Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.
Le temps semble s'accélérer en France et notre société ressemble de moins en moins au dépliant touristique habituellement formulé. La France, terre de liberté de pensée, et société des lumières, est de plus en plus une simple vue de l'esprit. Notre pays accumule des lois de plus en plus liberticides depuis des années maintenant avec des prétextes souvent différents, hier le terrorisme, aujourd'hui la sécurité des personnes en ligne. Le dernier coup de massue est donc une loi contre l'outrage en ligne pour soi-disant lutter contre le cyberharcèlement. L'outrage est bien évidemment une notion extrêmement floue qui permet des interprétations multiples. En un sens, il s'agit de l’introduction du délit de blasphème puisque tout religieux pourra par exemple se sentir très honnêtement outragé par des caricatures pour donner un exemple. Neuf ans seulement après les événements de Charlie Hebdo, il y a quelque chose d'absolument dramatique à voir cette dérive de plus en plus liberticide, alors que tout le monde ou presque se disait à l'époque « Charlie » . On peut se demande, si finalement, ce mouvement n'a pas été un peu le chant du cygne de la liberté d'expression. Et il faut bien reconnaître que ce qui a motivé les mouvements à l'époque n'était pas la liberté d'expression, mais la peur de l'islamisme. Car peu de gens aujourd'hui semblent s'inquiéter des dérives de plus en plus fortes de nos gouvernants contre la liberté d'expression et la liberté de penser. Au contraire même ces dérives semblant normales pour beaucoup de droite à gauche du spectre politique.
Il est très probable qu'en pratique ce type de lois ne servent en fait qu'à protéger le pouvoir et les journalistes de toute critique. L'objectif n'est pas tant de multiplier les procès, ce qui serait difficile avec un système judiciaire qui est déjà au bord de l'apoplexie, que de pousser les gens à l'autocensure. Car la majorité des citoyens n'ont guère envie de se retrouver avec des procès simplement pour avoir exprimé une opinion . Quand à la justice on sait depuis longtemps que son efficacité diverge fortement suivant les populations qui y font appel. La célèbre maxime de Lafontaine n'a pas pris une ride en réalité :« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. ». Donc toute loi qui se propose de limiter la liberté d'expression en voulant chasser les « fake news» ou d'autres expressions ne vise en réalité qu'à confier la seule liberté d'expression qu'aux mains des gouvernants, des riches et des puissants. Cependant si ce comportement d'autocrate de plus en plus assumé par le pouvoir peut s'expliquer par la logique des intérêts, Macron et son gouvernement étant clairement incapables d'assumer la réalité des conséquences de leurs politiques désastreuses, ce n'est pas la seule explication à cette dérive.
Une société sans citoyen
Tout d'abord, la dérive visant à limiter la liberté d'expression est assez ancienne. Pour tout dire, je pense que le début de cette dérive peut avoir une date, il s'agit de la mise en œuvre de la fameuse loi Gayssot, ou loi dite mémorielle. Elles partent elles aussi d'un but en apparence honorable puisqu'il s'agissait de mettre fin à la remise en cause de l'holocauste par certaines personnes par exemple. Cette loi date de 1990. On peut donc dire que la liberté d'expression a commencé à être mise sous cloche dès cette époque. Mais que le lecteur de ce petit blog me comprenne bien. Il ne s'agit pas ici de dire que la critique par exemple de l'existence de l'Holocauste est fondée, il s'agit de comprendre qu'à partir du moment où l'on commence à limiter les sujets d'expression le principe même de la liberté d'expression est en danger. Parce que la liberté d'expression part du principe que chaque citoyen est apte à juger du vrai et du faux par lui-même. Qu'il peut décider en son âme et conscience de la véracité des propos tenus par chacun. La liberté d'expression considère que le citoyen est un être adulte qui est capable de donner son opinion en fonction des débats et des données qu'il détient. À partir du moment où vous introduisez des limites à cette expression, vous remettez en question cette citoyenneté et le fait que votre démocratie est basée sur l'expression des opinions individuelles. En un sens, vous infantilisez le citoyen qui n'est donc plus vraiment un citoyen, mais à nouveau un sujet. Un sujet qui se doit d'obéir sans trop réfléchir aux actes et aux desiderata des puissants qui le gouvernent et qui savent mieux que lui ce qui est dans son intérêt.
