Avec l'élection de Donald Trump, j'ai un peu l'impression d'assisté au même phénomène exagéré qui a eu lieu lors du Brexit en Angleterre dans le camp souverainiste ou eurosceptique suivant votre définition. Le fait est que depuis l'élection du nouveau président américain on assiste à un épisode d’excitation collective assez élevé qui, à mon sens, embrume plus qu'il n'éclaire sur les évolutions présentent. Et lorsque l'on est excité, heureux, en pleins émois, on a tendance à perdre un peu de ses facultés cognitives. Il ne s'agit pas ici de dire que les gens n'ont pas de raison de trouver cette élection comme un phénomène important, ou d'intérêt pour notre pays. Mais je pense qu'il y a là un peu trop d'emballement et que les déconvenues risquent ensuite de faire des dégâts. L'engouement n'est pas nécessairement une mauvaise chose, l’espérance est parfois la seule chose qui puisse vous faire avancer. Mais ce n'est pas non plus une raison pour s'aveugler exagérément sur les évolutions de notre pays et de l'Europe.
C'est en écoutant le pape du souverainisme, du moins le prétend-il un peu, monsieur Asselineau, que je me suis rendu compte de cet aveuglement. Alors que le créateur de l'UPR voue aux gémonies et rappelle très souvent le rôle des USA dans nos malheurs et la construction européenne, le voici tout guilleret en apprenant la victoire de Trump aux élections US sur le média alternatif Tocsin. On pourrait dire la même chose de monsieur Philippot et de quelques autres montrant une espérance invraisemblable dans l'élection du président d'un pays qui nous a réduits à l'état de vassal en partie par la corruption économique et mentale de nos élites. Plus étonnant encore, monsieur Frexit nous dit que l'UE est morte avec cette élection. Décrivant la fin de l'influence américaine au sein de l'UE comme la fin du système européen. Washington étant en quelque sorte le cerveau organisateur de la construction européenne. C'est à mon humble avis une erreur, et il prend ici un peu ses rêves pour des réalités. Tout comme l'idée que l'élection américaine est présentée comme la fin du globalisme. Il n'en est rien pour des raisons de fonds dont j'ai déjà souvent parlé.
Mais parlons surtout des effets de cette élection sur les relations entre l'UE et les USA. Tout d'abord si Trump s'affiche effectivement comme un protectionniste, ce qu'il fera peut-être, il est aussi enfermé dans certaines contraintes macroéconomiques. Les USA ont certes un énorme problème de déficit commercial, mais les politiques de protection que ce pays a prise jusqu'ici n'ont pas vraiment relocalisé l'industrie aux USA. Nous l'avons vu dans le texte précédent. Comme l'a très bien souligné Jacques Sapir qui vient d'ailleurs de sortir un nouveau livre que je n'ai pas encore lu malheureusement, nous n'allons pas pour l'instant vers un retour des nations. Il y a d'abord un mécanisme de transition vers des zones d'influence économique et politique. En clair, les USA et leur empire reculent face à la montée des BRICS et surtout de la Chine. Ils essaient de couper leurs liens directs avec ce pays, mais réorganisent leur capitalisme en installant l'industrie dans des pays tiers plus amicaux, pas en relocalisant aux USA. D'ailleurs, certains pays ont bien compris cette évolution et tentent en ce moment même de profiter de cette aubaine. C'est le cas par exemple des pays d'Asie du Sud-est.
Cette zone comprenant des pays comme le Vietnam et la Thaïlande est l'une des plus dynamiques du monde avec une population très instruite, travailleuse et encore très jeune. Si l'on rajoute à la péninsule indochinoise l’Indonésie, on a là le cœur du dynamisme économique de ces trente prochaines années avec l'Inde. Les USA et la Chine se disputent donc l'influence dans cette région. Pour les USA le but n'est donc pas vraiment de réindustrialiser, mais de localiser la production dans les territoires sous contrôle. Et les pays de la région d'Asie du Sud-est peuvent jouer l'affrontement Chine-USA pour à la fois favoriser les investisseurs des deux coté ou en se protégeant d'une trop grande influence de l'une des deux parties. Cela fait de cette région un peu une nouvelle Europe d'après guerre, celle qui était l’enjeu des jeux d’influence entre l'URSS et les USA.
Les relations USA-UE sous Trump
Alors on pourrait ici conjecturer et dire que les USA vont laisser tomber une UE qui est de toute manière une région en déclin et sans avenir. Mais ce n'est pas tout à fait ce que l'on constate depuis quelques années. Non seulement les USA n'ont pas retiré leur poids en Europe, mais ils l'ont accru. Comme le disait très justement Emmanuel Todd, le retrait impérial américain du reste du monde leur a fait accroître leur poids sur leurs principaux vassaux UE, mais aussi Japon et Corée du Sud. Et cette réalité n'est pas le fruit d'une volonté à proprement parler de l'élite US, c'est le fruit du mécanisme de pillage concomitant à l'exploitation du dollar. Les USA fortement déficitaires dans tous les domaines doivent toujours importer massivement des marchandises et des capitaux pour faire tourner leur économie. Si le pool de pays payant, le tribut impérial se réduit alors, la pression sur les pays restants, augmente puisque le flux ne saurait se réduire sous peine de crise existentielle pour l'empire et sa monnaie. En 2023 alors même que l'UE traverse une grave crise énergétique et commence à importer du GNL américain, la zone euro connaît un record d'excédent commercial avec les USA de 158 milliards de dollars. C'est assez paradoxal si l'on y réfléchit bien.
