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25 janvier 2023 3 25 /01 /janvier /2023 22:25

 

 

Nous avons vu dans la partie précédente que la question de la baisse de la natalité n'est pas un phénomène occidental. S'il est parti d'occident et de France en particulier, le processus s'est désormais étendu à la planète entière . La dernière région du monde à entamer sa transition démographique étant l'Afrique. Mais alors que les démographes pensaient un peu naïvement que la natalité tomberait naturellement à environ deux enfants par femme un peu partout, les pays tombent généralement en dessous, et même parfois très en dessous comme en Corée. En parlant de basse fécondité, et pour, encore une fois, tordre le cou à l'idée que tout ceci aurait un lien avec la religion ou la culture, il faut parler de l'Europe de l'Est rapidement. Je ne l'ai pas abordé dans le texte précédent, et c'est un tort, surtout quand on voit la situation en Ukraine. L'Europe de l'Est est globalement moribonde. La natalité y est extrêmement basse. Même dans la très catholique Pologne, pays qui a la législation la plus restrictive d'Europe sur cette question, la natalité est dramatiquement basse à seulement 1,38 enfant par femme. La Hongrie qui a bien conscience du problème et qui multiplie les mesures, à mon humble avis pas bien avisées, mais c'est un autre débat, est à seulement 1,56. Et parlons de l'Ukraine que l'OTAN, l'UE et les USA ont forcée à continuer la lutte suicidaire contre la Russie. Elle est à 1,22 enfant par femme, et encore il s'agit là de la fécondité avant-guerre . On notera au passage que la Russie de Poutine est dans la triste moyenne européenne avec 1,5 enfant par femme alors que la natalité était remontée à presque 1,8 en 2015.

 

 

Dans une région en dépression démographique à ce point, il faut le dire, mieux vaut perdre la moitié de son pays géographiquement que les centaines de milliers de jeunes qui ont déjà péri dans cette guerre absurde. La première des richesses d'une nation c'est sa population, pas ses territoires, et c'est encore plus vrai quand votre population fait si peu d'enfant. À cette très faible natalité s'ajoute une bonne part de pillage humain. Depuis l'effondrement de l'URSS, les pays d'Europe de l'Est ont à la fois servi d'usine à l'industrie de l'Ouest, l'Allemagne et même la France ont beaucoup délocalisé dans ces régions. On pourrait y voir quelque chose de positif pour eux, beaucoup moins pour nous, mais on n'a pas vraiment constaté un rattrapage du niveau de vie de l'Ouest . Les salaires restent nettement plus faibles qu'à l'Ouest. Paradoxalement, on pourrait se demander si cette spécialisation économique n'est finalement pas un drame pour ces pays. On voit par exemple que la croissance polonaise du PIB/habitant a fortement ralenti depuis son entrée dans l'UE. Le second phénomène qui a caractérisé ces pays depuis la fin de la guerre froide c'est l'expatriation. Et au déclin démographique naturel s'est ajoutée la fuite d'une partie importante de la jeunesse de ces pays. Les pires exemples en la matière sont probablement les pays baltes. Par exemple en Estonie, pas moins de 230 mille personnes ont quitté le pays entre 1991 et 2010 alors que le pays ne compte aujourd'hui que 1,3 million d'habitants. Il est étonnant de voir ces pays qui devraient chérir la paix à tout prix pour régénérer et leur démographie, se lancent aujourd'hui dans une espèce de croisade contre la Russie. Car oui il y a dans les pays baltes et en Pologne une russophobie très explicite qui se déchaîne avec la guerre en Ukraine.

