Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.
Le Programme du RN
Nous avons longuement parlé la dernière fois du programme du Front de gauche qui n'est pas des plus raisonnable ni des plus rationnel en particulier si on le place dans le contexte européen et celui du monde néolibéral et dérégulé. Je note que l'on me dit souvent qu'il y a quand même beaucoup d'eurosceptiques à gauche. J'en conviens tout à fait, tout comme il y en a sûrement beaucoup à droite et au RN. Seulement les partis et la direction programmatique de ces partis ne suivent pas cette tendance. L'idée qu'il pourrait y avoir une rupture avec l'UE et l'euro après ces élections parce qu'il y a justement dans ces groupes des gens qui veulent rompre avec l'UE et l'euro revient à mon sens à prendre ses rêves pour des réalités. Avant de revenir sur le programme du RN rappelons qu'il y avait aussi des eurosceptiques dans l'ancien PS, chez les communistes ou au RPR. Cela n'a pas empêché ces formations de courir vers l'électorat du centre fortement européiste. L'expérience de ces quarante dernières années montre qu'à chaque fois qu'un groupe parlementaire, quel qu'il soit dit choisir entre ses membres eurosceptiques et le centre europhile, il choisit toujours le centre. La raison est essentiellement électorale. Vous pouvez convaincre un type du centre de voter pour vous en faisant quelques concessions européennes. Vous ne pouvez pas convaincre quelqu'un qui est à l'opposé de l'échiquier politique, même s'il est anti-européen, de le faire.
C'est particulièrement vrai pour le RN et LFI qui auto-exclue l'un l'autre en termes de vote. Cette stérilisation électorale permet la domination permanente du centrisme qui impose son agenda européiste à tout le monde même s'il est minoritaire. C'est cette course à l'électorat du centre qui fait tant de mal à la démocratie depuis quarante ans, mais nous y reviendrons ultérieurement en parlant du rôle du RN dans le blocage politique français. Parlons donc du programme. Nous allons prendre des pincettes puisqu'il semble que plus nous nous rapprochons de l'élection plus le programme du RN semble se rapprocher de celui d'un UMP en encore plus soft. Le RN souhaitant vraiment arriver au pouvoir se met à vouloir séduire le centre comme tous les partis cherchant le pouvoir avant lui. Son électorat populaire étant captif, il multiplie les annonces de renoncement vis-à-vis de l'UE en particulier. On a appris il y a peu que le RN renonce à sortir du marché européen de l'énergie. C'était pourtant la seule chose vraiment rationnelle à faire et cela donnait un vrai intérêt au vote RN. Ils vont se contenter de leur très coûteuse mesure de baisse de la TVA sur l'électricité pour plaire encore une fois à l'électorat du centre.
Donc mon analyse va se faire sur le programme affiché, mais aussi en s'appuyant sur les déclarations officielles. Tout ceci change très vite et il faut bien admettre aussi que le calendrier imposé est un vrai problème. Si le chef de l'état avait été responsable, il aurait mis les élections en septembre, mais vous connaissez Macron. Vous pouvez retrouver le programme du RN à cette adresse. Je dirais pour commencer que je ne comprends pas vraiment le choix de Bardella comme représentant du RN à cette élection, ni à la précédente d'ailleurs. Je n'ai rien contre lui, je ne le connais pas vraiment. Mais il me semble quand même qu'un homme ou une femme d'expérience serait quand même plus approprié, surtout pour un poste de Premier ministre. Emmanuel Todd faisait d'ailleurs la même réflexion dans un interview qu'il vient de donner chez Berruyer. Vous pouvez retrouver cette longue interview sur la dissolution à cette adresse. Je reparlerais peut-être de l'analyse de Todd dans un autre texte d'ailleurs. Il ne s'agit pas de critiquer l'âge de Bardella, mais surtout son manque d'expérience. Avant de mettre des gens en ministre, on pourrait quand même exiger un minimum d'expérience au moins en tant que politiques, député, maire, ce genre de chose. Mois même n'ayant aucune expérience dans le domaine, je n'accepterais pas un tel poste ne me sentant pas à la hauteur de l'enjeu. C'est quand même curieux cette multiplication des gens inexpérimentés au pouvoir depuis l'élection de Macron.
