Nous abordons souvent la thématique démographique, mais c'est en réalité extrêmement important. En réalité la démographie conditionne en grande partie l'avenir d'un pays et d'une économie. C'est donc quelque chose de totalement indispensable à la compréhension globale de l'évolution de nos sociétés. Il se trouve que l'Insee vient de donner les derniers chiffres de naissances françaises et c'est absolument dramatique. Au moins de juins 2024, il est né dix mille enfants de moins qu'au mois de juin 2019 pour comparer soit une baisse de 16,25% sur cinq ans seulement. Comme vous pouvez le voir sur le graphique de l'Insee, la baisse est constante, elle semble même s'accélérer ces deux dernières années. Nous avons déjà longuement parlé de l'origine de la baisse de la natalité. Il y a de nombreux facteurs à prendre en compte, et même si la baisse globale peut s'expliquer par la transition démographique, les conditions locales comptent aussi beaucoup.
Pendant longtemps la France semblait résister à la baisse très en dessous du seuil de renouvellement situé à 2,05 enfants par femme dans notre pays. Ce seuil prend en compte le léger déséquilibre entre fille et garçon, il naît en général 105 garçons pour 100 filles, ainsi que le taux de mortalité infantile qui certes augmente, ce qui est très inquiétant, mais qui reste pour l'instant à des niveaux infinitésimaux par rapport à ce que l'on pouvait connaître il y a seulement 50 ans. En prenant tout ça en compte, on situe le renouvellement à 2,05 pour la France. Il serait facile de mettre la baisse de la natalité actuelle sur le dos de la crise économique et de la crise immobilière. Il est clair que les critères économiques rentrent en compte particulièrement dans un pays où la mentalité est assez matérialiste et où la raison et le calcul rentrent fortement en ligne de compte pour la fondation d'une famille. Sauf que la crise économique en France n'est pas nouvelle. Le pays va mal depuis les années 70 avec des hauts et des bas. Le dernier gros choix économique fut la crise de 2008-2010. Et j'ai constaté à l'époque de manière assez surprenante que la crise n'avait pas eu d'effet sur les naissances. Ce n'est qu'à partir de 2013-2014 avec la réforme de la politique familiale de François Hollande qu'une rupture s’opère. La corrélation entre cette réforme et la cassure de la natalité du pays est extrêmement forte.
Depuis 2014, c'est la chute libre la France s’alignant sur les standards démographiques de l'Europe. On n'est plus très loin des 1,4 enfant par femme qui est la moyenne de l'UE. Mais la France n'est pas la seule à connaître ce désastre, même en Asie de l'Est où la natalité est déjà très basse, la chute continue. La Corée du Sud est tombée à 0,72 enfant par femme. Autant vous dire que le pays à ce rythme est foutu. Les hurluberlus qui présentent ici l'immigration comme une solution ne comprennent pas que dans ce contexte ce serait simplement une colonisation, les autochtones devenant vite minoritaires à ce rythme démographique. Du reste comme je l'ai déjà souvent expliqué l'immigration ne résout rien et produit beaucoup de problèmes. Les immigrés finissant par faire aussi peu d'enfants que les locaux à terme. Rajoutons à cela que l'immigration va devenir de plus en plus rare dans les trente ans qui viennent, puisque tous les pays du monde connaissent une baisse rapide des naissances. Dans deux générations, il n'y aura plus de source d'immigration à la hauteur des besoins, vers 2050-2060 on devrait connaître une pénurie planétaire de main-d’œuvre. Et même si certains espèrent que d'ici là le progrès technique et les gains de productivité permettront de compenser par la mécanisation et l'automatisation qu'adviendra-t-il de la demande ?
En effet, si les économistes mainstream s'inquiètent régulièrement du manque de main-d’œuvre pour prôner une immigration souvent déraisonnable particulièrement dans le cas de la France. Ils oublient généralement le problème de la demande. Jusqu'à présent, les pays qui connaissent déjà un déclin démographique comme le Japon ou l'Allemagne ont pu compenser les effets par les exportations. Dans le cas de l'Allemagne, ce pays a simplement compensé le déclin de sa demande intérieure par des excédents commerciaux. Elle a en gros exporté ses problèmes chez ses voisins par l'intermédiaire de son commerce. Mais vous comprenez bien que cette fausse solution ne fonctionnera plus quand le monde entier entrera dans le déclin démographique. On constate d'ailleurs la très inquiétante évolution de la Chine qui semble s'orienter vers une solution à l'Allemande. En effet, la Chine est aujourd'hui rattrapée par son déclin démographique. La baisse de la natalité dans les années 70-90 a permis en grande partie la forte croissance du pays, car dans un premier temps la transition démographique produit une forte augmentation de la population active. La transition démographique semble d'ailleurs l'un des moteurs principaux du décollage économique avec l'éducation bien sûre et un état fort et stable. Malheureusement, la transition est un système dynamique avec un début, un milieu et une fin. La Chine arrive à la fin de sa transition et désormais le pays vieilli très vite. D'où la hausse récente de l'âge de départ à la retraite en Chine. Une hausse qui semble mettre en colère les plus jeunes. Mais cela fait sens dans un pays à la natalité de seulement 1,16 enfant par femme encore plus basse qu'au Japon.
Seuls les peuples rejetant la modernité survivront ?
