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Blog parlant d'économie vue sous une orientation souverainiste et protectionniste.

La maladie du conformisme des élites

 

 

Nous parlons régulièrement des politiques économiques menées en France aux USA et ailleurs. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ressort en France et en Europe en particulier comme une étrange impression d'incompétence générale des prétendues élites de ces structures politiques. Si l'on peut admettre l'erreur humaine bien évidemment. Tout le monde fait des erreurs c'est dans l'ordre des choses. Il est par contre inadmissible d'avoir des erreurs systématiques et même répétées inlassablement. Comme le disait Albert Einstein « La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent » . De là à dire que nos dirigeants sont fous, il n'y a qu'un pas à franchir. Si pour Emmanuel Macron je réserve mon jugement sur cette question. Pour les autres, il est quand même difficile de plaider la folie généralisée.

 

Et plus que la folie ou la bêtise c'est le conformisme qui ressort. Une incapacité des individus à justement se comporter comme des individus, pensant et ayant des opinions forgées par ses propres expériences et analyses. Bien au contraire de la doxa libérale affichée, nous constatons avec angoisse en permanence une incapacité des individus censée diriger nos affaires à se distinguer de la masse à laquelle ils appartiennent. Si Gustave Le Bon s'est rendu célèbre avec sa psychologie des foules, nous aurions aujourd'hui besoin d'une analyse sur les foules d'élites. Car c'est bien à ce type de problème que nous nous heurtons aujourd'hui. Mais à quoi sont dues cette évolution, et cette incapacité nouvelle des dirigeants à penser par eux même et à faire preuve d'inventivité ? Nous pouvons énumérer quelques explications plus ou moins vraisemblables.

 

La première hypothèse est celle qui est la plus connue et qui est une dérive de l'analyse marxiste des classes sociales. Les couches sociales produisent des individus qui vont penser dans le cadre de leur intérêt de classe. Pour paraphraser Bourdieu si l'on compare les individus à des particules élémentaires et la classe sociale à un champ électrique, tout se passe comme si les électrons que sont les individus étaient contraints en quelque sorte par le champ électrique produit par leur classe sociale. Le conformisme de ce point de vue là n'est en réalité que la résultante d'un intérêt de classe qui se traduit par une incapacité à penser le monde en dehors de ces intérêts-là. Il s'agit ici d'un puissant facteur explicatif. Cependant, l'on fera remarquer que les élites ont toujours appartenu à des classes sociales supérieures. Ce fut même le cas de Karl Marx lui-même qui ne venait pas du tout d'un milieu pauvre. Pourtant il a pensé pour les classes populaires et les moins lotis. Donc si les classes sociales peuvent en partie expliquer les conformismes, elles n'expliquent pas totalement le comportement des individus et en particulier l'absence totale aujourd'hui d’électrons libres comme nous pouvions encore en avoir quelques-uns il y a encore 30 ans.

 

La seconde hypothèse est l'action des médias de masse. Les médias depuis leur origine n'ont pas tant eu pour réel objectif l'information des citoyens, que l'émission d'opinions particulières. C'est une légende de croire que les journaux informent. Ils ont toujours donné leur point de vue à partir de leur lunette sociologique là encore pour reprendre les discours de Pierre Bourdieu sur le sujet. Comme le disait ironiquement Mark Twain « si vous ne lisez pas les journaux, vous n'êtes pas informé, mais si vous les lisez vous êtes mal informé ». S'il s'agit là d'une boutade, il y avait quand même un certain fond de vérité. Avec les médias modernes, l'effet de désinformation produit par les médias s’est accentué en particulier avec l'arrivée de la télévision qui comme par hasard a accompagné la baisse très rapide de la qualité du personnel politique dans nos pays.

 

Nous en avions longuement parlé dans un texte précédent, mais les médias ont joué en rôle fondamental dans la dégradation du débat politique. En particulier les médias rapides comme la télévision. Nous sommes passés d'une civilisation de l'écrit où l'on pense, parce que l'on prend du recule, et que l'on a le temps de le faire. À une civilisation de l'image où l'on réagit instantanément, sans recule, et où l'émotion remplace la réflexion. On le voit régulièrement dans les affaires judiciaires totalement inféodées à l'image que les médias en donnent. Il en va de même en politique. Là où l'homme politique des années 50 pouvait faire des analyses complexes et structurées d'une situation, nous avons désormais des communicants dont le but n'est plus de résoudre les problèmes, mais de faire de la communication. Le conformisme serait donc en grande partie le produit du système médiatique lui-même qui exerce une pression sur les individus. Ceux qui sortent du rang étant éliminé par le système simplement parce qu'il les ignore. C'est une explication d'autant plus valable que comme le disait Bourdieu le système médiatique aime les informations omnibus. C'est-à-dire les informations qui ne nécessitent pas un travail préalable ou une connaissance académique poussée.