 

Les conséquences économiques

 

Mais pour en revenir au vrai sujet de cette seconde partie quelles seront donc les conséquences économiques d'un déclin démographique ? La question n'est pas nouvelle, Keynes l'avait déjà abordé à son époque parce que l'on pouvait déjà voir que les pays avancés connaissaient une baisse tendancielle de leur natalité. Dans son texte « Quelques conséquences d'un déclin de la population» qui date d'une conférence de 1937, Keynes montre simplement que la croissance démographique en Angleterre a pour moitié responsable de la croissance du pays depuis le 19e siècle. En clair, si la technique a nettement amélioré nos situations économiques et produit de grand progrès, elle n'a pas été la seule à alimenter la croissance économique. C'est l'accroissement de la population qui a joué un rôle majeur dans la croissance économique globale de ces deux cents dernières années. Mais comme nous l'avons vu, et comme les gens clairvoyants comme Keynes ont pu le prévoir, cette croissance arrive à son terme.

 

Keynes imaginait d'un tel phénomène pourrait produire en premier lieu un net ralentissement de la croissance. Par définition si la croissance de la moitié a fourni pour moitié la croissance alors à minima nous pouvons dire qu'une croissance démographique nulle produirait au moins une division par deux de la croissance économique. Cela ne signifierait pas une baisse du niveau de vie, puisque le progrès technique continuant, nous pourrions tout de même espérer encore une croissance par tête . Cependant, dans le cas de figure d'une décroissance permanente de la population plus ou moins rapide, il est bien évident que les gains liés au progrès technique seraient en quelque sorte absorbés. Il pourrait y avoir une hausse du niveau de vie tout en ayant en même temps une baisse du PIB du pays. Cependant, comme l'avait bien vu Keynes, le tout chose étant égal par ailleurs des physiciens n'a pas lieu d'être en économie. Nous sommes dans un système fortement intriqué dans lesquels les différents paramètres interagissent entre eux.

 

Une baisse des perspectives de croissance entraînera automatiquement un comportement d'investissement radicalement différent des comportements que l'on a pu connaître depuis les débuts de l'ère capitaliste. En percevant une baisse permanente, les investisseurs réduiront mécaniquement leurs investissements. Idem pour les états, les infrastructures par exemple devront être réduites au lieu d'être constamment agrandi . Il faudra moins d'écoles, moins d’hôpitaux, moins de routes, moins de trains, etc. Les états frappés de ce déclin devront soit laisser à l'abandon certaines infrastructures, soit les démolir si ces infrastructures s’avèrent dangereuses, laissées comme telles. Le Japon constitue en ce sens un peu un laboratoire. Le Premier ministre japonais vient de faire un discours légèrement anxiogène en annonçant que son pays pourrait bientôt ne plus pouvoir fonctionner. Il s'agit là à mon avis d'un discours essentiellement tourné vers la population pour l'inciter à accepter une immigration importante, ce que les Japonais ont toujours refusé dans l'ensemble. S'il existe une immigration au Japon, elle est encore minime, très sélective et surtout centré sur Tokyo .

 

Les villages peuplées de poupées est-ce l'avenir du monde ?

 

Au Japon, l'on peut déjà voir des villages morts et dépeuplés. Ce n'est plus si rare. La région de Fukushima qui se remet peu à peu de la catastrophe du tsunami d'il y a dix ans et des conséquences sur la centrale nucléaire de la région souffre plus de la dépopulation japonaise que des radiations qui ont aujourd'hui un niveau normal. Si les gens ne reviennent pas dans la région en nombre, ce n'est pas seulement à cause de la peur des radiations, mais bien parce que le pays perd des habitants chaque année. Étiolant ainsi les candidats potentiels au repeuplement de cette très jolie région du Japon. Le plus frappant ce sont ces villages abandonnés où les habitants qui restent mettent des poupées en guise de peuplement, c'est assez glauque pour tout dire. Si comme en France certaines régions sont victimes de l'exode rural c'est bien la très faible fécondité qui accélère l'apparition de ces villages morts peuplés d'habitants en toiles et en tissu. Cependant si le Japon nous indique un peu l'avenir de l'humanité il ne faut pas oublier que ce pays est une grande puissance industrielle et exportatrice. Tout comme les Allemands les Japonais ont en partie compensé leur déclin intérieur par la demande extérieure. Il ne s'agit donc pas tout à fait encore d'une application du raisonnement de Keynes sur l'investissement et la croissance dans un pays à faible natalité.

