les élites françaises obsédées par la valeur monétaire depuis longtemps avaient déjà été à l'origine d'un projet similaire au 19e siècle, c'était la célèbre union latine. Une union qui engagea énormément de pays, dont la Russie qui participa à l'expérience. La grande différence avec l'euro actuelle c'est que la monnaie était gagée sur un métal. L'obsession de la thésaurisation de la valeur contre l'inflation étant particulièrement élevée au 19e. On n’avait pas encore compris (il semble que les Européens ne l'aient toujours pas compris) que la véritable richesse d'une nation n'est pas la valeur de sa monnaie, mais de ses capacités de productions. La volonté de maintenir une valeur de change contre vents et marées au détriment de la production nationale est l'une des pires imbécillités que le dogmatisme puisse créer. Malheureusement, c'est aussi le produit de la domination de nos sociétés par une poignée de rentiers, qui eux n'ont effectivement aucun intérêt à des réajustements fréquents de la valeur monétaire.

 

L'Union Latine un euro avant l'heure qui a fini dans les poubelles de l'histoire

 

Cependant, les unifications monétaires ont dans leur ensemble surtout accompagné les unifications nationales à l'époque moderne. Les deux plus célèbres étant l'unification allemande et l’unification italienne. En créant une seule monnaie là où il y en avait plusieurs, vous commencez un processus de spécialisation régionale qui peut aller très loin. En Italie le sud a été le grand perdant de l'unification italienne. Ne pouvant plus dévaluer pour garder une certaine compétitivité, le sud a perdu son industrie et s'est appauvri relativement pendant que le nord a concentré toutes les activités les plus productives. Les unifications monétaires accroissent les inégalités naturelles des territoires en favorisant ceux où les coûts de transport et de production sont les plus faibles. Il n'y a pas à chercher plus loin les phénomènes de concentration de population dans certaines régions et la désertification de territoires entiers. Si l'industrialisation à cet effet naturel de concentration des populations, les unifications monétaires l'ont aggravé.

 

Le cas allemand est très intéressant puisque ce pays a connu en fait deux unifications monétaires. Celle du Deutscher Zollverein au 19e siècle qui a été précédé d'une union douanière. Ce n'est qu'après avoir fait converger les niveaux de vie de la population allemande que l'unification monétaire s'est faite. Le résultat fut une relative réussite l'Allemagne de l'époque n'ayant pas coupé son pays entre régions riches et régions pauvres comme l'Italie. À l'inverse l'unification en catastrophe avec l'ancienne RDA va avoir le même effet que l'unification monétaire italienne maintenant un niveau de vie bas en Allemagne de l'Est ainsi qu'une désindustrialisation. Les transferts massifs que l'Allemagne aura faits pendant la période de réunification ne compensant pas les effets monétaires d'une unification beaucoup trop précoce et rapide. On le voit même en parlant la même langue et en partageant la même culture une monnaie unique mal faite peut avoir des conséquences à long terme dramatiques. L'AFD le parti d'extrême droite allemand fait d'ailleurs ses meilleurs scores en Allemagne de l'Est et ce n'est pas un hasard.

 

 

L'euro a créé l'hinterland industriel allemand

 

Ce mécanisme d'unification monétaire qui empêche les territoires de protéger leur production oblige les états ainsi unifiés à faire généralement des transferts. Mais même dans le cadre très généreux de l'état français, les transferts ne compensent pas les effets de l'union monétaire. On pourrait d'ailleurs se demander si une bonne politique des réaménagements du territoire ne passerait pas par des monnaies locales comme je l'avais moi-même imaginé il y a quelques années. Le franc pouvant être vu comme un euro avant l'euro pour les régions françaises. La concentration des richesses dans quelques régions posant de vrais problèmes moraux à mes yeux ainsi qu'un problème d'usage de l'espace français. Est-ce une si bonne idée de concentrer toute la population dans quelques territoires et de faire du reste un véritable désert humain ? Pour en revenir à l'euro, il est évident que ce qui est vrai pour des nations comme l'Italie ou l'Allemagne l'est également pour la zone euro. En ouvrant toutes les frontières et en unifiant l'Europe sous une seule monnaie, le même mécanisme de concentration des richesses en fonction des avantages locaux s'est produit. Mais cette fois à l'échelle du continent.

