Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.
Ainsi donc, l'histoire semble ne jamais vouloir se terminer. À l'aune de l'affaire ukrainienne, comment ne pas rire des propos de Francis Fukuyama qui nous annonçait la fin de l'histoire dans les années 90 au moment même où la Russie semblait rejoindre le club des démocraties libérales d'occident. Emmanuel Todd lui-même s'était assez largement moqué de cette pensée même s'il avait finalement rejoint l'idée en mettant un sens de l'histoire mue par la hausse progressive du niveau scolaire comme moteur. Cette hausse du niveau scolaire devait d'après Todd faire converger en partie des nations en faisant augmenter l'individualisme et l'attachement aux libertés individuelles. C'était dans « Après l'Empire ». Œuvre majeure de Todd, mais au combien fausse sur bien des plans. Todd n'avait ainsi pas prévu que l'Europe occidentale s'effondrerait à son tour dans le maelström du libéralisme total. Le déclin de l'empire concernait finalement aussi la vielle Europe. Alors que Todd voyait à l'époque se confronter la puissance en déclin des USA avec une Europe qui l'aurait en quelque sorte remplacée. Au final, ce que Todd ne pensait pas qu'il adviendrait est finalement arrivé. On peut aujourd'hui vraisemblablement décrire l'occident comme un système oligarchique inégalitaire et violent déclenchant de multiples conflits à travers le monde pour maintenir ses prétentions et ses équilibres internes. Les USA loin de s'être affaiblis ont au contraire totalement pris le contrôle du continent européen par l'entremise de leur machine de corruption. Le fait est que la France, jadis nation indépendante, s'est aujourd'hui muée en sous-fifre des USA. Et la mutation est totale puisque l'alignement géopolitique s'est même aggravé avec le remplacement de Sarkozy l'américain par Hollande encore plus atlantiste.
Cette mutation qui voit l'UE se transformer en extension du pouvoir impérial US n'est cependant pas une grosse surprise pour quiconque s'est un peu intéressé à l'histoire de la construction européenne. Mais il est tout de même surprenant de voir à quel point les pays de l'UE sont attachés à l'abandon total de toute forme de souveraineté. Les élites européennes se comportent comme si finalement il était infiniment plus intéressant pour elles de n'avoir aucun pouvoir que d'exercer celui-ci. Todd voyait l'attraction du modèle inégalitaire américain des élites du monde comme un des effets du blocage des niveaux scolaires des strates supérieures. Les élites scolaires bloquées à environ 20 à 30 % de la population réintroduisant la notion d'inégalité là où l'instruction de base généralisée avait laissé une société plutôt égalitaire. De fait, l’Amérique des années 2000 était devenue le champion de l'inégalité dont le modèle se devait d'être imité non pour son succès économique très relatif, mais pour ses capacités inégalitaires. Dans cette perspective la France et sa doctrine républicaine égalitaire ne pouvaient qu'être rejetées par des élites, y compris les siennes. Si l'explication est séduisante et répond en partie à l'étrange orientation inégalitaire des peuples avancée où partout se dégrade la démocratie, cela n'explique cependant pas pourquoi on assiste à une décomposition du pouvoir politique plus qu'à un retour à l'ancien régime. Et c'est l'opposition avec la Russie qui démontre en partie cette décomposition.
La décadence d'homoéconomicus, le jouisseur immédiat et collectivement irresponsable
Je dois admettre que le lien entre accroissement du niveau scolaire et hausse de l'individualisme m'a toujours paru peu fiable même s'il s'agit d'une des bases de la théorie toddienne. J'ai toujours plus vu l'individualisme comme l'axiome des civilisations d'occidents que comme le résultat de la hausse du niveau scolaire. De fait, il ne me semble pas que la hausse du niveau scolaire ait réellement entamé le nationalisme nippon. Pas plus qu'il ne semble le faire en Corée du Sud pays au niveau scolaire extrêmement élevé et bien peu individualiste. Je ne parlerai pas de la Chine où l'ombre d'un abaissement du niveau de nationalisme n'est même pas visible malgré une prodigieuse ascension du niveau scolaire. De fait, il me semble que beaucoup de peuple et de pays semblent résistants à la décadence libérale occidentale, des pays où pourtant la transition démographique et scolaire est tout aussi avancée que chez nous. Il y a bien sûr l'explication des structures familiale, mais cela ne me convainc pas plus de l'automatisme qu'il y aurait supposément entre hausse du niveau scolaire et hausse de l'individualisme. Je vois bien plus l'effet culturel de l'influence des modes de consommation. Sans parler de l'effet à long terme de la pensée cartésienne elle-même, qui segmente et compartimente la réalité dans l'esprit des individus. Comme le disait Keynes, il ne faut jamais sous-estimer les effets des idées même anodines à long terme, elles peuvent restructurer des sociétés entières à l'image du christianisme sous l'Empire romain. Le libéralisme mène sa propre vie et ne voir dans la domination de cette idéologie que le simple effet de la hausse des niveaux scolaire ne me semble pas vraiment pertinent. De toute façon, le fait est que, quelle que soit l'origine de l'explosion de l'individualisme celui-ci a bel et bien un effet politique et macroéconomique en occident.
