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20 mai 2024 1 20 /05 /mai /2024 15:32

 

 

Une fois n'est pas coutume, nous allons nous poser une question existentielle, et fondamentale. En effet, les péripéties en Nouvelle-Calédonie ou la construction européenne nous rappellent que les nations sont fragiles et qu'il est parfois difficile de bien savoir ce qu'est ou non une nation. Alors un bon nombre d'auteurs ont déjà abondement abordé la question, avec bien plus de talent, et d'intelligence que moi. Il ne s'agit pas ici d'émettre une théorie nouvelle et universelle, mais surtout de clarifier ma propre opinion sur le sujet. Je ne suis ni Jean Bodin ni Ernest Renan et je n'ai pas du tout la prétention de me hisser à la hauteur de ces auteurs. Cependant en ces temps troubles de doute sur nous même, particulièrement en France où tout semble aller à vau-l’eau, il est important de bien clarifier les bases. Cette idée de texte m'a été inspirée par une petite vidéo d'Hérodote qui résume très rapidement l'histoire de l'identité romaine à travers le temps. Comme toujours sur cette chaîne YouTube et son site affilié, il y a un réel talent à résumer l'histoire même si cela ne remplacera jamais de vrais cours d'histoire.

 

On voit bien dans ce rapide résumé que l'identité romaine a perduré bien plus longtemps que l'Empire. Les Roumains actuels tiennent même leur nom national de Rome. Et l'identité a fluctué au fil du temps et des invasions. A l'origine latin, l'Empire romain a petit à petit glissé vers le monde grec jusqu'à devenir uniquement grecque sous le drapeau de l'Empire romain d'Orient aussi appelé l'Empire byzantin. Pourtant malgré ce changement profond culturel et linguistique, les Romains continuaient à s'appeler des Romains et à se penser comme tels. On le voit, la question de l'identité et de la nation est une question difficile et beaucoup plus compliquée qu'il n'y paraît au premier abord. De la même manière qu'un romain du 12e siècle n'est plus le romain de l'époque d'Auguste, le Français de 2024 n'est pas vraiment le français de l'an mille. Alors il y a bien sûr les gens qui simplifient fortement cette identité réduisant la nation à la langue, l'ethnie, la religion ou d'autres critères plus ou moins fantaisistes. Mais il est bien plus probable qu'il s'agisse d'un collectif à composition multiple et complexe de toutes ces choses à la fois. On pourrait aussi parler des grandes acculturations de peuples. La Turquie actuelle pour rester en Anatolie n'est pas peuplée de turc au sens génétique du terme. La plupart des habitants de la Turquie actuelle sont en fait des descendants de Grecques et de peuples d’Anatolie qui autrefois étaient romains. Ils se sont acculturés petit à petit sous la domination ottomane. De la même manière, les Hongrois actuels sont en fait des Slaves qui ont été acculturés par les Magyares, un peuple nomade, qui les a soumis vers l'an mille environ. L'assimilation est donc un phénomène qui existe et qui peut être très puissant quand on songe au fait que ces envahisseurs étaient souvent bien moins nombreux que les peuples qu'ils dominaient.

 

Ernest Renan parle de volonté de vivre ensemble. On pourrait dire plus clairement qu'il ne s'agit pas d'une volonté de vivre ensemble au sens où les citoyens le décideraient consciemment, mais au sens où l'histoire aurait finalement poussé les citoyens à vivre en commun. Car il est à mon sens très probable que se trouve le véritable cœur d'une nation au-delà de la langue, de la culture, de l'ethnie et de la religion, même si tout ceci a son importance, c'est l'expérience commune passée qui rassemble les membres de ces très grandes communautés. Ce qui constitue les nations c'est très probablement cette trame historique qui a nourri les familles et les personnes à travers les siècles et qui ont constitué lentement des socles communs. L'exemple suisse est en ce sens assez démonstratif puisque l'on ne peut pas dire que la Suisse soit unie par la langue ou même par la culture ou l'ethnie. C'est bien l'histoire et aussi l'opposition aux grandes puissances voisines françaises, allemandes ou italiennes qui ont finalement fait le socle de l'identité suisse.

