Ce qui devait arriver arrive. Donald Trump est donc à nouveau président des États-Unis d’Amérique. J'aime bien préciser qu'il est à nouveau président puisqu'il semble que dans les médias français on l'ait un peu oublié, nous présentant le bonhomme comme un Hitler en puissance. La communication politique moderne à ceci de fascinante qu'elle devient hystérique, et absolument irrationnelle, en permanence, et cela de tous les côtés politiques, il faut bien l'admettre. La campagne de la presse et de la télévision française pendant cette élection américaine devrait d'ailleurs à elle seule remplir une analyse longue sur la situation médiatique dans notre pauvre pays. On se demande bien où sont passées les institutions de régulation visant à garantir l'impartialité des médias pendant cette campagne. Cet état de fait vient d'ailleurs d'être très justement souligné par le député UDR Maxime Michelet. Il ne s'agit pas de prendre parti pour un candidat ou un autre, mais de garantir une information la plus objective possible. Or le service public et plus généralement les médias français ont totalement échoué en la matière.
Ce n'est bien évidemment pas la première fois qu'ils montrent un tel déséquilibre, mes lecteurs qui ont l'âge doivent bien se souvenir de la campagne pour le « Oui » à Maastricht en 1992, ou sur le traité constitutionnel européen où là aussi transparaissent massivement un déséquilibre médiatique. Et qui dire de nos élections ridicules qui se transforment à chaque fois en barrage contre la haine que représenterait le RN. Mais il serait quand même tant de remettre un peu les pendules à l'heure et de rappeler que les médias sont là pour informer, pas pour donner ou imposer leur avis. Cette campagne électorale américaine aura encore plus fortement que les autres événements médiatiques et politiques, montré le déséquilibre massif de l'information en France. Il faut espérer que cette question soit enfin mise en avant ce serait le minimum. Mais revenons donc à l'élection en elle-même, Trump a donc largement gagné. Est-ce qu'il a gagné par son talent ou par la nullité de l'adversaire, probablement un peu des deux ? Les études montrent que c'est bien l’Amérique populaire qui l'a fait triompher en tous cas. Un phénomène qui n'est pas nouveau et qui est même bien implanté en France, les couches populaires votent maintenant à droite ce qui est assez étrange quand on pense à l'histoire politique de nos pays.
En effet, normalement les couches sociales les moins aisées devraient plutôt militer pour les courants politiques favorisant en théorie leurs intérêts. Mais depuis quelques décennies dans l'ensemble de l'occident, il semble y avoir un mouvement de déconnexion entre les partis de gauche et les couches populaires. Même le vieux démocrate Bernie Sanders vient enfin de s'en rendre compte avec cette élection, mieux vaut tard que jamais, mais c'est vraiment un constat tardif. Nous avons eu évidemment le même phénomène en France avec le RN qui canalise aujourd'hui l'essentiel de l'électorat populaire. La lecture des travaux de Christophe Guilluy nous avait prévenus de ce phénomène qui n'est pas nouveau en France. Aux USA par contre il semble que ce changement soit relativement récent. Un très intéressant graphique montre l'évolution du vote Trump/démocrates par rapport au niveau de revenu. On voit clairement que le vote Trump a attiré les plus pauvres cette fois de façon flagrante. C'était plus équilibré lors de l'élection précédente même s'il était déjà en tête chez les couches populaires. La comparaison avec le vote RN n'est donc pas du tout idiote au moins sur ce plan. Le RN n'ayant pas contre rien à voir avec Trump sur le plan programmatique. Les évolutions sociologiques sont assez similaires toute proportion gardée.
Le trumpisme, comme le RN, est un phénomène de réaction contre un establishment jugé à tort ou à raison comme incapable de résoudre les problèmes de la population, en particulier celle des couches populaires. Reste à voir si les prétendus révolutionnaires peuvent réellement atteindre les objectifs qu'ils prétendent atteindre. Je ne vais pas vous le cacher, je suis extrêmement sceptique sur Trump. Et sur le RN je ne me fais plus aucune illusion surtout lorsque l'on voit les sorties récentes de monsieur Jorda Bardella. Mais laissons le bénéfice du doute à monsieur Trump même s'il n'a guère brillé lors de son précédent passage. Vous me direz qu'on peut au moins espérer un arrêt de la guerre en Ukraine, peut-être, mais là aussi j'attends de voir du concret et non des discours.
La guerre commerciale
Si les couches populaires américaines ont massivement voté pour Trump, ce n'est pas forcément comme j'ai pu le lire ici ou là que les Américains sont passionnés par les winners et les gens qui innovent comme Musk. C'est à mon humble avis surtout à cause de son discours protectionniste. Parce qu'une grande partie de la population américaine va mal, très mal. Il suffit de regarder les statistiques sur la mortalité en général, sur la drogue, les morts par armes à feu ou la baisse d’espérance de vie. Loin des discours comptables sur la croissance américaine, la réalité quotidienne de la majeure partie de la population ne s'est pas arrangée sous Biden. L'économie a été beaucoup trop réduite à la croissance du PIB. Un PIB qui est d'ailleurs de moins en moins composé de production réelle et de plus en plus de valorisation de secteurs de services dont la croissance accompagne surtout l'inflation des prix, à l'image du système médical à la fois le plus cher d'occident, de loin, et le moins efficace, de loin aussi.
