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8 avril 2024 1 08 /04 /avril /2024 16:38

 

Les multiples problèmes récents de la firme Boeing ramènent la question du niveau de capacité technique et industrielle américaine sur la table. Alors que les USA multiplient les dépenses pour se réindustrialiser en violant au passage tous les principes du libre-échange qu'ils ont imposé au reste du monde. En effet les USA ont mis en place un système ouvertement protectionniste en misant sur les subventions plutôt que sur les droits de douane ou les quotas. Le système peut paraître étrange dans le sens où cela coûte extrêmement cher comme protectionnisme, mais il ne faut pas oublier que les USA ne payent pas le prix de leur émission monétaire. Le rôle international de leur monnaie les protégeant en partie contre les effets délétères d'une trop grande hausse de la masse monétaire. Les USA ont ainsi mis sur la table près de 400 milliards de subventions pour favoriser la production sur le sol américain en 2023.

 

Cette politique n'est pas totalement sans effet. Elle se combine en plus avec une politique extrêmement agressive vis-à-vis des états vassaux des USA. La pauvre république de Taïwan en fait les frais puisque Washington a poussé l'entreprise TSMC à produire des usines de semi-conducteur sur leur sol. De la même manière, les USA font d'énorme pression pour empêcher la Chine d'avoir accès aux systèmes de pointe en matière de production de semi-conducteur. Le fabricant néerlandais ASML et les Pays-Bas sont sous la menace américaine pour que ces derniers ne réparent pas les machines qui font de la gravure de semi-conducteurs installés en Chine. ASML étant le leader mondial des machines pour la lithographie, outils indispensables pour graver les circuits sur les wafers qui fabriquent les processeurs, les mémoires et les différentes puces électroniques dont notre civilisation moderne est devenue si dépendante.

 

Beaucoup de gens ont critiqué Trump à l'époque de sa politique d'America First, mais il faut bien constater que si Trump a beaucoup parlé de protectionnisme c'est bien Biden qui a agi de la sorte. Je ne critiquerais d'ailleurs pas du tout ces politiques à part sur leur volonté de nuire aux Chinois par des pressions sur d'autres pays. Vouloir réindustrialiser les USA est du bon sens et montre que finalement les élites américaines sont un peu moins stupides que leurs tristes homologues européens. Il est d'ailleurs assez incroyable de voir le peu de réactions en Europe par rapport à ce comportement. À l'époque de Trump qui n'a pas fait grande chose en réalité, nos élites étaient vent debout contre le grand méchant blond à la houppette ridicule. Mais maintenant que ce protectionnisme extrêmement agressif arrive dans le monde réel, nos élites ne pipent mot. On pourrait croire que nos dirigeants sont complètement à la botte des démocrates américains. Entre ce silence en matière économique, et le suivisme suicidaire en matière géopolitique contre la Russie, on sent bien le caractère totalement faussaire de la construction européenne. Nous ne sommes que des vassaux, et l'UE est en quelque sorte notre garde-chiourme ou notre tuteur au choix.

 

Avec le retour du protectionnisme américain, il est à mon sens important de rappeler rapidement l'histoire économique de ce pays. Le protectionnisme est pour ainsi dire consubstantiel à l'état américain. C'est de loin le pays qui a été le plus protectionniste au monde de la seconde moitié du 19e siècle jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Paul Bairoch dans « Mythes et paradoxes de l'histoire économique » avait fait un tableau récapitulant les droits de douane moyens sur cette période et les USA sont de loin les plus protectionnistes. On est très loin du discours que tiennent généralement les libéraux sur l'histoire économique et qui associent protectionnisme au déclin ou au retard économique. Bien au contraire dans l'histoire réelle c'est le protectionnisme qui a précédé le décollage économique de la plupart des pays aujourd'hui industrialisés. Et la Chine et l’Asie de l'Est ne font pas exception à la règle. Le retour du protectionnisme aux USA est donc plutôt un retour à la normalité historique de ce pays en réalité.

