Le taux de chômage a-t-il encore un intérêt ?
Notre gouvernement s’enorgueillit de la baisse comptable du chômage en France. Une baisse extrêmement relative d'ailleurs même en excluant les manipulations assez classiques dans le domaine consistant à la fois à exclure les catégories de chômeurs qui elles augmentent tout en radiant massivement les chômeurs potentiellement comptabilisables. La méthode est ancienne et c'est aux USA inventeur du trafic statistique de masse que les chiffres du chômage sont d'ailleurs les plus étranges. On a ainsi officiellement une situation de plein emploi, mais le taux d'activité des hommes en âge de travailler n'a jamais été aussi faible. Le nombre de personnes dépendant des bons alimentaires aux USA a été de 40 millions en 2018, c'est certes une amélioration par rapport à 2013 ou près de 47 millions de personnes ont bénéficié de cette aide, mais c'est tout de même étrange dans un pays qui affiche officiellement le plein emploi. À moins que comme l'on peut le supposer l'emploi ne soit plus vraiment une garantie pour vivre correctement ce qui explique en partie ce paradoxe.
L'on pourrait dans le cas des USA rebondir sur les analyses assez connues de l'économiste John Williams qui situe le chômage réel aux USA à environ 21 % à l'heure actuelle avec une baisse réelle, mais beaucoup moins forte qu'officiellement depuis l'arrivée de Trump. Cette statistique colle effectivement mieux au taux de participation à l'économie réelle . Quoi qu'il en soit même en prenant en compte le taux de chômage il va falloir accepter que ce taux soit de moins en moins pertinent pour décrire la situation économique d'un pays et pas seulement aux USA. En France les salaires ont totalement décroché des loyers et du coût de la vie en général . Les expulsions pour loyers impayés ont par exemple bondi de 75 % depuis l'an 2000 alors qu'officiellement le chômage n'est pas beaucoup plus élevé qu'à l'époque et que le niveau de vie officiel est censé avoir augmenté si l'on se fit aux statistiques de l'Insee. C'est bien évidemment l'explosion des coûts du logement et la bulle immobilière qui sont responsables de cette situation. C'est d'autant plus vrai que contrairement aux USA par exemple la crise de 2008 n'a pas entraîné une correction du marché immobilier qui a continué à maintenir des niveaux totalement absurdes par rapport aux salaires moyens français. C’est particulièrement vrai en région parisienne comme nous en avions parlé dans un autre texte.
L'on voit donc que la question du chômage au fond est une question de point de vue en partie. Les institutions officielles jouent en règle général du flou artistique entourant la « science économique » qui ressemble parfois bien plus à un art de rhétorique qu'à une science réelle. Après tout imagine-t-on des physiciens passer leur temps à discourir sur la validité de la mesure d'une unité de distance comme le kilomètre ou de la force comme le Newton ? Non bien évidemment. Et pourtant c'est bien souvent autour de la façon dont certaines réalités économiques et mesures économétriques sont faites que se situe le débat public et économique. Preuve s'il y en avait vraiment besoin d'une que l'économie n'est pas du tout une science, mais bien plus un langage visant à camoufler des objectifs politiques. L'on pourrait s'amuser à regarder ce qui compose les indices de l'inflation pour voir comme certains économistes que celle-ci est largement sous-estimée. Les produits de première nécessité ayant flambé sont camouflés d'un point de vue statistique par la baisse relative des coûts des biens technologiques sur la même période.