 

Ainsi le système médiatique est-il par nature hautement conservateur et incapable de changement de fond. La meilleure façon de plaire aux médias étant de dire ce qu'ils croient déjà savoir sur une réalité qui est en réalité bien souvent fantasmée et le produit d'un raisonnement tautologique. Ce phénomène a été particulièrement visible pendant la période du Covid ou depuis le début de la guerre en Ukraine. Certes, les médias appartiennent à de riches propriétaires ou à l'état, mais un tel niveau de monochromie analytique ne peut pas être atteint simplement par pression économique. C'est vraiment un phénomène structurel lié à la nature même des médias de masse et à la recherche permanente de l'audience. Phénomène que l'on retrouve de la même manière sur internet et dans les médias dits alternatifs d'ailleurs, même si les conventions dans ces médias peuvent différer de ceux des grands médias. On retrouve aussi cette tendance grégaire à la pensée unique.

 

 La dernière hypothèse explicative est à mon sens la moins connue et provient simplement de la manière dont nous éduquons et sélectionnons la population et les élites. C'est Albert Jacquard qui avait soulevé dans les années 90 le problème. Mais on peut dire qu'Emmanuel Todd avait plus récemment aussi soulevé la question en parlant avec son style outrancier habituel de la stupidité des diplômés. Si pour Todd la méritocratie en occident était en fait en voie d'extinction remplacée de fait par du copinage et un système qui promeut les héritiers. Et ce faisant, entraîne une concentration des gens intelligents dans le bas de la pyramide sociale. Pour Jacquard, c'est le principe même de la compétition et de la sélection des meilleurs qui produit du conformisme. En effet, son raisonnement est limpide comme on peut le voir dans cet ancien interview. Les étudiants passent de plus en plus leurs temps à vouloir acquérir des diplômes pour les diplômes eux-mêmes. Et le système scolaire favorise donc les individus qui se conforment au programme même si ce programme ne les intéresse pas. Par conséquent le système scolaire ne sélectionne pas les plus intelligents, ni les plus compétents ou les plus passionnés, mais ceux qui sont capables de passer outre leurs envies personnelles pour se conformer au système scolaire et aux programmes. Le processus a probablement explosé avec le chômage de masse et la crise des années 70, car les diplômes sont alors devenus l'assurance anti-chômage si je puis dire.

 

On a donc en quelque sorte une machine scolaire à produire des gens qui sont conformistes et incapables de penser par eux même. Ils sont juste capables de régurgiter des idées, des données et des pensées qu'ils ont appris par cœur durant leur cursus scolaire. On pense tout de suite ici à nos énarques ou à François Hollande dont la médiocrité fut à la hauteur de son statut de major de promo à l'ENA. Je dois dire que je suis assez séduit par cette idée, même si elle demande un énorme travail de compilation de données pour être étayée. On notera également que ces quelques explications, il y en a sûrement d'autres, ne sont pas exclusives. Elles peuvent même se nourrir les unes des autres créant un carcan mortel d'où notre pays aura bien du mal à se sortir sans une révolte majeure. Mais cela explique, je pense, en grande partie cette étrange situation dans laquelle nous sommes où nous voyons encore aujourd'hui les politiques prôner les mêmes politiques qui échouent pourtant lamentablement depuis 50 ans. Il faut plus d'Europe, il faut moins d'états, il faut plus de marché et de concurrence, etc.. Vous connaissez la litanie, elle n'a pas changé depuis Giscard, et elle n'est visiblement pas près de changer étant donné ce dont nous venons de parler.

 

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L
Bonjour.<br /> <br /> À cette analyse, il me semble important d'ajouter le rôle joué par "le quartier" (Saint-Germain-des-Prés) en tant que prescripteur, du "mondain", de la mode, pour reprendre les catégories introduites par Michel Clouscard. Le nihilisme de ces milieux bourgeois, leur travail de destruction de la raison, démontré par Georg Lukács, m'apparaissent également à la source de cette dégénérescence de la pensée des "élites".<br /> <br /> Cordialement.<br /> <br /> Luc Laforets<br /> <br /> PS : @Yann Vous ne m'avez pas répondu sur la manière de vous faire parvenir un texte que j'aurai souhaité vous soumettre : "La crise terminale du capitalisme". Cela vous intéresserait-il ?
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Y
Les élites françaises sont un tout petit groupuscule qu'on peut effectivement littéralement repérer dans quelques lieux bien distincts. <br /> <br /> PS : J'ai envoyé un mail normalement
L
Rien à dire sur l'analyse. Les soirs d'ivresse, me console en hurlant que mon petit brevet des collèges (obtenu en 1968) ne m'empêche pas de rester potentiellement "LE MAÎTRE DU MOOONDE". Les voisins s'en plaignent beaucoup. Peut-être un léger contre-sens sur Marx. Il avait pris quand même soin d'accorder une place au libre arbitre dans la conscience de classe, lequel permettait justement de dépasser "l'aliénation" de classe pour produire des gens comme lui. Pas folle la guêpe ! Bonne continuation en tout cas (moi, je suis dans une phase d'atonie suite à un décès familial).
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Y
Je suis navré de l'apprendre, toutes mes condoléances.