On peut dire qu'on traite un peu les postes ministériels comme on traite les postes d'enseignants, en envoyant des bleues sans expérience sur le terrain. La grosse différence étant le niveau de revenu. Il ne faut pas trop être surpris des erreurs gravissimes qui arrivent ensuite. On voit bien ici que la communication a remplacé totalement le sérieux politique. Bardella plaît en partie parce qu'il est jeune donc on l'envoie au casse-pipe comme Attal avant lui. Vous me direz comme il ne s'agit pas de prendre réellement le pouvoir, qui restera à Bruxelles, mais de faire semblant de diriger, ce n'est finalement pas si problématique que ça. Mais parlons des propositions du RN maintenant. Sur l'énergie nous en avons parlé, le RN parle de sortir des règles de fixation des prix de l'électricité. Rappelons que la crise actuelle en particulier les nombreuses faillites d'entreprises que nous connaissons est étroitement liée au prix de l'électricité totalement délirant que nous connaissons depuis deux ans. Ce prix qui est en partie indexé sur le gaz n'a aucun sens en France puisque nous produisons de l'électricité essentiellement grâce à notre parc nucléaire et à l'hydraulique. Comme le rappelait il y a peu de temps Henri Proglio l'ancien dirigeant d'EDF, ces prix n'ont aucun sens puisqu’aucune augmentation des coûts de production n'a eu lieu. C'est juste du pillage par des acteurs privés à travers les mécanismes de ce faux marché de l’électricité. On pourrait aussi penser, à juste titre, que ce mécanisme a d'abord été pensé par l'Allemagne pour nuire à la France qui avait un avantage comparatif de plus en plus énervant pour une Allemagne qui s'est trompé de chemin sur le plan énergétique depuis 20 ans .
Donc on pourrait penser que le RN a ici une bonne proposition même s'il n'affirme pas ouvertement vouloir sortir du marché européen de l'énergie. Cependant, on apprend ce matin que le RN renoncerait à cela comme je l'ai dit précédemment. On est donc dans le flou artistique et sur l'énergie,et ce n'est guère mieux à gauche quand on sait que de nombreux anti-nucléaire participent au Front de Gauche. Le RN parle ensuite de l'annulation de la réforme du chômage, on ne peut que leur donner raison même s'il faut se demander si cette réforme n'était pas une des nombreuses contraintes du fameux emprunt européen lors de la crise COVID. Auquel cas le RN qui ne veut pas rompre avec l'UE pourrait là aussi se raviser une fois au pouvoir. Comme pour le Front de Gauche, je parle ici essentiellement des mesures économiques. Mais le passage sur l'immigration mérite quand même qu'on s'y attarde. Bardella a par exemple annoncé sa volonté de mettre fin au droit du sol. On pourrait dire, encore ? Parce que la droite fait le coup depuis des décennies. Le sujet était déjà abordé sous Chirac et le RPR. Sauf que la France a signé des traités européens et que le droit européen est supérieur au nôtre. La Cour européenne des droits de l'homme cassera une telle décision et le RN ne pourra rien y faire puisqu'il ne veut pas rompre avec le système européen. On se retrouve avec les mêmes contradictions que celle du programme d'Eric Zemmour.
Toujours dans ce domaine de l'immigration, le programme du RN dit texto : « Renforcer les sanctions pour les employeurs de travailleurs clandestins ». C'est bien gentil, mais il faudrait surtout faire déjà appliquer les lois. Or le principal problème en France sur ce plan n'est pas l'absence de lois, même si la question des travailleurs détachés devait être posée, ce que le RN ne fait pas pour plaire sans doute au petit patronat, c'est essentiellement que les lois ne sont pas appliquées. Le nombre d’inspecteurs du travail est absolument dérisoire et il est inférieur aujourd'hui à ce qu'il était en 2011 par exemple. Plus que de nouvelles lois, il faudrait surtout faire un gros effort pour faire appliquer les lois existantes. C'est donc sur la question des moyens d'application de la loi qu'il faut surtout faire un effort, sinon on fait de la pure démagogie. Au passage, on pourrait se demander si le laxisme de l'état à faire appliquer les lois qu'il vote n'est finalement pas volontaire. Une espèce de libéralisme camouflé en incompétence en quelque sorte. Car au final entre laisser faire totalement les entreprises, ou ne pas faire appliquer les lois aux entreprises, on en arrive au même point, celui de la dégradation des conditions de travail pour la plupart des salariés avantageant le patronat au comportement d'exploiteur.
