La situation financière commence à inquiéter avec la très forte baisse des marchés financiers japonais. Il faut dire que la bourse japonaise vient de connaître sa plus forte baisse depuis 1987. C'est le résultat à court terme de la faible hausse des taux d'intérêt de la part de la banque centrale japonaise qui vient de rompre avec sa très longue politique de taux zéro. Cette politique des taux bas avait commencé suite aux crises des années 90. Les Japonais ont cependant probablement surestimé les effets des politiques des taux bas et sous-estimé les effets pervers dans une économie dérégulée et complètement incrustée dans la finance mondiale. En effet, si vous raisonnez en circuit économique fermé, la politique des taux bas peuvent augmenter l'endettement privé et participer à la relance d'une demande déprimée. Cependant dans une économie dérégulée sur le plan financier, les étrangers peuvent aussi emprunter chez vous. Depuis 2008, la Boj a maintenu ses taux d'intérêt à zéro, ce qui signifie que même aux USA et en Europe où les taux ont beaucoup baissé suite à la crise économique pour maintenir la demande, les taux restait nettement plus haut qu'au Japon. De fait, les spéculateurs avaient tout intérêt à emprunter en Yen pour prêter en dollar ou en euro.
C'est cette mécanique qui vient de se gripper avec la légère remontée des taux de la Boj à 0,25% provoquant un mini crack de la finance japonaise. Cependant comme vous le savez l'économie mondiale est relativement chancelante avec une Chine qui connaît une forte hausse du chômage et une Europe qui plonge dans la récession la France la première. Même les USA connaissent des difficultés malgré les énormes déficits et l'endettement gargantuesque dont nous avons parlé récemment. Cette crise financière pourrait être le déclencheur d'un effet en cascade typique des systèmes non gouvernables pour les connaisseurs de la science de l'automatique. Car la globalisation a comme caractéristique essentielle d'être sans gouvernail à son échelle. Certes, les USA ont depuis la mise en place de la globalisation servie d'état global en régulant la demande planétaire, mais ils sont désormais trop petits pour vraiment contrôler le système qu'ils ont fabriqué. La dérégulation économique planétaire a jeté l'ensemble des forces productives et des salariés dans une guerre économique sans merci dans les années 70. Et comme nous l'avons vu dans notre texte sur le mercantilisme, ou sur la croissance US, c'est bien l'endettement croissant de certains états qui accumulent les déficits commerciaux qui maintiennent un semblant de croissance mondiale depuis 50 ans.
Dès lors à chaque crise financière la panique arrive, car au fond les autorités des grandes banques centrales et du système financier savent pertinemment que le système global actuel n'est pas viable. Il ne tient que grâce à de grosses rustines financières contrôlées principalement par la Réserve fédérale américaine et au bon vouloir des gros pays à excédent comme les gros producteurs de matière première qui maintiennent artificiellement la valeur du dollar. Mais à chaque crise la peur de la perte de contrôle réapparaît. Cette nouvelle crise ne fait pas exception. Il est trop tôt pour dire si cette crise « japonaise » va s'exporter aux autres bourses même si la probabilité est très forte, le Japon faisant partie des plus gros détenteurs de dette américaine, surtout depuis que la Chine se débarrasse petit à petit de ses avoirs américains. Alors vous me direz que pour une fois la bourse s'alignerait sur la réalité économique de la planète qui n'est guère reluisante en particulier dans les anciens pays industriels largement en déclin.
C'est oublier un peu vite la contrainte dont je viens juste de parler. C'est l'endettement général qui permet le maintien d'un semblant de demande. En effet, la course à la globalisation a fait croître les dividendes des actionnaires, les bénéfices des multinationales, mais il a réduit la solvabilité des consommateurs. C'est d'autant plus vrai que le grand pays qui a profité de la globalisation, la Chine, n'a pas du tout fait croître sa demande au rythme de ses capacités de productions, conduisant le pays à accumuler excédent sur excédent. La Chine a ainsi un taux d'épargne grotesque frôlant les 50% du PIB. Et le pays atteint maintenant presque les 1000 milliards de dollars d'excédent commercial. Si les banques centrales des pays surendettés réduisent leurs injections de dette, le système pourrait simplement produire une panne générale de la demande mondiale entraînant des crises en cascade un peu partout sur la planète. Dans les pays mercantilistes déjà en crise comme la Chine ou pire l'Allemagne, le choc pourrait être terrible.