 

Le dollar et l'éducation sont les principaux obstacles à la réindustrialisation

 

Comme je l'ai dit, je ne condamne pas le protectionnisme américain bien au contraire. Il s'agit d'une politique de retour à la raison après quatre décennies de suicide industriel progressif. Ce qui est condamnable c'est le comportement des USA qui pousse d'autres pays à rompre des relations économiques avec la Chine ou la Russie alors que cela ne les regarde pas techniquement parlant. On voit bien ici que les USA sont engoncés dans une contradiction d'intérêt entre leur rôle impérial et leurs intérêts purement nationaux. Si les subventions aux industries directes visent effectivement à la réindustrialisation nationale, les pressions à l'extérieur visent à empêcher la Chine de continuer sa montée en puissance, ce qui n'a pas grand-chose à avoir avec la réindustrialisation américaine. On pourrait même dire ici que c'est un frein à la réindustrialisation américaine. En Effet, les USA auraient plutôt besoin de bien s'entendre avec la Chine s'il voulait réellement se réindustrialiser rapidement. Cela simplifierait grandement les choses.

 

Les USA ne pouvant plus prétendre concurrencer la Chine à cause du différentiel de coût. La réindustrialisation américaine vise surtout à pourvoir aux besoins intérieurs. Si les USA n'étaient pas si agressifs avec la Chine, ils pourraient éventuellement trouver un compromis avec cette puissance. Cette dernière acceptant la réindustrialisation des USA, en la soutenant même. En échange d'un accord sur la non-intervention américaine en Asie de l'Est par exemple. Bref, il me semble que la réindustrialisation américaine serait simplifiée par un renoncement à la domination impériale mondiale américaine. Mais ce pays reste traversé par cette contradiction fondamentale qui est comme on en a déjà parlé longuement fortement lié au rôle du statut du dollar en tant que monnaie d'échange internationale. La grande peur des USA étant de se retrouver avec un effondrement monétaire suite à la perte de ce statut.

 

Nous voyons donc que le premier problème des USA concernant la réindustrialisation provient justement de leur statut impérial. D'une part parce que cela les pousse à un comportement agressif par rapport à d'autres puissances qui les concurrence que ce soit la Chine, la Russie, mais aussi l'Europe en particulier l'Allemagne. Mais aussi à cause justement de leur statut monétaire. En effet, comme je l'ai dit, les USA peuvent émettre de la dette et de la monnaie à l'infinie sans se soucier vraiment des grands équilibres. Cela semble donc un gros avantage. Mais en réalité cela rend la production locale peu intéressante. Pourquoi produire quelque chose quand vous pouvez tout importer gratuitement ? De fait, la force du dollar qui maintient sa valeur même avec d'immenses déficits publics et commerciaux est à la fois un avantage et un désastre. Car cela empêche le retour de la compétitivité externe des productions américaines. Car si la dévaluation est à court terme un mécanisme inflationniste augmentant le prix des importations, c'est aussi un mécanisme qui réduit le coût des exportations et rend donc plus compétitives les productions locales. Ce qui permettrait justement une véritable réindustrialisation. Vous voyez, je pense, plus clairement toute la contradiction dans laquelle les USA se sont mis en devenant un empire après la Seconde Guerre mondiale. Le prix de la facilité de paiement avec le dollar fut la destruction de l'industrie américaine.

 

Le second facteur est plus grave, je pense, car plus difficile à résoudre rapidement, c'est celui de l'éducation. Les USA se sont désindustrialisés dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. On en a pas trop conscience en Europe parce que cette période pour nous a été celle du très fort décollage économique, mais pour les USA ce fut en fait le début des délocalisations à l'intérieur de l'alliance atlantique. À l'époque l'Europe et le Japon sont beaucoup moins chers que les Américains et les industries commencent à délocaliser chez nous parce que les USA ont alors mis fin à leur politique protectionniste. Ce n'était pas totalement illogique à l'époque où les USA avaient trop d'excédents commerciaux. Un rééquilibrage commercial par l'arrêt du protectionnisme était en fait tout à faire rationnel. Seulement, c'est vite allé trop loin. Le statut du dollar commençant a fait avoir des déficits commerciaux aux USA dès les années 60. C'est alors que le général de Gaulle fit son célèbre discours sur le dollar qu'il ne tient qu'à eux d'émettre en 1965. Mais cette situation va perdurer et s'aggraver. Et petit à petit, le système éducatif américain va s'adapter à la nouvelle donne d'un pays sans industrie où les services prennent la part belle de l'emploi.

