Ce qui devait arriver arriva, le gouvernement de Michel Barnier est tombé sous les coups de l'opposition. C'était pour ainsi dire inéluctable puisque ce gouvernement n'avait rigoureusement aucune légitimité électorale. Que va-t-il se passer maintenant ? Grande question, la logique de l'intérêt général voudrait qu'Emmanuel Macron démissionne puisqu'il n'a en réalité plus aucune légitimité ni aucun pouvoir pratique, mais s'il devait le faire, il l'aurait fait au lendemain de sa défaite aux législatives. Le sens des institutions de la cinquième république a de toute façon été complètement perdu depuis quelques décennies déjà. Rappelons-nous Mitterrand qui ne démissionna pas lors de sa défaite aux législatives de 1986. Le sens des institutions aurait dû pousser Mitterrand à une élection présidentielle anticipée, il ne le fit pas, et cohabita avec la droite. Même chose sous Chirac en 1997, je m'en souviens, c'était ma première élection en tant que personne majeure.
Là encore, Chirac qui pourtant se prévalait du gaullisme ne démissionna pas. Il cassa même un peu plus la constitution en mettant l'élection présidentielle à 5 ans au lieu de 7 ans. C'était pour éviter les cohabitations, disait-il, on voit à quel point cette stratégie a bien fonctionné. Car c'est l'autre problématique de nos institutions, chaque gouvernement a voulu y apporter ses petites touches de façon à faire prévaloir ses petits intérêts électoraux à court terme sans jamais vraiment se demander pourquoi les lois ou le cadre qui avait été institué avaient cette forme. On ne devrait pourtant toucher les institutions que de la main tremblante, surtout lorsqu'elles fonctionnent comme ce fut le cas pendant un certain temps. Mais ils n'ont pas cassé la cinquième république à grand coup de marteau, ils l'ont grignoté petit à petit tels des termites. Et aujourd'hui, on s’aperçoit que le bois est creux et que la structure du bâtiment républicain est au bord de l'effondrement avec un égotique en haut du toit qui crie à qui veut l'entendre « Qu'ils viennent me chercher ! »
Au demeurant, on remarquera que les « élites » françaises ont coulé nos institutions de la même manière qu'elles ont détruit le système économique d'après guerre, à pas feutré, dans les couloirs des ministères et sans jamais ouvertement dire ce qu'elles faisaient aux électeurs. Là est à mon avis le cœur du problème actuel. L'image désastreuse des hommes politiques français est à mettre en parallèle avec leur cynisme permanent et leurs doubles discours. On feint l'indépendance nationale et la souveraineté dans les discours au parlement ou à la télévision française pour ensuite s’asseoir sur les intérêts français une fois au parlement européen en faisant de grand sourire à madame Von der Leyen. Si cette stratégie déjà ancienne fonctionnait pendant les heures de gloire de l'européisme des années 80-90, c'est beaucoup moins vrai aujourd'hui. Grâce à internet, aux réseaux sociaux et aux médias alternatifs, même les plus naïfs, des Français commencent à comprendre qu'on se fout littéralement de leur gueule à droite comme à gauche.
Comprenons-nous bien. Si l'UE et l'euro sont bien des camisoles de force qui ont été conçues pour imposer des politiques libérales dont les Français ne voulaient politiquement pas, elles ne sont pas arrivées là par l'action du Saint-Esprit. Ce sont bien nos hommes politiques qui ont participé à cette forfaiture et ils savaient très bien ce qu'ils faisaient. Rappelons que l'euro, même l'Allemagne n'en voulait pas, ce sont les hommes politiques français qui ont multiplié les garanties et les offres alléchantes pour que Berlin se laisse tenter par l'aventure absurde de la monnaie unique. Nous nous retrouvons donc, nous français, comme ayant le pays le plus endommagé par la construction européenne avec nos amis italiens, alors même que ce sont nos propres élites qui ont conçu cette machine infernale. Et le problème de trahison vient de loin. Comme j'aime à le faire remarquer, c'est sous De Gaulle que les premières pièces de la contrainte économique néolibérale furent mises en place.
Le nœud gordien de la souveraineté économique
En effet après-guerre le libéralisme économique était complètement discrédité. Il faut dire que les gens avaient pu apprécier l'efficacité du marché pendant la crise de 1929 puis les effets des interventions étatiques dans le redressement économique sous Roosvelt et malheureusement sous Hitler. Bref, le libéralisme en tant que doctrine n'avait plus la cote. On lui a préféré l'interventionnisme modéré de Keynes. Ne négligeons pas non plus les effets de la pression soviétique qui dans un premier temps connaissait des croissances monstrueuses qui dans les années 50-60 faisaient peur aux capitalistes de l'ouest. Mais si le libéralisme n'avait plus d'intérêt en public, ce n'était pas la même chose chez une partie des élites en particulier en France. Rappelons que l'un des grands conseillers économiques du général de Gaulle était Jacques Rueff. Si de Gaulle était un interventionniste, ce n'est pas du tout le cas de son conseiller économique.