Nous avions longuement analysé l'origine de cette baisse. S'il est assez facile d'expliquer la baisse de la natalité par la hausse du niveau d'instruction chez les femmes, l'urbanisation, la pilule, etc. Il est par contre plus difficile d'expliquer ces taux qui tombent à des niveaux très en dessous de deux enfants par femme. D'ailleurs, la grande erreur de la science démographique fut d'avoir toujours pensé que la transition se terminerait par une stabilisation autour de deux enfants par femmes. Rares sont les démographes à avoir prévu qu'il était possible que l'humanité se dirige vers des taux très en dessous du seuil de renouvellement. Or nous nous dirigeons clairement vers une natalité mondiale en dessous de deux enfants par femmes ce qui aura des conséquences planétaires assez dramatiques contrairement à ce que croient généralement les obsédés de la décroissance démographique pseudoécolo. Dans le texte sur l'origine de la baisse, on avait montré que des sociétés assez disparates et peu impliquées dans l'économie mondiale connaissaient des phénomènes similaires à l'image du Bhoutan avec une natalité à 1,4 enfant par femme. On avait montré que contrairement aux idées reçues, même des pays très traditionnels connaissaient un phénomène de très basse natalité. Ce qui exclut de facto l'hypothèse que le capitalisme et le consumérisme seraient les grands responsables de la baisse de la natalité. Tout comme l'idée que l'individualisme y participerait, c'est plus compliqué que ça.
Cependant, il est évident que le facteur d’organisation sociale et économique joue beaucoup. Pour reprendre l'exemple coréen, c'est assez instructif. La Corée est effectivement symbolique puisque ce pays est coupé en deux depuis la fin de la guerre de Corée en 1953. Une fin relative puisque techniquement aucun traité de paix n'a été signé et les deux Corée sont théoriquement toujours en conflit. Quoiqu'il en soit quand on compare la natalité au nord et au sud on s’aperçoit qu'effectivement le modèle social pèse quand même beaucoup sur la question démographique. Si comme on l'a vu la natalité du sud est extrêmement basse à 0,72 enfant par femme, celle du nord se maintient à un niveau relativement élevé pour la région avec 1,81 enfant par femme. Ce n'est pas le renouvellement, mais rappelons qu'il s'agit d'un pays isolé qui souffre quand même énormément d'embargos de toute sorte même si le pays s'est rapproché récemment de la Russie et de la Chine. En comparant la Corée du Nord et celle du Sud qui est le joyau du capitalisme libéral, on pourrait dire que celle du nord préfère produire des bébés pendant que celle du sud préfère produire des gadgets à destination de l'exportation surtout vers les USA. Deux choix de société donc, mais dont le second est toujours valorisé par rapport au premier, alors que d'un point de vue démographique il est beaucoup moins viable.
Cet exemple est en soi paradoxal, car c'est le pays où l'on vit le mieux d'un point de vue matériel qui fait le moins d'enfants. C'était quelque chose qui pouvait apparaître depuis longtemps puisque tous les pays riches sont passés par la transition démographique avant les pays pauvres, mais il s'agissait de pays aux cultures et aux mœurs variés. Là on a une même population avec une même culture qui vit sous l'autorité de deux modèles économiques différents divergeant complètement sur le plan démographique. Mais c'était déjà le cas de l'Allemagne, de l'Ouest et de l'Allemagne de l'Est. En effet, avant la réunification, la RDA faisait plus d'enfants que la RFA, et la réunification a entraîné un alignement de l'Est sur l'Ouest, malheureusement pour l'Allemagne. L'on entend généralement toutes les critiques possibles sur les régimes dits communistes, même s'il est assez douteux de parler vraiment de communisme pour la Corée du Nord. Mais nous ferions mieux de nous poser la question de savoir pourquoi ces régimes alternatifs permettent une meilleure natalité que les nôtres. Peut-être, le fait que les populations n'aient pas comme seul intérêt dans la vie l'accumulation de bien permet de construire finalement une société plus saine et équilibrée. Ceux qui vendent les sociétés où l'on travaille 70h par semaine ne sont-ils pas finalement des malades de l'âme tombée dans le piège du protestantisme pour qui, le temps, c'est de l'argent, alors qu'on devrait travailler pour vivre et non vivre pour travailler.
Et si j'ai pris l'exemple du petit Bhoutan pour montrer que la transition démographique touchait même les petits pays traditionalistes et isolés, il y a aussi des contre-exemples. Aux USA les communautés amish semblent résister totalement à la transition démographique. Leur population croît à un rythme invraisemblable et double tous les 25 ans environ avec une natalité à cinq enfants par femme. Depuis l'an 2000, la population amish en Amérique du Nord a augmenté de 110% . Ils sont désormais environ 380000. C'est assez drôle quand on pense que les amish sont originaires d'Alsace, un endroit à basse fécondité aujourd’hui et qu'ils parlent un patois germanique. Pourtant à très long terme ils pourraient devenir les derniers héritiers de l'occident et de l'Europe puisqu'ils sont les seuls à résister pour l'instant à l'effondrement démographique. Peut-être que finalement nous assistons à l'échelle globale à une sélection darwinienne qui fera disparaître les peuples aux modèles sociaux incapables de renouveler les générations pendant que les sociétés archaïques, mais résistantes à la modernité seront les seules à perpétuer l'espèce. Le monde de l'an 2500 risque de ne pas du tout ressembler aux fantasmes des globalistes libertariens qu'on nous prône depuis 50 ans finalement.