 

 

Le déclin des études en science aux USA va être spectaculaire. Aujourd'hui les USA forment à peine 17% de leurs jeunes dans les sciences. Et une grande part des étudiants en science viennent d'ailleurs, d'Asie en particulier ce qui risque de poser de grave problème de contrôle des USA sur leur propre avantage scientifique. En effet, beaucoup de gens disent que le déclin éducatif aux USA est largement compensé par l'importation de scientifiques du monde entier et c'est juste d'un point de vue théorique. Mais c'est oublier un peu vite le facteur humain. Si vos scientifiques sont essentiellement chinois et indiens, vous ne contrôlerez rien en matière de transfert de technologie par exemple. Même si la majorité travaillera probablement pour l'oncle Sam, une part non négligeable pourra être une espèce de cinquième colonne. Dans une situation où l'Empire américain joue une lutte à mort contre la Chine et peut-être demain l'Inde, le fait que la majeure partie de leurs scientifiques viennent de ces pays pose un énorme problème de sécurité nationale. Mais voilà depuis des décennies, les jeunes Américains préfèrent les études d'avocat ou dans le commerce qui sont beaucoup plus rentables économiquement. De plus si demain les USA perdent en attractivité salariale ce qui pourrait très vite arriver si ce pays perd son statut monétaire, les chercheurs d'origines étrangères pourraient partir aussi vite qu'ils sont arrivées réduisant la force de travail technique et scientifiques à une portion ridicule de ce qu'elle est aujourd'hui.

 

Orgines des étudiants étrangers aux USA . Source : La défaite de l'occident E.Todd

Et ce problème se voit aujourd'hui dans les difficultés qu'ont les USA non seulement à se réindustrialiser, mais aussi à maintenir simplement leur capacité industrielle actuelle. On ne parlera pas ici de l'effondrement des infrastructures par exemple. Mais Boeing qui multiplie les catastrophes est un nouvel exemple de cette réalité, la finance étant passée devant les plus élémentaires conditions de sécurité technique. TSMC dont on a parlé précédemment multiplie les projets aux USA, mais a toutes les peines du monde à faire sortir ses usines de terre par manque de personnel qualifié avec en plus un niveau de productivité attendu très bas. Les productions USA coûteront beaucoup plus cher qu'à Taïwan. Nous pourrions également parler des échecs pour construire de nouvelles centrales nucléaires ou les déboires de l'industrie militaire américaine avec le fameux F35. Bref si la volonté de se réindustrialiser est bien réelle il n'est pas dit que les moyens employés à l'heure actuelle par les USA mèneront ce projet à terme. Il ne suffit pas de distribuer des chèques pour construire un appareil industriel efficace. Il faut un état stratège dans tous les domaines et il faudrait également que les USA revoient leur système éducatif fortement inégalitaire et beaucoup trop coûteux pour l'américain moyen.