Sur les questions purement économiques tout comme dans le cas du Front populaire, on a des intentions affichées plus qu'un réel programme directement applicable. Alors que la gauche ne pense qu'à augmenter les impôts, le RN ne pense qu'à les baisser. C'est la grosse différence notable, je dirai, mais dans les deux cas on oublie besogneusement de dire comment on fait ou comment on finance certaines mesures. On oublie également la question de l'euro et pour l'Europe on annonce vouloir changer l'Europe, on connaît la chanson. Exemple tiré du programme :
« Négocier une réforme du mandat de la BCE pour la tourner vers l’emploi, la productivité et le financement de projets stratégiques de long terme »
Cette proposition en soi n'est pas folle. Le problème c'est qu'elle est en contradiction totale avec toute la philosophie de l'UE qui est une construction à la fois néolibérale (anglo-saxonne) et ordolibérale (allemande). Évidemment qu'il faudrait une Europe keynésienne, interventionniste et protectionniste. Mais c'est ce que vendait déjà un certain Rocard ou un certain Jacques Delors dans les années 80, on connaît la suite. L'UE ne peut plus être changée et c'est tout le problème. Ce serait peut-être différent si l'UE était restée avec seulement les six membres de départ, mais cette Europe-là n'existe plus depuis 1974. Or je dois le rappeler, on ne fait de politique qu'avec des réalités, et la réalité c'est que l'UE est libérale, elle ne peut pas changer. Je vais arrêter ici, le reste des propositions suivent la même logique, une logique qui exclut les contraintes européennes du calcul. Les propositions sont d'ailleurs déjà très édulcorées sur le plan du protectionnisme par exemple. Alors qu'il nous faudrait un tarif extérieur de protection, des quotas et une dévaluation du franc, le RN propose modestement puisqu'il sait qu'il ne peut rien faire dans l'UE sur ce plan :
« Renforcer les contrôles des importations pour mettre fin à la vente de produits étrangers ne
respectant pas les normes françaises »
Bref, rien susceptible de réellement réindustrialiser le pays. Il y a d'ailleurs un silence radio complet sur la nécessité d'une planification minimale pour y parvenir ou sur les questions des subventions aux entreprises dont j'ai déjà parlé dans le texte précédent. On parle pourtant de dépenses largement supérieures au budget de l'éducation nationale. Mais ce problème n'existe visiblement pas pour le RN.
La fin du théâtre antifasciste ?
En gros, vous voyez que je ne suis pas plus motivé par le programme du RN que par celui de l'autre côté prétendument extrême. En réalité, on voit déjà des programmes très centristes et peu à même de corriger la trajectoire du pays si tant est qu'ils appliquent réellement ces programmes, ce qui est déjà impossible sans rompre avec l'UE et l'euro. On est donc encore une fois sur une élection qui va se terminer en eau de boudin comme on dit. Les nouveaux partis au pouvoir se retrouvant très vite bloqué par les mécanismes européens et néolibéraux. La stratégie des dominants qui a consisté à piéger les peuples par les dettes, la dérégulation financière et commerciale dans les années 70-80 continue de montrer sa très grande efficacité. Il n'y a pas à dire, les promoteurs de ces politiques étaient intelligents même si les effets sur nos sociétés n'ont pas du tout été ce qu'ils pensaient à l'époque. Cette élection ne va donc rien changer de fondamental sur le plan des politiques macroéconomiques que ce soit le Front de Gauche qui gagne ou le RN.
Cependant, il y a quand même un changement potentiel important. En effet, l'un des mécanismes politiques qui bloquent la France depuis 40 ans est intimement lié au FN devenu RN depuis. Il est de notoriété publique que Mitterrand a utilisé l'extrême droite pour se maintenir au pouvoir. L'idée a été d'utiliser Le Pen comme un repoussoir à l'idée nationale dans une période où la gauche avait renoncé à sauver les couches populaires pour réaliser son rêve fantasmagorique de construction européenne. En associant tout attachement à la nation comme un vote RN la gauche à en quelque sorte légitimer la lutte contre la défense de l'intérêt national. C'est d'ailleurs pour ça que la gauche à mon avis n'arrivera jamais à changer quoi que ce soit à la situation française puisque toute sa logique actuelle est antinationale. Ce piège a fonctionné merveilleusement puisque même la droite conservatrice a abandonné toute référence à la nation. Même Chirac s'est gauchisé à l'époque. Le patriotisme est devenu honteux depuis la mise en place de cette stratégie dont même Jospin disait qu'il s'agissait en réalité d'un théâtre. Malheureusement à force de faire souffrir la population et de ne lui donner aucune perspective d'avenir, si ce n'est une lente dégradation de ses conditions de vie, le diable a fini par s'échapper de la boîte.
Le RN est qui est le seul grand groupe à n'avoir jamais accédé au pouvoir, risque maintenant d'y arriver. Parce que les gens testent toutes les possibilités pour s'en sortir. Ils se disent, pourquoi pas le RN finalement ?Mais si une fois au pouvoir le RN devient comme les autres partis un machin centriste et européen, la mécanique du grand méchant fascisme risque de se gripper indéfiniment. S'il y a lieu de se réjouir de l'éventuelle élection de la RN c'est avant tout à cause de ça. Ce parti va devenir un parti normal et la lutte contre la prétendue menace fasciste cessera enfin d'empoisonner le débat public. La gauche ne pourra plus camoufler ses orientations libérales derrière des postures fausses. Et à droite on pourra enfin parler de défense nationale sans avoir peur d'être rattaché à un RN qui aura montré sa faiblesse sur ce plan au pouvoir. Reste à imaginer quel pourraient être les changements sur le plan politique par la suite.