Beaucoup s’extasient ainsi sur les salaires américains bien plus élevés que celui des Français, oubliant un peu vite que les prix aux USA sont aussi beaucoup plus élevés, relativisant fortement le soi-disant décrochage de l'Europe. Nous pourrions ici aussi rire de la prétendue productivité américaine qui ne se voit que dans le PIB par heures travaillées, mais qui est totalement invisible dans le commerce. Si les USA étaient le pays le plus productif d'occident, comment se fait-il qu'ils croulent sous les déficits commerciaux ? Au contraire, les industriels devraient se battre pour produire aux USA. Le fait qu'il faille massivement subventionner une industrie pour qu'elle veuille s'installer aux USA devrait mettre pourtant la puce à l'oreille de ceux qui prétendent que les USA sont le pays le plus productif du monde. La réalité transparaît en fait dès que les USA essaient de se réindustrialiser comme avec l'industrie du semi-conducteur. L'entreprise Taïwanaise TSMC monte en ce moment même des usines pour produire des semi-conducteurs aux USA, les Américains leur ont un peu forcé la main, et subventionnent massivement. Et bien les coûts sont dramatiquement élevés et l'ouverture des usines prend de gros retards. En grande partie à cause du manque de main-d’œuvre qualifiée. C'est d'autant plus pathétique que TSMC a ouvert très rapidement une usine au Japon. Pourtant, si l'on se fit aux statistiques des économistes, les Américains sont beaucoup plus productifs que les Japonais. Dans les faits, les USA ont beaucoup de mal à produire des choses et quand ils le font, cela coûte nettement plus cher qu'ailleurs. Quand je vous dis qu'il faut relativiser l'importance et la véracité des instruments de mesure économétriques.
Il ne suffira pas simplement de taxer les importations pour réindustrialiser, et c'est probablement là que toute la difficulté va se faire sentir dans les années qui viennent. Comme Keynes l'avait habilement dit, il ne s'agit pas de bouleverser une économie comme on déracinerait une plante pour en mettre une autre. Il faut au contraire habituer petit à petit l'économie à aller dans une autre direction avec un tuteur. L'industrialisation ou la réindustrialisation ne peuvent pas être un phénomène instantané, il faut du temps pour le faire. Il faut former la population, transférer des savoir-faire, implanter des lieux de production, acheter des machines, etc. Le protectionnisme de monsieur Trump s'il est appliqué sans discernement va surtout produire de l'inflation, les producteurs locaux étant dans l'incapacité à fournir dans les volumes nécessaires la consommation actuelle des USA. Le manque de main-d’œuvre qualifiée est le produit de près de soixante ans de désindustrialisation constante. Les populations occidentales se sont adaptées à la globalisation en s'orientant surtout vers les métiers de services. Mais si fabriquer un vendeur à partir d'un ouvrier spécialisé ou d'un ingénieur est assez simple, l'inverse ne l'est malheureusement pas. Je crains donc que le trumpisme ne se finisse un peu comme la perestroïka de l'Union soviétique à savoir qu'elle accélère l'effondrement des USA plutôt qu'elle ne l'évite à cause de changements trop rapide.
Du reste, il y a la question de la volonté réelle de Trump et de son entourage en la matière. Jusqu'ici le protectionnisme américain ne vise pas réellement à la réindustrialisation. En effet, les USA taxent les importations chinoises. Sauf que les Chinois n'ont eu qu'à créer des usines d'assemblage au Mexique ou ailleurs pour exporter encore aux USA sans problème. Taxer un pays en particulier n'est pas une politique protectionniste visant à réindustrialiser, c'est une politique impérialiste qui vise avant tout à nuire au pays visé. L'on pourrait simplement penser que la nouvelle politique de Trump ne vise pas en réalité à réindustrialiser le pays, ce qui de toute manière aurait un effet de perte de niveau de vie, les USA vivant largement au-dessus de leur niveau de vie potentiel grâce à l'exploitation des pays à bas salaire. Si les USA produisaient eux-mêmes ce qu'ils consomment, leur société serait sûrement beaucoup plus saine et équilibrée, mais le niveau de vie moyen pas forcément plus élevé, en fait il serait probablement moindre. Le statut du dollar ayant garanti à Washington de ne jamais souffrir de ses excès monétaires, du moins jusqu'à présent. Je suppute dès lors que le vrai but de Trump est simplement de réorganiser l'empire de façon à ce que les lieux de production soient sur des territoires que les USA contrôlent plus ou moins ouvertement.
Le protectionnisme américain actuel ne viserait donc pas une réindustrialisation qui serait difficile, longue et coûteuse, mais une réorganisation vers des pays moins puissants et plus soumis que la Chine aux intérêts US. D'ailleurs, les chiffres du commerce extérieur semblent plutôt confirmer cette hypothèse, les USA ont vu leurs déficits commerciaux à nouveau plonger ces derniers mois. Prouvant ainsi que la réindustrialisation n'est encore qu'une chimère aux USA. Dans le même temps, on apprenait que la Chine pulvérise ses records d'exportation montrant l'inefficacité des mesures prises contre elle. Les chiffres montrent aussi la baisse des importations chinoises, traduisant la crise de surproduction dont nous avons déjà longuement parlé. Alors il est possible que je me trompe sur le nouveau locataire de la maison blanche, tant mieux si c'est le cas. Mais j'ai beaucoup de mal à croire qu'un empire puisse renoncer volontairement aux avantages que ce système lui procure à lui et à ses élites. Trump à mon humble avis est juste la nouvelle mouture du reaganisme des années 80. Et s'il essaie vraiment de mettre fin à l'empire en réindustrialisant, il serait bien inspiré de ne pas trop brûler les étapes à moins de provoquer ce qu'il cherchait justement à éviter.