 

La question d'opposition en tant que groupe contre un autre a aussi très probablement fortement joué. En effet, on s'identifie d'autant mieux à un groupe qu'il se constitue contre un autre. Il s'agit là d'un phénomène qu'on peut apparenter au phénomène de bouc émissaire qui est à la base de la civilisation en quelque sorte. L'autre, le peuple différent, le bouc émissaire, l'ennemie sert en quelque sorte de point commun à la création d'un socle commun à ceux qui partagent cette « haine » ou cette méfiance. Ce faisant, les groupes humains se forment sous la houlette du rejet du bouc émissaire ou de l'ennemie. Il s'agit là de quelque chose d'assez tragique et paradoxal, mais la vie et la nature sont pleines de mécanismes en duo de ce type. Il n'y a bien souvent de création qu'après de grande destruction. Les supernovæ sont des événements dramatiques d'explosion d'étoiles. Mais de ces supernovæ naissent les composants les plus complexes comme le carbone nécessaire à l'apparition de la vie par exemple. Il n'est donc pas si étonnant de s’apercevoir qu'à la base des peuples, des identités, et des nations, il y a la violence contre d'autres groupes, même si l'on peut regretter cette nécessité.

 

On peut donc être d'accord avec Ernest Renan lorsqu'il parle de la nécessité de la volonté de vivre ensemble comme fondateur de la nation. Mais l'origine de cette volonté n'est pas nécessairement un choix rationnel. Il est bien souvent le produit d'un rejet de l'autre d’autrui. Les nations naissent en quelque sorte dans la compétition des groupes les uns avec les autres. À ce paramètre le plus fondamental, l'on peut rajouter un autre facteur d'ordre anthropologique cher à Emmanuel Todd, celui des structures familiales. Plus fondamental encore que la religion ou la langue, la structure familiale produit la référence des valeurs qui structure le rapport au groupe. Comme l'a très bien montré Todd dans ses œuvres, de la structure familiale dépend en grande partie la façon dont nous voyons le monde, en particulier les rapports sociaux. Ainsi des structures familiales communes facilitent un comportement collectif commun. Il s'agit là d'un facteur important de soudure d'une nation même s'il existe des nations avec plusieurs systèmes familiaux. La France étant le contre-exemple paraît, le pays étant partagé entre famille nucléaire égalitaire et famille souche. Cependant, les familles nucléaires en France sont nettement dominantes sur le plan démographique. La périphérie étant soumise au bassin parisien de famille nucléaire.

 

Souveraineté et nation

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Donc la nation a trois principaux facteurs en dehors des critères plus classiques. L'histoire commune qui crée un lien particulier entre les citoyens. L'ennemie commune qui a soudé la nation, on pensera ici à la guerre de Cent Ans qui opposa la couronne française à celle de l'Angleterre en rappelant qu'à l'origine il ne s'agissait pas d'un affrontement entre deux nations, une notion qui n'existait pas alors, mais deux lignées royales, les Plantagenêt et les Valois. Typiquement, la guerre de Cent Ans a probablement fabriqué la nation française et la nation anglaise dans le même temps. Alors qu'au début des conflits que pour le paysan moyen savoir si l'une ou l'autre des couronnes les dominerait n'avait pas vraiment d'importance ,c'était toujours un système féodal, la question de l'identité nationale a fini par l'emporter. On est passé d'un conflit médiéval classique entre deux lignées à une guerre entre deux nations naissantes avec Jeanne d'Arc comme symbole d'unité nationale en France. Pour finir le dernier critère sont les structures familiales qui par nature créent une vision collective commune à la population. Les Français trouveront que la liberté et l'égalité c'est très bien et ça fonctionne ensemble, alors que les Anglais ne portent aucun intérêt à la question égalitaire. Les Allemands de familles souches ne trouveront aucun intérêt à la liberté, mais trouveront que l'ordre, l'obéissance et la discipline c'est essentiel.

 

À partir du moment où une nation prend conscience d'elle même elle se lève pour faire correspondre ses aspirations de nation à sa capacité d'action collective. C'est à partir de cette prise de conscience nationale que né le besoin de souveraineté réelle. La décolonisation est née de ce processus de prise de conscience chez des peuples autrefois trop peu conscients et encore trop féodaux pour se rebeller contre les nouveaux seigneurs venus d'ailleurs. C'est seulement lorsque la conscience nationale apparaît que le besoin de trouver une souveraineté apparaît aussi. Il arrive cependant que cette souveraineté soit inaccessible pour des raisons purement pratiques, économiques ou géopolitiques. On pensera au peuple polonais qui n'a accédé à la souveraineté partielle qu'après la Première Guerre mondiale, et véritablement qu'après la chute du mur de Berlin. Il y a encore des peuples aujourd’hui qui n'ont pas accès à une nation les plus célèbres et nombreux étant les Kurdes. Ces derniers sont estimés entre 30 et 40 millions et n'ont pas de nation qui leur est propre, du moins pour l'instant.