L'une de mes marottes préférées est bien sûr la façon dont les économistes mesurent la productivité du travail. C'est l'économiste Jean Luc Gréau qui avait soulevé très justement la question dans son livre « L'avenir du capitalisme » écrit en 2005 et qui avait d'ailleurs de façon très prophétique prédit la crise des subprimes aux USA ainsi que les crises grecques, espagnoles et portugaises à une époque où tout le monde parlait de miracle. L'on ne s'étonnera guère que Jean Luc Gréau soit si peu sollicité par les médias il est sans doute trop sérieux pour eux. Les économistes mesurent la productivité en général par le PIB divisé par le nombre d'heures travaillé. Ainsi plus le PIB est élevé par heure travaillée et plus la productivité est élevée. C'est une façon de mesurer la productivité du travail qui n'a en fait aucun sens dans une économie ouverte, mais bien peu d'économistes en ont conscience ou ne veulent le voir tant cet outil leur facilite la vie. En effet, quoi de mieux qu'un indicateur synthétique qui résume la productivité du travail et vous permet d'expliquer simplement pourquoi tel ou tel pays a des difficultés ? L'on pourrait d'ailleurs s'amuser à représenter l'économie comme la « science » qui simplifie la réalité et la politique. Vous avez trois ou quatre paramètres et vous faites toutes vos politiques là dessus. C’est quand même plus simple que de faire de la politique, de l'histoire, de la sociologie, de l’anthropologie, de la philosophie, des sciences et de la géopolitique pour bien gérer son pays non ? À l'origine la productivité du travail est un instrument utilisé dans le milieu industriel, un outil hérité de l'époque fordiste où l'on comptait le nombre de voitures produites à l'heure. Cette productivité-là avait un sens. Par contre à l'heure où la majorité des produits manufacturés sont importés, et où la majorité de l'emploi est dans le secteur tertiaire, et dans des occupations dont on a souvent du mal à comprendre l'intérêt réel, calculer la productivité de l'emploi à l'échelle du pays devient un exercice qui relève plus de la prestidigitation comptable que de l'analyse sérieuse. Quelle est donc la productivité d'un footballeur professionnel pour un pays ? Ou celle d'un coach spirituel ? Et les youtubeurs quel est leur apport à la hausse de la productivité du travail ?
On pourrait en rire si ce n'était aussi tragique tant l'image que construisent les économistes de l'économie n'était pas aussi importante dans les directions des nations. Ainsi donc voit-on la productivité du travail aux USA grimper en flèche en même temps que le déficit commercial plonge et que la production de bien réel diminue. Tout ça parce que les importations participent à la croissance du PIB à travers les reventes et font augmenter la productivité du travail comptable apparente. Le problème c'est que cette productivité laisse derrière elle un déficit et une dette extérieure. C'est cette réalité que cache une bonne part de la croissance de la productivité en occident depuis 40 ans . Là où la productivité du travail était une réalité dans le monde régulé et fermé d'après-guerre, la notion de productivité n'est plus qu'une illusion qui camoufle des rapports de domination commerciaux. La guerre commerciale entre les USA et la Chine provient du changement de rapport de force qui n'est pas encore entré dans la réalité statistique en quelque sorte. Trump sait parfaitement quel est l'état réel de l'économie américaine . La croissance récente aux USA a été produite par la forte hausse du déficit commercial tout comme ses prédécesseurs depuis Ronald Reagan . Ce qu'il y a c'est que la Chine est aujourd'hui trop grosse pour continuer à voir son PIB grossir en exportant en Europe et aux USA. La crise de 2008 a montré également que les USA arrivaient à un plafond difficilement dépassable en terme de déficit commercial. La Chine prend donc un tournant vers sa demande intérieure , elle y sera obligée. Mais la hausse des salaires qu'elle camoufle derrière une monnaie largement sous-évaluée aura un impact très important en occident. Trump tente de réindustrialiser les USA grâce au protectionnisme, mais rien ne dit que ce sera suffisant à l'heure actuelle.
Le travail est de moins en moins rentable
Pour en revenir aux statiques du chômage un autre chiffre assez paradoxal. L'autre champion du néolibéralisme la Grande-Bretagne, qui a assis d'ailleurs longtemps ses réformes libérales sur son pétrole en mer du nord, connaît des évolutions extrêmement inquiétantes sur le plan social. Alors que le pays est censé avoir le plein emploi, l'on voit des niveaux de pauvreté dans la population tout à fait invraisemblable pour un pays censé être riche. Ainsi l'UNICEF vient de montrer que près de 19 % des enfants de moins de 15 ans de ce pays vivent avec un adulte qui a du mal à acheter sa nourriture. 30 % des enfants vivent dans la pauvreté. Rappelons que la Grande-Bretagne tout comme la France n'a pas une démographie très dynamique. On ne parle pas ici d'un pays qui fait 5 ou 6 enfants par femme, mais bien d'un pays qui connaît depuis 40 ans une natalité inférieure au seuil de reproduction. Et pourtant malgré cette faiblesse démographique la Grande-Bretagne n'arrive pas à nourrir tous ses enfants convenablement. L'on voit mieux ici le caractère désuet du seul chiffre du chômage. Le plein emploi ne dit rien de la santé économique du pays bien au-delà de la seule question de la validité ou non de ce plein emploi.