 

Le résultat est bien évidemment que l'industrie s'est concentrée là où le travail est le plus efficace. Il ne s'agit pas juste d'une question de salaire, la géographie a aussi son importance. Et notamment le transport fluvial comme nous en avions déjà parlé et comme on peut le voir sur les deux cartes ci-dessous. La première montre le pourcentage de la population travaillant dans l'industrie. La seconde montre le beau Danube bleu. On voit bien que la concentration de l'industrie se fait autour du transport fluviale et bien évidemment ces régions font partie de l'Hinterland industriel allemand. La géographie a fait que la concentration de l'industrie s'est réalisée dans ces régions avec comme point de sortie finale les ports néerlandais et belges. Évidemment la France est complètement en dehors de ce réseau naturel, n'ayant aucun avantage réel, elle a perdu toute son industrie. On comprend également par ces cartes l'empressement de l'Allemagne à vouloir étendre toujours plus l'UE vers l'Est et en particulier maintenant vers l'Ukraine. Car l'Ukraine n'est vraiment pas loin du Danube par liaison maritime dans la mer noire. Un moyen de gonfler son hinterland industriel qui a un gros problème de vieillissement à cause de la faible natalité régionale. L'Ukraine pourra donner un peu de souffle à l'industrie allemande d'autant que les salaires sont extrêmement faibles là-bas. C'est ce que doivent probablement penser les dirigeants allemands. Bien sûr, cela détruira l'agriculture polonaise et ce qui reste d'agriculture dans le reste de l'UE, mais l'Allemagne s'en fiche un peu.

 

 

Il y a cependant une grande différence entre l'unification européenne et les unifications nationales. Une différence qui probablement condamne cette malheureuse expérience. C'est la mobilité des populations. Si en théorie le marché européen est totalement libre, les populations pouvant se déplacer où elles veulent. En pratique, elles vont là où on parle leur langue. En clair, les Français restent surtout en France, les Italiens en Italie, etc. De fait, l'Allemagne et son hinterland qui accumulent tous les emplois industriels devraient aussi attirer des Français par exemple frappé par un chômage de masse et une pauvreté croissante. Mais ce n'est pas le cas , du moins ce n'est pas statistiquement significatif. Si l'UE allait jusqu'au bout de sa logique, les pays qui se sont désindustrialisés et appauvris devraient se dépeupler au profit des états riches. La France par exemple devrait perdre une bonne partie de sa population au profit de l'Allemagne ou de l'Autriche . La logique même de l'unification européenne transformant la France en une espèce de Creuse géante. Mais ce n'est pas le cas, les populations ne bougent pas. C'est très important parce que c'est là qu'est la différence avec les unifications nationales. Les peuples restent sur place et comme il faut bien les occuper on laisse la France et les autres victimes de l'euro s'endetter jusqu'à la catastrophe inéluctable. Comme il n'y a pas de transferts et de solidarité réelle et massive entre les régions riches et pauvres contrairement à ce qui se passe à l'intérieur des États-nations. On ne peut que deviner les tensions politiques de plus en plus fortes en défaveur de la construction européenne. Comme dans le cas de l'Allemagne de l'Est, le ras-le-bol général finira par advenir tôt ou tard condamnant par la même occasion la monnaie unique. Une structure politique d'unification qui est aussi ouvertement inégalitaire ne peut que provoquer à terme des conflits violents et la cause de sa propre disparition.