 

L'effondrement démographique pourrait tuer le capitalisme

 

De fait, le commerce extérieur a longtemps constitué un exutoire à la problématique de la natalité . Et si les Allemands continuent dans cette voie sans issue, les Japonais semblent tout de même comprendre qu'il n'y aura pas d'échappatoire que ce soit par les exportations ou par l'immigration qui ne peut en aucun cas compenser le déclin très rapide de la population. La seule solution pour éviter de se retrouver en décroissance économique permanente reste la relance de la natalité, cependant il est déjà trop tard pour les trente prochaines années dans le cas du Japon. L'un des principaux effets de cet effondrement économique semble être un changement de rapport de force radical entre le travail et le capital. Emmanuel Todd a cité récemment une réflexion d'un économiste américain pour qui l'effondrement de la population active en Chine allait produire une forte inflation à l'échelle mondiale. Todd a vu dans le retour de l'inflation actuelle une validation de cette hypothèse. À titre personnel, je pense surtout que c'est la crise COVID et l'arrêt de nombreuses chaînes de production qui ont momentanément produit cette inflation. Celle-ci commence d'ailleurs à décroître, en Europe évidemment s'ajoute le gros problème du marché de l'énergie absurde et la crise en Ukraine qui nous a coupés de la Russie. Cependant, l'hypothèse est tout à fait plausible à moyen terme. La raréfaction des salariés en Chine pourrait vite produire une inflation mécanique à l'échelle du globe.

 

Keynes pensait qu'une très faible anticipation de croissance pousserait à un pessimisme tel que les investissements décroîtraient et produiraient ainsi un chômage massif. Mais ce que l'on observe au Japon est plutôt un manque chronique de main-d’œuvre. Encore une fois, le Japon ou l'Allemagne sont peut-être de mauvais exemple à cause de leur rôle d'exportateur dans un monde qui a encore de la croissance démographique pour un temps. Mais tout se passe comme si les acteurs économiques ne réduisaient pas à la mesure du déclin démographique les investissements. L'on pourrait dès lors se dire qu'à terme le capitalisme va avoir un énorme problème. Alors que Marx pensait que la révolution prolétarienne balaierait le capitalisme, il semble plutôt que ce soit par les berceaux que les exploités de la terre risquent de renverser le rapport de force avec le grand capital. On pourrait même supputer que c'est en partie à cause du ralentissement de la croissance démographique dans les années 70 que le capital européen, et américain, a cherché à travers la globalisation, et l'immigration de masse, une échappatoire au changement de rapport de force qui commençait à se faire jour à cette époque par l'inflation des salaires, et des prix.

 

Ainsi le monde de demain manquant en permanence de salariés verrait son capital sans cesse perdre de la valeur à cause de l'inflation permanente. Le fantasme de Silvio Gesell sur les monnaies fondantes dont nous avons parlé dans un autre texte pourrait devenir réalité dans un monde en décroissance démographique permanente. Mais cette hypothèse n'est pas la seule . Celle d'une société qui se déstructure progressivement et dans laquelle un vaste chômage de masse par manque d'investissement constant n'est pas à ignorer. Mais dans les deux cas, il semble que l'organisation de la société autour de la mécanique de l'intérêt et du capital perdra de sa substance. Des sociétés en déclin démographique permanent devront probablement changer de système économique pour survivre et pour revenir à terme à un certain équilibre démographique. Mais si sur le point économique nous allons voir d'immenses changements, il n'est pas certain qu'ils soient plus grands que les changements de rapports de force entre les nations. Nous français qui avons été la superpuissance de l'Europe pendant des siècles à cause de notre démographie, et qui avons perdu cela, nous le savons bien, les changements de rapport de force démographiques entraînent aussi de grands changements de rapport de force géopolitiques.

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