En effet en toute logique l'UE aurait dû voir sa balance commerciale avec les USA se contracter. Mais l'euro s'est dévalué face au dollar à partir de 2022. On voit ici l'effet du dollar impérial. La monnaie ne suit absolument pas l'évolution du commerce. Les USA qui accumulent les déficits ont connu une amélioration de la valeur de leur monnaie contre l'euro. C'est en partie cette détérioration qui a accru les excédents de la zone euro, mais cela a nourri en partie l'inflation puisque les importations hors de la zone sont devenues plus chères. Quand John Conally disait que le dollar était leur monnaie, mais notre problème, c'était au sens littéral qu'il fallait l'interpréter. On pourrait faire une analyse similaire pour le Japon l'autre pays vassal durement ponctionné par Washington. Alors dans ces conditions est-ce que la volonté de Trump de réindustrialiser le pays va changer la donne ? On notera que malgré les grands discours sur les délocalisations vers les USA de l'industrie Européenne pour l'instant c'est statistiquement invisible. Les USA connaissant même une nouvelle augmentation du déficit de leur balance commerciale.
Si les USA taxent les importations européennes, c'est surtout les pays frontaliers des USA qui risquent d'en profiter. La Chine et les BRICS ne voulant plus acheter de la dette US et donc soutenir l'économie américaine, ce sont les Européens qui se substituent aux anciens exploités. Ainsi entre 2023 et 2024 la part de la dette américaine détenue par la Chine est passée de 11% à 9%, celle de l'Europe a légèrement progressé. L'épargne européenne plus que jamais sert avant tout à combler les manques aux USA. On voit donc bien que cette relation toxique pour utiliser une expression à la mode est largement défavorable à l'UE en réalité. Accumuler des excédents avec un pays qui paye avec une monnaie de singe n'a aucun intérêt pour les Européens. Je ne vois donc pas pourquoi Trump changerait quoi que ce soit à ce système tant les Européens sont prêts à tout pour détruire leurs propres économies pour les beaux yeux de l'oncle Sam. Du reste comme je l'ai expliqué dans le texte précédent, la réindustrialisation n'est pas si simple. Il manque aux USA un système scolaire plus accessible économiquement pour réellement redémarrer en tant que puissance industrielle. Il faudrait également que les jeunes s'orientent plus vers les sciences et l'industrie ce qui est compliqué dans une société qui promeut surtout l'argent facile et le sport-spectacle.
Alors est-ce que l'UE peut s'effondrer avec l'arrivée de Trump comme le prédit de façon un peu farfelue monsieur Asselineau ? La réponse est non. Si l'on pense à l'effondrement économique, nous y sommes déjà en réalité, et ce depuis 20 ans que l'UE s'est autodétruite avec l'euro qui a entraîné une paralysie économique du continent sous l'égide de l'autorité allemande, le pays de l'austérité permanente. Pourtant l'UE est toujours là. C'est d'ailleurs incroyable d'observer les défenseurs de l'euro de droite à gauche nous expliquer que notre déclin n'a rien à voir avec la monnaie unique même si toutes les données le montrent. Donc on voit bien que même si l'UE produit des catastrophes, elle se maintient. Maintenant, est-ce que la disparition très hypothétique de l'autorité américaine sur Bruxelles va produire cet effondrement ? La réponse est aussi non. La bureaucratie européenne si elle est en partie inféodée aux intérêts US avance avec son propre agenda. Et si Washington disparaît de l'équation, il restera toujours le chef de chantier local à savoir Berlin. Car l'Allemagne est quand même déjà la grande puissance qui oriente les politiques économiques en Europe. Si un phénomène politique doit mettre fin à l'UE, il ne viendra pas des USA, mais probablement bien plus d'Allemagne.
On va donc finir sur une note positive. Je ne crois pas plus qu'Asselineau à la durabilité de la construction européenne. Mais même un système très stupide et très inefficace peut perdurer longtemps tant qu'il n'est pas vraiment remis en question par une population. Les pauvres civilisations précolombiennes ont bien pratiqué les sacrifices humains pendant des milliers d'années avant l'arrivée des Européens. L'humanité est parfois capable de s'enfermer dans des systèmes immondes sans jamais les remettre en cause. L'UE c'est un peu notre pyramide où l'on fait des sacrifices économiques et où l'on massacre nos jeunes en les jetant dans la pauvreté pour éviter la colère des dieux. On fait ça depuis 50 ans, on pourrait le faire encore pendant quelques siècles, enfin tant qu'il reste des gens à sacrifier bien évidemment. Ce qui mettra fin à tout cela, plus qu'un abandon américain dont on a vu que ce n'était pas vraiment dans leur intérêt, c'est surtout un réveil des nationalismes en Europe devant le déclin général. Et si la population n'a plus aucun patriotisme réel, à part des résidus, il en reste encore chez nos voisins particulièrement chez les pays de famille souche comme l'Allemagne. C'est donc plutôt sur cela qu'il faut parier pour voir une fin à la bêtise europhile.