 

Il y a donc un lien absolu entre une nation et la notion de souveraineté puisque dès sa création une nation recherche la souveraineté. C'est-à-dire l'autonomie décisionnelle sur ses propres besoins et les moyens d'y répondre. Très souvent l'autonomie n'est pas possible à 100% et elle doit trouver des modus vivendi avec d'autres nations. Mais cette recherche de souveraineté est une nécessité vitale pour les nations. À l'inverse les nations dont les élites renoncent à cette souveraineté montrent un délitement progressif de ce qui faisait leur unité. On en vient bien sûr ici à la situation de la France et globalement des nations européennes qu'une poignée d'élites a décidé de dissoudre dans la grande nation très artificielle qu'est l'Union européenne. Alors ils essaient de créer des antagonismes avec d'autres puissances pour créer ce fameux facteur de cohésion par l'ennemie extérieur. L'ennemie désignée étant la Russie, mais il manque tout le reste pour faire nation. Les Européens n'ont pas une histoire commune, mais une histoire antagoniste commune. Les nations membres se sont construites les unes contre les autres. L'Allemagne a fait son unité en tapant sur la France. La France s'est construite contre l'Angleterre. Les Pays-Bas se sont fait contre l’Espagne des Habsburg. Et ne parlons pas de la diversité linguistique ou anthropologique du continent.

 

Vouloir créer une nation européenne est tout simplement irréaliste. Tout ce que produit donc l'UE c'est la dissolution des nations qui l'avait précédé. En effet en faisant perdre aux nations européennes leur souveraineté, elle vide de toute substance les nations. Plus grave encore en faisant disparaître la compétition entre les nations par le truchement de la solidarité européenne, elle fait perdre aux nations leur moteur identitaire national. Vous me direz peut-être, mais on a la paix. Mais même pas puisque l'UE aujourd'hui nourrit son antagonisme avec la Russie pour exister. On a donc les défauts de la nation, celui de l'ennemi extérieur nécessaire, sans en avoir les bénéfices c'est-à-dire une capacité d'action collective. On a le pire des deux mondes en quelque sorte sans parler de la disparition de toute forme de démocratie.