Après 40 ans de déconstruction du Code du travail, on en arrive à une situation ou des gens qui travaillent n'ont plus de quoi subvenir à leurs besoins. Je serais taquin, je dirais que même l'esclavage était un moins mauvais système que le néolibéralisme actuel en ce sens que les esclaves mangeaient et pouvait avoir des enfants. C'était d'ailleurs dans l'intérêt du maitre que de maintenir le renouvellement de ses esclaves. Là le capitalisme libéral en arrive à un stade où même les besoins les plus vitaux ne sont plus remplis pour une part croissante de la population . Et cela sans guerre, sans épidémie et sans crise politique majeure. C'est beau quand même ce niveau de nullité en terme d'efficacité pour la majorité de la population. La Grande-Bretagne vivra-t-elle les mêmes mésaventures que l'Irlande au 19e, et ce pour des raisons similaires, l'ordre du saint laissez-faire libéral et du libre-échange? Mais ne critiquons pas trop nos amis britanniques. La France fait un rattrapage hors du commun avec ses pénuries de médicaments et ses importations de plus en plus massives de productions agricoles. Les libéraux arriveront bien à refaire des famines en Europe continentale d'ici vingt ans à ce rythme.
La globalisation économique n'a pas seulement mis par terre nos sociétés et nos organisations sociales. Elle a aussi mis à terre les indicateurs de la macroéconomie même si ceux qui en usent ne s'en rendent pas compte. Les références habituelles issues du corpus macroéconomique keynésien n'ont plus de sens quand vous rendez vos pays interdépendants. Et parler de plein emploi quand les emplois en question ne permettent plus de nourrir les travailleurs et leurs familles annule tout l'intérêt du plein emploi justement. À quoi bon travailler si l'emploi ne nourrit pas ? L'immense armada de travailleurs pauvres importés au nom des principes humanitaires dévoyés par les trafiquants d'être humain moderne s'explique d'ailleurs en partie par cette réalité . Les salaires dans un nombre croissant de secteurs étant trop faibles, l'on fait venir des pauvres d'ailleurs dont les références économiques sont moindres pour se substituer à la population récalcitrante locale. Ce n'est ni plus ni moins que la réinvention du commerce triangulaire sous une autre forme. Il est donc impératif de prendre du recul sur les indicateurs macroéconomiques. Il ne faut plus s'attacher à tel ou tel chiffre, mais bien au contraire voir un portrait d'ensemble de chiffres . Un ensemble de chiffres qui seul peut donner une validité à tel ou tel modèle économique. Arrêtons de tout vouloir simplifier de façon excessive. Voir dans la maigre baisse du chômage la réussite des réformes Macron n'est pas seulement un non-sens économique, c'est une insulte faite à l'intelligence. Le déficit commercial bat des records, la croissance est en panne depuis 2008 et l'UE se dirige lentement vers une déflation, l'Allemagne entrant maintenant en récession malgré ses excédents. Non ça ne va pas bien en France monsieur le président. Et vous pourrez afficher un taux de chômage officiel à zéro en manipulant les chiffres et en jouant sur les mots, mais les gens verront toujours la multiplication des SDF dans les rues, les hôpitaux surchargés, les services publics toujours moins nombreux, les paniers de plus en plus vides pour des dépensent croissantes et les centres-ville se vider de leur jeunesse à cause de loyers délirants. Le mensonge n'est pas une politique même si vous y croyez.