L’œuvre de De Gaulle et du Conseil national de la résistance ne sera donc pas détricotée dans les urnes par un débat public, mais en en silence, de façon souterraine par nos élites qui rejetaient en réalité la nouvelle organisation économique héritée de la Seconde Guerre mondiale. C'est la très grande différence entre le néolibéralisme anglo-saxon et le nôtre. Celui des pays anglo-saxons fut affirmé et il a eu du poids politique. Margaret Thatcher et Reagan ont été élus avec des programmes ouvertement néolibéraux. En France au contraire le début du néolibéralisme fut exercé en cachette, car la population du pays était beaucoup plus rétive à la globalisation et à la dérégulation économique. C'est ce qui explique en réalité la précocité du néolibéralisme français et sa forme très spécifique par rapport à d'autres. En particulier le fait que certains pensent que la France est un pays de gauche, voir d'extrême gauche parce qu'elle a de grosses dépenses étatiques. Ne comprenant pas que cette dette est surtout le résultat des dérégulations macroéconomiques entamées dans les années 70 et aggravées par le franc fort puis l'euro. En France, on peut dater le retour du libéralisme dans la décision arbitraire qui mit fin au financement de l'état par le circuit du trésor en 1967.
C'est-à-dire avant l'arrivée de la vague néolibérale des années 70-80. Pourquoi est-ce que cette décision fut importante ? Essentiellement parce qu'elle conditionne la suite des affaires publiques. En effet en supprimant le circuit du trésor vous obligez l'état à emprunter sur les marchés financiers, et donc in fine à emprunter avec des intérêts plus ou moins gros suivant les critères arbitraires du marché. Toute l'idée de ce traquenard libéral était de contraindre les politiques économiques par la sanction du marché, la croyance libérale étant que le marché sait toujours mieux que tout le monde ce qui est bon ou pas pour l'économie. Les libéraux avaient toujours en tête cette idée centrale de dépolitiser l'économie, et donc de faire en sorte que l'état en aucun cas n'intervienne dans ce domaine. Et l'imposition de la politique d'emprunt sur les marchés financiers fut la première camisole mise en place. Tout le reste des politiques économiques des années 70 jusqu'aux années 2000 se résuma à un accroissement constant des contraintes économiques sur les états. La dernière camisole fut l'euro, outil terminal de la dépolitisation de l'économie. Évidemment si plus aucun choix économique n'est possible, à quoi servent donc les élections ? Je l'ai déjà dit, mais le libéralisme économique est tout simplement antidémocratique par nature, et donc illibéral sur le plan politique. Nous en avons une démonstration par l'absurde en Europe, où le libéralisme a accouché d'un monstre oligarchique absolu.
Au final, le néolibéralisme est allé beaucoup plus loin en Europe qu'aux USA. Et paradoxalement, c'est probablement l'existence de politiques sociales en Europe qui ont permis au néolibéralisme d'aller beaucoup plus loin dans la déconstruction des politiques économiques publiques. En effet, les politiques sociales ont empêché l'explosion des inégalités comme les USA ont pu les connaître. Cela a rendu la dérégulation plus soutenable politiquement parlant, l'effet secondaire étant l'explosion des dettes et des déficits publics. Et Washington a quand même gardé l'instrument monétaire pour réguler les crises, ce qui explique des taux de croissance moins rachitiques qu'en Europe et des redémarrages plus rapides lorsqu'il y a des crises. Mais le plus gros avantage pour les USA fut que le globalisme y a été un choix assumé politiquement. Et comme ce fut un choix assumé, revenir dessus politiquement fut en fait assez simple. L'élection de Trump qui est officiellement un protectionniste ne choque pas vraiment les Américains qui pensent qu'il s'agit simplement d'un choix contraire à ceux qui ont été faits à l'époque de Nixon. Les Américains, à juste titre, pensent que le libre-échange a fait beaucoup de dégâts chez eux, ils reviennent donc sur ces choix. On reste ici dans un contexte politique et donc démocratique.
Mais en Europe et en France en particulier, ces choix n'ont jamais été faits par les hommes politiques, du moins ouvertement. Aucun homme politique français n'est arrivé au pouvoir en criant on va tout déréguler, ouvrir les frontières commerciales, et cela va être formidable. On a eu des candidats libéraux qui n'ont jamais eu beaucoup de succès électoraux. Il y a bien eu le vote sur le traité de Maastricht, mais le libre-échange et la dérégulation financière avaient été instaurés avant sous l'Acte unique européen avec Jacques Delors comme seul décideur français. Cette façon d'imposer des politiques en catimini est au cœur du problème institutionnel actuel. Les Français dans leur majorité ont compris que les dirigeants faisaient ce qu'ils voulaient sans jamais tenir compte de la volonté populaire. Aux USA on peut croire encore en la politique, en France et en Europe c'est beaucoup plus difficile. Et avec Macron cette réalité est arrivée à produire une forme d'apoplexie nationale. Je pense qu'il ne reste plus que le renversement de régime politique pour nous en sortir. Tous le personnel politique et les hauts fonctionnaires doivent être licenciés et remplacés. Nos institutions doivent être repensées, la constitution réécrite. Et tout cela en prenant en compte la nécessité de rompre avec l'UE et l'euro. Je vois mal le processus électoral produire une telle rupture à moins d'un miracle. Mais je ne crois pas aux miracles.