Partager cet article
Repost0

commentaires

R
L'article est intéressant, et je suis globalement d'accord avec vos conclusions.<br /> <br /> Par contre, ce qui est assez ironique quand on réfléchit à vos arguments c'est que vous apportez du coup pas mal de vent à la philosophie globaliste et libertarienne.<br /> <br /> Le problème des monnaies et des divisions politiques se présente déjà sur un pays de la taille de la Belgique. <br /> Et si on poursuit le raisonnement, il sera vrai pour un canton, pour une ville, pour un quartier. Pour une unité familiale, pour un individu.<br /> <br /> Ce qui me fait remettre en question mes opinions vis à vis du multiculturalisme et de l'universalisme de gauche que j'avais tendance à voir globalement comme un échec, même si de ce côté je suis nettement moins réactionnaire que vous.<br /> <br /> De la même manière, que de mauvaises frontières ne posent problèmes que s'il y a une intolérance issue du politique, de la religion, ou du nationalisme, le multi-culturalisme ou l'universalisme ne sont probablement pas des problèmes en soi.<br /> <br /> Si l'on en voit les tendances dans la jeunesse, le globalisme est même probablement le sens de l'Histoire.<br /> <br /> Sens qui va probablement déboucher sur l'équivalent de la guerre de 30 ans, en raison des tensions accrues sur les ressources et des extremistes et politiques qui les feront éclater.<br /> <br /> Là où vous pourriez avoir raison au global, est qu'il est relativement probable que le mouvement vers le globalisme ait été enclenché trop tôt dû au choc de la seconde guerre mondiale et au contre choc de l'enthousiasme des 30 glorieuses.
Répondre
Y
Oui tout dépend de vos définitions. A mes yeux le vrai universalisme ce n'est pas de fondre tout le monde dans un même moule. C'est accepter les différences entre les nations. Les frontières rendent justement possible la coexistence entre des systèmes culturels et économiques différents. Exemple si les suisses veulent un système d'impôt faible, c'est leur choix. Mais si vous enlevez les frontières aux capitaux ce choix finit par s'imposer au voisin dont le taux d'imposition est plus élevé. C'est simple la frontière rend possible des choix collectifs. Si vous les supprimez il n'y a simplement plus de choix, juste l'imposition de celui qui a fait les choix les plus favorables aux détenteurs du capital. Ce n'est pas un hasard si les plus riches sont pour un monde sans frontières. <br /> <br /> Le globalisme n'a pas été déclenché trop tôt, c'est une illusion qui produira mécaniquement un rejet à chaque fois. Du reste c'est une illusion très occidentale, le reste du monde n'est pas du tout globaliste. Et nous devenons de plus en plus minoritaire sur le plan politique et économique.
M
"Si l'on en voit les tendances dans la jeunesse, le globalisme est même probablement le sens de l'Histoire." il faut comprendre que la jeunesse française serait globaliste ?<br /> cette bonne blague ! Vous parlez de quelle jeunesse ? le boboïde-parisien-SupdeCo sans doute (à coup sur meme) mais tous les autres ? comme le rappelle notre hôte, nous sommes liés à notre territoire par la langue et l'immigration se déclenche parce que la situation locale est tellement dégradée qu'il faut bien se resoudre à aller "à l'étranger".<br /> la dite immigration peut être facilitée par des recruteurs (par ex la SNCF l'a fait en son temps) ou bien par une diaspora plus ou moins familiale qui apporte un minimum de soutien sur place.<br /> et si je reprends l'exemple de l'Allemagne, quel français parle allemand ? à part les alsaciens, qui sont déjà des frontaliers, je ne vois pas.<br /> les jeune français sont victimes d'une mondialisation sauvage depuis 40 ans. elle les a mis en concurrence avec les pays à bas cout, affaiblit leur industrie nationale et maintenant l'euro met globalement le pays hors jeu car inadapté à nos niveaux de productivité.<br /> avec les idéologues actuellement aux manettes nous allons au carton et de plus en plus fort. hélas ce ne sera qu'à ce moment que l'on commencera à sortir du carcan euro-UE mais le pays sera en ruine.<br /> et n'oubliez pas, pendant ce temps là tout le reste du monde , pas uniquement la Chine, progresse et devient un concurrent de plus en plus féroce.<br /> la reconstruction, s'il y a, sera compliquée et douloureuse.