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commentaires

L
"De fait, la force du dollar qui maintient sa valeur même avec d'immenses déficits publics et commerciaux est à la fois un avantage et un désastre."<br /> Il me semble qu'il manque quelque chose dans votre constat sur "la force du dollar" et qui a des effets encore plus délétères pour cette béquille du dollar qu'a toujours été l'euro. La nécessité de maintenir la monnaie à un niveau élevé pour la rendre attractive et attirer toujours plus les investisseurs, ce qui ne va pas de soi. <br /> Cela interdit toute dévaluation de la monnaie, comme vous le dites d'ailleurs un peu plus loin mais la liaison n'est pas claire dans votre texte (ou alors elle va de soi pour vous).<br /> Mais quid des taux d'intérêt ? Dont j'ai crû comprendre qu'ils étaient anormalement bas aux États-Unis depuis des lustres et qu'ils ont même constitué l'arme privilégiée pour masquer les effets catastrophiques de la crise financière de 2008 en permettant de poursuivre l'arrosage des marchés financiers. <br /> Au bout du compte que reste-t-il d' autre comme variable d'ajustement de la monnaie dans un tel système que la dévaluation interne c'est-à-dire la répression des revenus du travail (appliquée de manière inégalitaire, nécessité politique oblige), avec comme épée de Damoclès au-dessus de toute alternative la loi d'airain psalmodiée pendant des décennies : "les marchés ne le permettraient pas", et avec pour compensation la possibilité de se procurer à bas prix dans des hangars à consommation des produits fabriqués dans des pays aux revenus encore plus faibles.<br /> De fait, à partir du moment où les Américains ont suspendu la convertibilité en or de leur monnaie hégémonique, la mondialisation n'était-elle pas écrite comme une suite logique de la mesure ? le reste n'étant que facteurs d'opportunité (crise énergétique, triomphe du néo-libéralisme politique des deux côtés de l'océan et arrivée d'internet).<br /> Il en a résulté une sorte d'alignement des planètes, une "divine surprise" pour évoquer un autre moment miraculeux selon certaines élites françaises par exemple (les mêmes qu'aujourd'hui ?) qui semble avoir marqué profondément toute la pensée occidentale, d'où le déphasage général d'aujourd'hui au sein des classes dominantes que Todd décrit si bien.<br /> À mon avis, il ne pourra pas y avoir de "repli" (ou de découplage selon certains) de la mondialisation sur un pré carré occidental dominé par les Américains, pas plus qu'une "autre" (alter) Mondialisation dans laquelle le yuan viendrait magiquement remplacer le dollar (je pense aussi qu'il y a une fraction politique "pro-chinoise" en France qui s'imagine cela). <br /> Les chinois, qui ont parfaitement compris le sens de la mondialisation (et pour cause, ils l'ont utilisée à leur avantage) ne commettront pas ce contre-sens. Les essais concernant un nouveau système monétaire que mettent en œuvre les BRICS actuellement ne vont pas du tout dans ce sens en tout cas.<br /> On a plutôt l'impression qu'ils construisent une espèce de garde-fou à l'effondrement occidental qui pointe.
Répondre
Y
"La nécessité de maintenir la monnaie à un niveau élevé pour la rendre attractive et attirer toujours plus les investisseurs, ce qui ne va pas de soi."<br /> <br /> Le dollar se maintient aussi parce qu'une grande part des actifs mondiaux sont encore dans cette monnaie. En fait même si tout le monde en parle, personne n'a intérêt à un effondrement du dollar à court terme, pas même la Chine. L'essentiel des échanges mondiaux sur les matières première se fait toujours en dollar même si cela décline petit à petit. Mais je veux surtout souligner que les USA sont dans un véritable piège dont il est très difficile de sortir même avec la meilleure volonté du monde. C'est un peu la quadrature du cercle version économique. <br /> <br /> "Les chinois, qui ont parfaitement compris le sens de la mondialisation (et pour cause, ils l'ont utilisée à leur avantage) ne commettront pas ce contre-sens. Les essais concernant un nouveau système monétaire que mettent en œuvre les BRICS actuellement ne vont pas du tout dans ce sens en tout cas."<br /> <br /> Comme l'a dit Jacques Sapir récemment je pense qu'ils vont plutôt prôner la solution de Keynes à Bretton-Woods en 1944. C'est à dire faire une monnaie internationale qui ne dépende d'aucune nation en particulier, mais qui soit basée sur un panier monétaire. Pour l'instant ça parle d'utiliser les DTS (droit de tirage spéciaux) du FMI ce qui est déjà une évolution intéressante. L'expérience a montré qu'aucune nation ne devrait détenir la monnaie mondiale dans l'intérêt de l'équilibre de l'économie mondial, mais aussi dans l'intérêt de cette nation à long terme. Et puis le temps des nations impériale toute puissante est terminé. Plus aucune nation ne pourra peser comme l'on fait la Grande-Bretagne au 19eme siècle ou les USA au 20eme. Ce fut une période anormale produite par l'arrivée de la machine à vapeur et de l'industrie qui ont créé des déséquilibre monstrueux et sans précédant dans l'histoire. Désormais que l'industrie et la science moderne se sont démocratisées plus personne ne pourra dominer autant à l'avenir, même s'il restera des puissances majeurs comme la Chine ou l'Inde. <br />