Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.
Cela fait plusieurs décennies maintenant que la France est entrée en régression économique et sociale. Près de quarante ans que le progrès social, hérité des réformes économiques d'après-guerre, est attaqué de toute part. Nous arrivons probablement à la destruction des derniers restes de la période des trente glorieuses. On peut désormais raisonnablement tabler sur la destruction à court terme de la sécurité sociale, de l'éducation nationale et du système de retraite par répartition. Sans une peu probable révolte de la population, ces derniers acquis sociaux disparaîtront et plongeront la France puis l'Europe de l'Ouest dans une crise économique encore plus grave qu'elle ne l'est actuellement. Il est étrange de voir avec quelle facilité la population moderne s'est finalement résignée à accepter des politiques d’appauvrissement alors que pourtant le progrès technique continu. À tel point que l'on a désormais complètement décorrélé le progrès scientifique et technique du progrès social et humain. Il s'agit là d'une prouesse tout à fait invraisemblable. On en est même arrivé à une telle régression mentale que le progrès technique en lui même est accusé de tous les maux de toutes les catastrophes qui s'abattent sur la population.
Alors qu'hier il y avait une association naturelle du progrès technique et humain, l'on voit aujourd'hui poindre une opposition quasi systématique entre les deux. Comme le note bien Jean de Kervasdoué dans un article publié sur Marianne en février dernier, le progrès technique n'est plus vraiment considéré comme une bonne chose. Il parle de la gauche française, mais c'est également vrai à droite. Et je ne parlerai pas de l'extrême droite qui se passionne pour le retour à la terre qui ne ment pas n'est-ce pas ? Mais nous vivons à mon sens dans une illusion d'optique et les modernes ont tendance à confondre cause et conséquence. Ce dont nous souffrons n'est pas lié à la technologie, mais à un système de domination économique d'une petite élite qui utilise le progrès technique à son seul profit à court terme. Mettre fin au progrès ne mettra pas fin à la rapacité des rentiers et des multinationales. Après tout l'Europe a bien vécu pendant des siècles de stagnation techniques accompagnés d'un modèle économique de type féodal. L'inégalité n'a pas besoin de la science, mais le progrès social et humain lui en a besoin. Ce que les défenseurs de l'écologie bonne enfant ont tendance à oublier.
La productivité physique est la seule source d'enrichissement réel
En ces temps de chômage de masse, l'on s'invective souvent à coup de formules toutes faites. Comme s'il y a du chômage, c'est la faute aux robots et à l'automatisation. Si cette hypothèse à première vue peut sembler logique à tout individu peu renseigné sur l'histoire économique, cette logique est pourtant contraire à la réalité historique. J'inviterai ici mes lecteurs qui ne l'auraient jamais lu à lire Jean Fourastié le père du terme des trente glorieuses, pour comprendre à quel point l'amélioration technique a conditionné l'élévation générale du niveau de vie. Et il faut bien voir que les gains de productivité actuels, ceux de l'industrie, ou de l'agriculture, sont assez loin des niveaux que l'on a pu atteindre avec la révolution du fordisme. En effet lorsque la Ford T révolutionna les modes de production industrielle, on a connu des gains sans commune mesure avec ce que l'on avait connu avant ou ce que l'on connait aujourd'hui. Ainsi la réorganisation par la spécialisation du travailleur va faire passer le temps de montage du châssis d'une Ford T de 728 mn à seulement 93 mn. Et le prix moyen d'une FordT à son époque fut de seulement 825 $ contre 2000$ pour ses concurrents. Et grâce à l'économie d'échelle, son prix tomba à seulement 290$ en 1927. C'est en partie les formidables gains de productivité des méthodes de Ford qui créèrent la crise de 1929. Parce que la demande ne pouvait suivre les gains de productivité trop rapide. Comme l'a si bien décrit Keynes à l'époque c'était une crise de croissance et non une crise de fin du monde ou de régression. Nous ne savions que faire de la richesse potentielle que la science, la technique, les changements d'organisation nous avaient procurée. Les politiques sociales et la régulation étatique vont être les réponses apportées à cet enrichissement soudain, car il fallait permettre à la demande d'absorber la production à niveau tel que le plein emploi soit garanti et la paix sociale maintenue. C'est une leçon que l'on a malheureusement oubliée aujourd'hui.
Dans les années 50-70, la France avait des gains de productivité de l'ordre de 5 % par an en moyenne, on est à 1 % aujourd’hui. Il est donc aisé d'infirmer l'hypothèse de la productivité du travail comme source du chômage. En vérité, c'est lorsque les gains de productivité étaient les plus forts que notre taux de chômage était le plus faible. Encore une fois, le progrès technique produit des changements qui influent nécessairement sur l'organisation de la société. Il faut absorber ses gains de productivité en consommant plus ou en réduisant le temps de travail pour que cette productivité ne produise pas de chômage. Ce n'est pas la technique qui est responsable du mauvais usage qui est fait des gains de productivité. Ce sont les politiques employées. En l’occurrence l'occident est revenu à sa manie près fordisme de concentrer les richesses nouvelles vers le haut de la société. Le niveau d'inégalité ayant rejoint celui du début du 20e siècle aux USA. La crise mondiale actuelle de surproduction est le fruit de l'inégalité dans la répartition du revenu. Elle-même engendré par le libre-échange et la dérégulation économique. Le chômage n'est pas directement le résultat du progrès technique.