J'ai souvent parlé sur ce blog des effets néfastes sur le plan macro-économique. Le principal problème étant l'incapacité des individus à penser la société comme un mécanisme collectif dans lequel chacun est à la fois bénéficiaire et créateurs du bien commun. L'individualisme pousse au contraire la population à se comporter comme si toutes ses propres actions, ses propres gains, n'étaient dues qu'à son propre travail et à son propre talent. L'une des conséquences est la multiplication des discours poujadistes traitant tel ou tel groupe responsable de tous les maux des fonctionnaires, aux immigrés, en passant par les jeunes, les vieux, les femmes, etc. L'individu occidental sait bien mettre en valeur ses propres mérites, mais ignore parfaitement ce qu'il doit aux autres. L'on pourrait ici rapprocher ce comportement économique lié à la culture libérale, des comportements sur le plan affectif. Tout comme l'individu libéral devient irresponsable sur le plan social et économique, il le devient également d'un point de vue familial. Préférant son propre plaisir à l'effort de se plier à l'exigence que nécessite la vie collective. L'instabilité des familles modernes est un exemple frappant de cette évolution culturel. Du célibat généralisé aux divorces multiples, en passant par les enfants rois qui manquent singulièrement d'autorité parentale. L'individu roi du monde occidental moderne n'en finit pas d'avoir des conséquences collectives désastreuses. On peut parler ici d'une culture littéralement mortifère puisqu'elle détruit la capacité même de la société à transmettre les valeurs qui lui permet de se perpétuer. On juge souvent la France comme un avion sans pilote, mais c'est également le cas de tous les grands pays d'occident y compris l'Allemagne. Mais l'origine de ce phénomène n'est pas dans le capital, ou la corruption, c'est confondre à mon sens les symptômes du mal et sa cause. C'est lié essentiellement à la culture profondément individualiste qui pétrit notre population et nos élites.
La Russie révélatrice de la faiblesse occidentale
On pourrait presque dire de l'occident qu'il est aujourd'hui une civilisation en perdition, un bateau ivre qui navigue au milieu des flots sans savoir où il va. Cette réalité est l'arrivée à complétude d'une culture qui nie toute forme de relation collective et de lien social. Une civilisation qui depuis deux siècles n'a cessé de rire et de dénigrer toute forme de contrainte s'appliquant à l'individu. Bien évidemment, cette culture libérale a mis du temps pour chasser les anciennes formes de pensée. L'esprit de groupe résultant de la foi religieuse, nationale, et autre, a longtemps empêché l'arrivée à complétude du projet libérale. Et l'homoéconomicus ne fut longtemps qu'une élucubration fantasmagorique. Mais force est de constater que nous arrivons finalement au bout de la course et que la culture libérale a maintenant réellement triomphé de toutes ces résistances. L'individu est tout, la société n'est rien, tel est le nouveau credo. Malheureusement, les premiers effets semblent confirmer la non-viabilité de cette nouvelle culture occidentale. La crise économique est l'apparence matérielle de cette crise mentale qui détruit nos sociétés, tous comme l'adulation de l'inégalité. Mais c'est sur le plan géopolitique que l'individualisme occidental semble bien donné toute sa force autodestructrice.
L'affaire ukrainienne a ceci de particulier qu'elle se trouve à la croisée de plusieurs champs de crise à la fois. D'une part la crise économique de l'Europe de l'Ouest qui n'en finit pas de pratiquer des politiques économiques contraire au bon sens collectif le plus élémentaire. S'affairant à piller encore plus les pays les plus faibles selon le principe inverser de la solidarité qui doit d'abord aider le plus faible. Ainsi l'UE qui porte le boulet incommensurable d'une monnaie absurde et idéologique, ajoutent à sa peine les effets délétères d'une pratique qui consiste à détruire les plus faibles plutôt que de les aider à s'en sortir. On voit en Grèce et en Espagne les étranges effets de la solidarité par le pillage généralisé. Ce comportement ne choque pourtant personne en haut lieu et pourtant aider les pays en appauvrissant leur population au nom de critères abstraits est un oxymore évident. Mais nos technocrates sont à l'image de leur comportement hautement individualiste, pour eux les pauvres sont pauvres parce qu'ils le méritent. Et les riches ne le sont que par leur talent. Il s'agit là d'un des piliers de la culture libérale après tout. Pourquoi s'étonner de sa résultante collective ? C'est en partie l'aide empoisonnée de l'UE qui produit ses effets secondaires en Ukraine. L'affaiblissement de la position de l'occident dans ce pays et le partage de sa population sur l'orientation ou non vers l'occident, tient en grande partie à l'échec constant des politiques économiques de l'Ouest et à sa vision libérale de l'économie. Une partie des Ukrainiens a probablement peur d'être « aidée » par l'UE comme les Grecs l'ont été. On ne saurait leur en vouloir d'hésiter à prendre les potions amères de l'occident qui transforme des pays développés en pays du tiers monde. En ce sens, il est encore étonnant de voir des Ukrainiens vouloir rentrer dans l'UE. Tout comme il est étonnant de voir encore d'autres peuples vouloir adhérer à ce glacis macroéconomique.