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commentaires

L
"On peut donc être d'accord avec Ernest Renan lorsqu'il parle de la nécessité de la volonté de vivre ensemble comme fondateur de la nation. Mais l'origine de cette volonté n'est pas nécessairement un choix rationnel."<br /> <br /> Je crois que ce choix rationnel était plutôt la conception du"contrat social" de Rousseau qui établissait un lien quasi juridique entre les individus par delà les coutumes et mœurs particuliers en affirmant au passage la liberté absolue des mêmes individus, laquelle est précisément le fondement de l'idée républicaine très abstraite de la liberté (et très libérale, ce qui constitue l'énorme contre-sens fait par beaucoup sur Rousseau) .<br /> Il me semble même que cette conception s'opposait à celle de Renan, beaucoup plus positiviste, qui voyait dans le vouloir vivre ensemble du peuple un état de fait accompli, le stade terminal d'un processus social complexe qui nous renvoie plutôt à Marx (ou au dépassement dialectique d'Hegel à la rigueur si j'ai interprété correctement mes lectures autodidactes).<br /> <br /> Cette distinction n'est pas anodine puisqu'elle permet de remettre l'église au milieu du village concernant le jeu complexe qui relie le peuple, la nation et la souveraineté.<br /> Car qu'il résulte totalement ou non d'un état de fait comme conclusion d'un processus, c'est bien ce vouloir-vivre-ensemble des populations particulières qui fait concrètement peuple et symboliquement nation. <br /> La souveraineté est alors la conclusion au sens quasi juridique du terme de cette symbiose et dont il résulte que la nation est par essence souveraine, l'exercice de la souveraineté devenant l'expression obligée de son existence.<br /> On comprend aussi pourquoi la fameuse "délégation de souveraineté" des eurolâtres comme des europhiles (sous-espèce pudibonde des premiers) est un non-sens voire une monstruosité conceptuelle.<br /> <br /> Je me méfie personnellement de plus en plus de ceux qui emploie le mot souveraineté à tort et à travers, y compris dans le camp des réputés patriotes. <br /> J'ai en effet tendance à voir dans ce véritable tic de langage la marque de ceux qui souhaitent consciemment ou non faire l'économie soit de la nation (cas de certains souverainistes "de gauche") soit du peuple (cas de beaucoup de souverainistes "de droite") soit carrément des deux (un trait bizarrement commun à l'extrême droite identitaire et à quelques pions chauves égarés de l'extrême centre libéral). <br /> À mon grand regret et avec toutes les réserves qu'il y a à faire sur sa personnalité parfois fantasque, je ne vois guère actuellement dans le paysage politique français que François Asselineau qui articule correctement le triptyque peuple-nation-souveraineté, en soulignant que c'est bien la défense prioritaire de la nation qui permet de préserver et le peuple et la souveraineté, ce qui fait de lui l'endosseur le plus cohérent des principes défendus jadis par le Général de Gaulle. <br /> Je me méfie tout autant des stratégies dites "de rassemblement", qui ne sont en fait que celles des armées de Spartacus (si j'étais méchant je dirais des CNR de Spartacus sur leur chemin de croix) dont l'objet devient fatalement la défense de la chèvre et du chou de chaque bataillon des troupes plutôt que celle de la nation souveraine. <br /> L'on peut résumer la stratégie de ces gens (fort braves au demeurant) dans l'art national et la manière souveraine de faire foirer le peuple sur toute la ligne, par delà les considérations romantiques qu'ils mettent généralement en avant. <br /> Je voterai donc vraisemblablement pour la liste de FA le mois prochain en ne perdant pas de vue que dans le contexte délétère de celui de l'union Européenne actuellement le seul enjeu de ces élections est de pouvoir donner une tribune à des voix qui savent résister au discours Fleuve de l'extrême centre européiste actuellement. <br /> Il se trouve que c'est ce que le gros François sait faire de mieux et mieux que les autres, car l'excellent débatteur qu'est Philippot par exemple n'a pas néanmoins cette qualité là, outre les réserves que l'on peut poser aux finalités de sa stratégie.<br /> <br /> Quant au renouveau possible de la nation française, c'est bien la menace extérieure qui sera la mieux placée pour l'enclencher, nous avons toujours été d'accord là-dessus et l'opération s'annonce de toute façon douloureuse.<br /> Le drame pour nous est que c'est bien la conception rousseauiste de la liberté abstraitement construite, incarnée par un certain jacobinisme volontariste (il y a beaucoup à dire sur ce que recouvre historiquement ce terme de jacobin ) qui domine l'action de l'union Européenne aujourd'hui et qui contient en germe l'éradication du fait national positif.<br /> De là résulte la prémonition que le renouveau de la nation française pourrait bien passer par des expériences douloureuses telles qu'en ont connues certains pays du pacte de Varsovie pendant la guerre froide comme la Hongrie ou l'ancienne Tchécoslovaquie.<br /> Pour l'instant, la France est bien une vieille nation en trop, comme disait Zinoviev.
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Y
De toute façon les mouvements souverainistes ne pourront jamais accéder au pouvoir. La logique du vote utile fait malheureusement du RN le seul parti "alternatif" pour qui les gens votent. En gros les français préfèrent voter pour un parti vaguement protestataire qui a une chance de l'emporter que pour des partis de rupture véritable, mais qui n'ont aucune chance d'arriver au pouvoir en l'état actuel des choses. A la limite une fenêtre d'ouverture pourrait arriver si le RN arrive réellement au pouvoir. Mais à ce moment là je crains le pire quand la population se rendra compte que son vote n'aura apporté strictement aucun changement, exactement comme en Italie avec Meloni. Après on peut toujours espérer que les élites européistes soient suffisamment stupide pour pousser le RN à la rupture par des mesures anti-française suite à l'élection du RN. De le monde de la communication moderne pouvant produire ce genre d'absurdité. Je vais essayer de faire un texte pour les prochaines élections européenne quand même . <br /> <br /> "J'ai en effet tendance à voir dans ce véritable tic de langage la marque de ceux qui souhaitent consciemment ou non faire l'économie soit de la nation (cas de certains souverainistes "de gauche") soit du peuple (cas de beaucoup de souverainistes "de droite") soit carrément des deux (un trait bizarrement commun à l'extrême droite identitaire et à quelques pions chauves égarés de l'extrême centre libéral). "<br /> <br /> Oui le terme souveraineté n'a aucun sens sans un peuple et une nation derrière. Du reste ce mot n'avait pas le même sens en l'an mille par exemple. La souveraineté était alors celle du monarque dont les populations étaient sujettes. <br />