Remettre la finance dans sa bouteille nationale
Ces crises à répétition ne sont pas le fruit du hasard, mais le produit d'un système dysfonctionnel depuis le début. Les gens l'ont sûrement oublié et c'est peut-être aussi l'effet d'une ignorance volontairement organisé, mais le monde d'après guerre, celui des trente glorieuses a été aussi celui d'un monde sans crise financière. Et pourtant le monde d'après-guerre n'était pas un monde tranquille, il y a eu tout un tas de conflits militaires. Les pays européens ont dû faire face à la fin de leurs empires coloniaux et la France a même dû faire des guerres au Vietnam et en Algérie. Pourtant d'un point de vue économique tout était beaucoup plus stable. La bourse de Paris ne régissait pas vraiment l'économie nationale et peu de gens s’intéressaient réellement aux aventures boursières. Ce n'est qu'à l'arrivée des années 70 que la bourse a repris la place qu'elle tenait avant la crise de 1929 et la Seconde Guerre mondiale. C'est que le monde d'après-guerre avait une vision claire des effets de la bourse et de la finance. Aux USA les lois sur la séparation entre banque de dépôt et banques d'affaires avaient été mises en place sous Roosevelt. En France l'état empruntait à la banque de France pour investir et non sur les marchés financiers.
Les contrôles du change et les taxes sur la circulation financières avaient emprisonné le mauvais génie de la finance dans les frontières nationales. Keynes l'avait très bien expliqué à son époque, s'il était important de maîtriser les frontières commerciales pour éviter les grands déséquilibres, et permettre une régulation de l'économie avec le plein emploi, la finance devait elle être totalement autarcique. Il n'y a en réalité aucune raison pour faire appel à du capital étranger contrairement aux idées reçues. En effet, la seule chose qui demande des devises étrangères est le commerce extérieur. Si vous avez un déficit commercial avec un pays, vous êtes obligé d'emprunter de la monnaie de ce pays pour votre commerce. Mais ce problème après guerre avait été réglé par les droits de tirage spéciaux et la monnaie internationale qu'était le dollar garanti or. La question de la monnaie internationale est donc ici très forte, mais nous en avons déjà largement parlé dans d'autres textes. En dehors de cette question commerciale, il n'y a pas de raison pour faire appel à du capital étranger. Je vais vous apprendre un truc incroyable, mais le capital, ça se fabrique ex nihilo.
Après guerre la France était techniquement ruinée avec une énorme dette et pourtant le pays est reparti très vite. Comment fut-ce possible ? Simplement parce que l'état a émis la monnaie nécessaire au retour de la croissance économique. Si l'excès d'émission monétaire peut être mauvais et produire de l'inflation, la trop faible émission monétaire peut à l'inverse produire des dépressions et réduire l'activité d'un pays en deçà de ses capacités de production réelles. Si vous avez des personnes formées, des machines et de l'énergie pour répondre à vos besoins, il serait stupide de faire vivre votre population dans la misère simplement parce que vous n'avez pas le capital monétaire pour faire fonctionner votre économie. La financiarisation de ces 50 dernières années a fait croire à la population que le capital était une espèce de matériaux rare pour lequel on doit se battre dans une compétition planétaire se faisant à coup de défiscalisation, et de détérioration de l'état providence qui va avec. Il y aurait quelque part une mine productrice de capital et nous aurions tout intérêt à nous battre pour attirer ce capital rare sur nos terres en baissant les taxes au maximum. C'est tout simplement absurde. Les discours grotesques sur le besoin de cajoler financièrement les milliardaires allant dans le même sens.
Un pays qui maîtrise sa monnaie n'a pas besoin d'attirer des capitaux étrangers. Encore une fois, le seul besoin de capitaux que nous ayons est celui concernant le déficit de la balance des paiements. D'où l'importance qu'il y a à réindustrialiser, et à équilibrer la balance commerciale du pays. En dehors de ça, il suffit d'émettre la monnaie nécessaire au fonctionnement du pays sans excès pour que le système fonctionne sans capital étranger. Mieux que ça en fermant les frontières des capitaux et en remettant le contrôle des changes, vous mettez fin à l'évasion fiscale et à l'instabilité produites par les crises financières dont celle qui risque de nous tomber dessus avec les événements actuels. On aurait pu croire que la crise de 2008 aurait lancé les élites dans une réflexion minimale sur l'organisation économique de nos pays, mais il n'en a rien été. Elles ont juste mis le problème sous le tapis en balançant des milliers de milliards d'euros sur les marchés en endettant les puissances publiques et en prenant quelques mesurettes pour faire plaisir au contribuable mis à contribution lourdement.
Malheureusement, un système structurellement instable ne deviendra pas stable par magie. Il n'y a aucune raison à cela. D'autant que la planète échappe de plus en plus aux puissances occidentales en déclin rapide sous l'effet du libre-échange et de la désindustrialisation. Or les puissances montantes ne semblent pas vouloir remplacer l'occident et les USA en particulier en tant que régulateur mondial de l’activité économique. Une telle situation ne peut que produire à terme de plus en plus de crises. Il est plus que temps de réfléchir au fond et à la nature de notre modèle économique. Sans tomber dans les caricatures grotesques de la gauche pseudorévolutionnaire, le capitalisme globalisé où tout le monde achète ce qu'il veut n'importe où n'importe quand n'est qu'une machine à produire des crises, de la pauvreté et des inégalités. Ce globalisme libéral est aujourd'hui tout aussi malade que le modèle soviétique des années 70-80 et il est temps de s'en rendre compte pour essayer d'inventer autre chose en étant un peu pragmatique pour une fois.