Accepter la liberté d'expression c'est donc aussi accepter qu'il y ait des idiots pour penser que la terre est plate par exemple. Parce que l'on pense que dans leur très grande majorité les citoyens auront l'intelligence de ne pas entrer dans ce type de délire. La liberté d'expression est donc aussi la liberté d'expression des imbéciles, des révisionnistes et même des racistes. Mais je pense que le coût est largement inférieur aux gains qu'elle procure en permettant à la vérité de faire son chemin par la contradiction des arguments. Rappelons que le principe même de notre justice est basé sur la contradiction, même les pires assassins ont droit à une défense et à des avocats parce que c'est de la contradiction que la vérité se fait jour. Une chose que nos journalistes et nos politiques ont aujourd'hui complètement oubliée pour protéger leurs vanités et leurs croyances. Pour revenir aux lois mémorielles où l'état se met à faire de l'histoire officielle alors que normalement il s'agit du travail des historiens, il est assez démonstratif que ces lois arrivent seulement deux ans avant la catastrophe du vote sur le traité de Maastricht. Ceux qui ont connu les débats à l'époque se rappellent forcément de l’asymétrie qu'il y avait entre les défenseurs du non et ceux du oui, les médias donnant largement l'avantage aux seconds. Cela m'avait marqué à l'époque alors que j'étais très jeune n'ayant pas l'âge de voter et pas du tout politisé. En un sens, ces lois liberticides ont été le point de départ du déclin de la démocratie française dont le traité de Maastricht fut l'un des principaux artisans.
Mais soyons honnêtes, si la liberté d'expression recule, ce n'est pas juste à cause des conspirations et des traquenards des politiques. S'il ne s'agissait que de cela, nous pourrions vite nous en remettre. Malheureusement, le mal est plus profond et s'imbrique probablement dans le cadre plus général du nihilisme occidental toddien. Je profite de ce passage sur les thèses de Todd pour signaler sa dernière intervention chez nos amis de la NAR (Nouvelle Action Royaliste). Profitez-en, il semble qu'Emmanuel Todd prenne vraiment sa retraite, et qu'on ne l'entendra plus si souvent, ce qui me chagrine comme certainement nombre de ses lecteurs. Il souligne dans ce long entretien le déclin de l'individu privé de toute croyance collective. C'est l'une de ses marottes, mais on ne peut qu’acquiescer à son assertion. Ainsi l'on peut voir le déclin de la liberté d'expression comme une des nombreuses conséquences néfastes de la disparition des croyances collectives et du nihilisme qui en découle. L'individu apeuré par la solitude produit du déclin de la civilité et par l'anomie de Durkheim n'accepte plus le débat avec l'autre. Au contraire, même, les idées et les croyances de chacun deviennent presque identitaires au point que la critique d'une idée devient vite une remise en cause de l'individu. En effet pour accepter la remise en cause de ses idées il faut quand même être assez détaché de ces dernières. Pour un citoyen équilibré, la remise en cause de ces idées sur l'économie ou l'orientation des politiques publiques ne devrait pas être un problème. Mais pour quelqu'un dont les idées représentent un lien social avec d'autres et qui n'a que ça pour identité, on comprend vite la colère et le danger que cela produit.
Ainsi, remettre en cause par exemple le mariage gay, ou le changement de sexe devient une remise en cause des homosexuels et des transsexuels. Les gens privés de toute attache culturelle et religieuse font de chaque idée un refuge de leur propre identité, ce qui rend les débats extrêmement difficiles, pour ne pas dire impossible. On peut parler ici d'un nouveau tribalisme dont le fondement est la disparition des croyances communes. Dans un monde où plus personne ne partage de langage et de valeur commune, nous entrons dans la guerre de tous contre tous. C'est dans ce contexte que la liberté d'expression s'estompe et se voit remplacer par une judiciarisation des rapports entre les individus. On peut donc conclure que la liberté d'expression ne disparaît pas seulement par l'action de quelques individus mal intentionnés, mais surtout parce que l'esprit citoyen nécessaire à son existence a disparu. Le mal est donc beaucoup plus profond qu'on ne le croit en général et il suffit de regarder l'état du débat public aux USA, pays en avance sur nous, pour s'en convaincre. Il est difficile de débattre avec des gens dont les idées et les croyances relèvent de l'identité pure et simple. Nous avons ici l'un des plus graves effets pervers de l'effondrement des croyances collectives, dont il est bien difficile de penser que l'occident et la France s'en relèveront un jour.