L'autre champ de crise de l'Ukraine est la contrainte énergétique. Nous le savons, les énergies fossiles s'épuisent. Il s'agit là même de la grande contrainte qui va peser sur les affaires du monde pour les 20 prochaines années. Or il se trouve que si l'Ukraine n'a pas de ressource elle est cependant le passage obligé du gaz russe. L'interdépendance évidente des intérêts de l’Europe de l'Ouest avec la Russie est niée par un raisonnement en tranche saucissonnée. Les individualistes dirigeants l'Europe oubliant ce léger détail dans leur grande inconséquence à provoquer l'ogre Russe. Et les menaces économiques sont juste risibles, la coupure de gaz aurait des effets bien plus immédiats que les rétorsions économiques européennes. D'autant que la Russie pourra toujours s'appuyer sur la seule superpuissance industrielle réelle à savoir la Chine. Le manque de responsabilité sur les questions énergétique est d'ailleurs largement démonstratif du peu d'intérêt que porte nos élites sur le futur collectif de leur nation. Y a-t-il seulement une personne dans nos ministères pour se demander comment fonctionneront nos armées sans pétrole ? Sur ces questions comme sur toutes les autres c'est l'intérêt individuel qui prime. On parlera d'écologie pour sauver la planète parce que ça plait au public. On dira stupidement que l'on va arrêter le nucléaire même si c'est totalement irresponsable, mais ça plait à la presse. Et on ignorera totalement les alternatives réelles, parce que tout le monde s'en fiche. Sur les questions énergétiques comme sur l'écologie, le discours public est rétréci au simple dictat de la communication et de l'intérêt personnel des élites individualistes d'occident.
Enfin dernier champ de crise, le champ culturel. Nous avons affaire à un véritable choc de culture entre la Russie et l'occident. Un choc qui va bien au-delà de la simple altercation géopolitique. Après tout des altercations il y en a toujours et il y en aura encore. Mais ici ce choc est caractérisé par l'absence totale de réflexion collective de la partie occidentale qu'elle soit européenne ou américaine. On a eu l'impression que les Russes étaient seuls. Littéralement. L'occident passant son temps a lancé des menaces sans queue ni tête pendant que la Russie fit une démonstration de force physique. Il se trouve que par un étrange concours de circonstances la vieille Russie est aujourd'hui le dernier bastion en Europe de la grande politique, celle que nous pratiquions nous même il y a quelques décennies seulement. Une politique qui peut bien évidemment être critiquée, fausse, et cynique, mais une politique cohérente et pensée. En face de cela l'occident semble n'agir sans aucune espèce d'intelligence, sans la moindre parcelle de pensée collective. Cela vaut également pour les USA, la puissance droguée à l'impression monétaire et dont l'économie est un casino géant vivant à crédit vis-à-vis de l'extérieur. Les Occidentaux font maintenant de la géopolitique comme ils font de l'économie, par un amoncellement de mesures incohérentes dont le seul fil directeur est l'intérêt à court terme des dirigeants politiques eux-mêmes.
On comprend dès lors pourquoi Poutine dérange. Angela Merkel a eu cette étrange réflexion en disant du président russe qu'il vivait dans un autre monde. Qu'il avait perdu tous sens des réalités, mais de quelle réalité parle telle la chancelière allemande ? De cette réalité qui fait que l'Allemagne détruit commercialement ses voisins et qu'elle organise sa propre extinction démographique sans que cela ne semble le moins du monde inquiéter les élites du pays ? Une Allemagne qui fait une course à l'excédent commercial sans se soucier des conséquences macroéconomiques ? On se demande effectivement dans quel monde vivent les élites d'occident. Et effectivement, voir un dirigeant agir pour d'autres considérations que sa propre réélection et pour son image médiatique doit avoir de quoi choquer un esprit purement libéral et individualiste. En fait la Russie vient de donner un choc du réel à nos élites. Elles semblent entrapercevoir le déclin des sociétés dans lesquelles elles vivent sans vraiment comprendre qu'elles en sont responsables. Mais rassurons-nous, elles auront vite fait de retourner à leurs occupations si importantes du mariage gay aux atermoiements sur l’archaïsme du système social français. D'ailleurs, la commission européenne vient de mettre sous surveillance la France. Elle dépense trop et ne fait pas assez d'efforts pour résoudre ses grands déséquilibres. À quand la potion grecque pour la France ? En attendant, la Russie continuera à améliorer sa situation économique et à faire de la grande politique pendant que nos élites continueront à détruire leur nation pour sauver leurs postes politiques et leur petit intérêt particuliers. Rira bien qui rira le dernier. Avec de la chance dans quelques années les chars russes iront jusqu'à Paris et il n'y aura vraisemblablement plus grand monde pour s'y opposer.