Une société techniquement avancée ne peut pas fonctionner correctement avec de forte inégalité à cause de la faible capacité consommatrice des riches. Comme l'avait démontré Keynes, et comme le démontrent certaines évolutions actuelles la propension à consommer décroit avec votre revenu. Ce simple fait tend à accroître l'épargne non utilisée dans les sociétés fortement inégalitaire, ce qui finit par détruire le capital lui même en cassant la rentabilité des entreprises. En effet l'épargne disponible s’accroît, mais les entreprises n'arrivent pas à vendre leurs produits en quantité suffisante faute de clients. La consommation des riches ne compensant pas l'appauvrissement du reste de la population. En accusant le progrès technique, on inverse donc la cause et l'effet. Ce n'est pas le progrès technique qui accroît les inégalités et le chômage, mais les politiques favorisant les riches qui transforment les gains de productivité en chômage de masse.
La décroissance: la nouvelle idéologie du capital ou résignation fataliste ?
Mais cet acharnement anti-scientifique ne touche pas seulement que la question économique à proprement parler. Dès qu'il y a un sujet concernant la technique où la science il est systématiquement regardé sous l'angle unique des risques, et très rarement sous ses aspects positifs. Je ne dis pas bien évidemment que tout apport technologique est sain par nature ou bon pour la société, mais il n'est pas non plus nécessairement mauvais. Entre le délire du risque zéro et les anti-généralistes des OGM au nucléaire, on risque la paralysie à long terme. Va-t-on à l'avenir voir la France devenir un pays obscurantiste ? Car si l'on ajoute à cela le désintérêt pour les sciences que l'on constate chez les jeunes et la dégradation de l'enseignement en mathématique et en science en général on a de quoi se pose la question. À ce propos je vous invite à lire ce texte de Laurent Lafforge qui est assez édifiant sur l'état de l'enseignement en France. Quoi qu'il en soit il est tout à fait stupéfiant de voir cette dégradation de l'engouement pour la science en général coïncide avec la dégradation progressive de la situation économique.
L'on pourrait ici être tenté par un raisonnement classique de type accusatoire en se demandant à qui profite le crime. Après tout, avoir une idéologie qui glorifie la dégradation du niveau de vie est passablement pratique pour l'intérêt de la rente et des multinationales. Appauvrissez-vous dans la joie, est en effet des plus bénéfique aux dominants du système. Il remplace assez bien les croyances religieuses classiques qui ont si longtemps protégé les intérêts des puissants. Ce serait un nouvel opium du peuple en quelque sorte. Mais l'engouement pour la décroissance tient probablement plus d'une accumulation d’événements. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'écologie a atteint de telles proportions sur le vieux continent allant jusqu'à pousser l'Allemagne à arrêter le nucléaire sans réflexion. Notre continent aujourd'hui semble épuisé par l'histoire, mais surtout épuisé de sa non-existence. Le fait est que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale l'Europe est sortie de l'histoire. Elle l'a subit plus qu'elle ne l'écrit la faute à une situation de quasi-colonialisme qui s'exerce sur elle par l'intermédiaire de l'autorité américaine. En renonçant à leurs souverainetés, les peuples d'Europe ont en quelque sorte perdu le goût de vivre.
Un peu comme un enfant qui serait resté trop longtemps sous la tutelle de ses parents l'Europe s'est mise à vivre sans réfléchir aux contraintes du réel. L’extraordinaire irresponsabilité des élites du continent par rapport à l'affaire ukrainienne en est un exemple récent. L'Europe n'imagine plus l'avenir, elle laisse à d'autres la possibilité de le réaliser. Les Européens s'enferment systématiquement dans le négatif, le pessimisme. On peut en quelque sorte voir notre continent comme un être atteint de mélancolie autodestructrice. La décroissance devient dès lors une justification à cette autodestruction économique et démographique, je me suicide parce que c'est mieux pour le monde et pour la planète. Parce que nous n'avons pas le courage collectif d'affronter nos peurs, nous nous enfermons dans des non-solutions autodestructrices. Nous nions toute possibilité de vie même différente.
Pourtant de nombreuses solutions existent et peuvent être imaginées à nos problèmes. J'en ai souvent parlé ici, mais pour les questions d'énergie rien n'est absolument impossible. Si nous pouvions avoir un débat public sur le nucléaire sans avoir affaire aux dogmes et à la démagogie des médias de masse l'on pourrait par exemple mettre sur la table la question des réacteurs nucléaires au thorium. C'est une solution technique élégante qui nous permettrait à la fois de nous passer de l'uranium et de retraiter une partie de nos déchets nucléaires, le tout avec des réacteurs infiniment plus sûrs que ceux à l'uranium. De la même manière au lieu d'avoir un discours obscurantiste sur la question des OGM, nous ferions mieux de nous demander la place que doit prendre le secteur privé dans cette recherche. Car le problème réel n'est pas les OGM, mais l'usage qui en est fait. Le problème c'est le brevetage du vivant et la volonté de création de monopoles privés qui rêvent de dominer la planète en contrôlant la nourriture et les semences. Or malheureusement le discours public se résume souvent à être pour ou contre les OGM ce qui est absurde. Sans parler du fait que faute de budget de recherche ce sont surtout les USA et les pays asiatiques qui feront l'histoire de cette science. Là encore, laissons les autres décider pour nous. Enfin comment ne pas voir l'incroyable fermeture d'esprit dont on fait preuve les médias français sur la question du réchauffement climatique anthropocentrique. Jusqu'à maintenant il était pratiquement impossible de remettre en cause cette question-là sans être accusé de défendre des lobbys comme si l'écologie n'était pas un lobby puissance chez nos médias. Là encore l'accusation de l'homme comme étant responsable de tout les problèmes étaient systématiquement acceptés et son contraire démenti sans avoir besoin d'être démontré en aucune manière. Et pourtant les preuves disqualifiant le discours réchauffiste existent. Mais on n’a même pas cherché à vérifier les discours et les faits. Peu importe tant que nos peuples peuvent se complaire dans la justification de leurs propres suicides.