La campagne électorale aux USA continue son bonhomme de chemin et ce que l'on peut apercevoir c'est la nullité de plus en plus forte des caricaturales des débats publics. Les USA, nous le savons, sont largement en avance sur nous en matière de dégradation du système démocratique même si l'on pourrait longuement objecter que les USA n'ont jamais réellement été une démocratie. Surtout si l'on analyse leur système politique qui est grandement fait pour empêcher les couches populaires de peser dans la balance politique. Mais si les USA ont toujours un problème de violence politique, une violence qui est assez structurelle dans cette société expérimentale, elle atteint aujourd'hui des niveaux grotesques entre les démocrates et les républicains. Surtout si l'on convient du fait que la différence de politique pratique entre les deux courants est en fait assez mince. Rappelons que les USA ne sont plus vraiment une nation même s'ils se dépeignent comme tels. 80 ans de domination sur le monde et de maîtrise de la monnaie mondiale avec le dollar ont profondément changé ce pays .
Comme je l'ai longtemps répété, les USA sont en fait devenus un empire surtout à partir des années 70 et de la déconnexion du dollar de l'or. Une déconnexion qui leur a fait perdre la contrainte de maintenir un certain équilibre économique en particulier sur la balance commerciale. Un empire qui ne s'assume pas, mais un empire quand même puisque vivant en grande partie sur le dos de leurs vassaux. Alors bien évidemment il est ici parfois difficile de distinguer leur rôle impérial des questions purement macroéconomiques. S'il est vrai que les USA ont un rôle primordial dans le maintien de la demande mondiale, c'est bien leur rôle monétaire qui leur a donné cette prépondérance, les USA n'ayant pas besoin d'équilibrer leur balance des paiements contrairement aux autres pays du monde. L'empire américain se maintient non seulement par sa violence militaire et ses capacités de nuisance, d'influence et de corruption, mais aussi par la vision économique erronée des autres nations. Ainsi les USA peuvent-ils continuer à maintenir leur emprise sur l'économie mondiale parce qu'ils sont les seuls à avoir conscience du problème de la demande adressée aux entreprises.
En Chine ou dans la décadente zone euro, on est prisonnier d'une vision néolibérale mercantiliste où la demande est déconnectée de la question des revenus distribués et des politiques monétaires. On attend, on produit, quelqu'un finira bien par acheter ce qu'on fabrique. S'il est stupide de vouloir consommer sans produire, il est tout aussi stupide de produire sans pouvoir vendre. Il est donc assez grotesque de décerner des trophées comme le font les économistes en vogue aux pays qui accumulent des excédents et de mauvais points à ceux qui accumulent des déficits. En réalité, les uns ne pourraient exister sans les autres, c'est une sorte de système d'interdépendance malsaine assis sur l'accumulation de dettes privées et publiques. Que les unes arrêtent de consommer et c'est la dépression que les autres arrêtent de produire et c'est la pénurie planétaire ! Dans ce contexte, la politique américaine n'est plus vraiment américaine, elle est une gestion de l'empire et du gros atout qu'est le statut du dollar. J'ai pris un peu de temps pour expliquer ça, mais cela me semble très important à dire. Les deux gros partis américains sont justes en désaccord pour savoir comment défendre l'Empire. Et même si Trump apparaît comme un isolationniste, ce qu'il est peut-être, il sera contraint par cette réalité. C'est d'autant plus vrai que le service de la dette US vient d'atteindre des niveaux invraisemblables. Plus que jamais la question du statut du dollar est donc en jeu pour ces élections, même si les élites US ne parlent jamais de ça aux électeurs.
Tout le problème des élites américaines est donc de savoir quel est le meilleur moyen de défendre l'empire. Les démocrates pensent qu'il faut continuer à taper sur la Russie et maintenir l'Europe aux ordres tout en tapant un peu partout avec le gros marteau impérial. Les républicains sont plutôt dans une optique de replis impériale et de concentration des moyens sur les vrais ennemis de l'Empire, en l'occurrence la Chine. On pourrait donc dire en un sens que la différence entre Trump et Harris sur cette question c'est la façon de voir la situation impériale. Pour les democrates, l'Empire reste invulnérable. Il peut affronter la Russie et la Chine sans problème. Il peut même encore accroître ses déficits sans tenir compte du risque pour le dollar. Pour Trump l'empire est au bord du précipice et il faut tout faire pour empêcher sa chute, car on ne sait pas ce qu'il ressortirait d'une panique sur la valeur du dollar. À mes yeux c'est ça le centre du débat aux USA. Le wokisme et tout le reste ne sont là que pour faire pencher la balance électorale aux yeux d'électeurs assez peu politisés en réalité. C'est dans ce contexte qu’apparaît la forte dégradation du discours politique qui devient de plus en plus caricatural puis qu’aucune question de fond n'est jamais abordée.
La dégradation du débat public
Cette dégradation n'est pas nouvelle cependant et elle ne touche pas que les USA. En France on a vu l'incroyable absurdité du barrage au RN qui s'est transformée en une machinerie de communication visant à interdire le pouvoir aux couches populaires. On a même vu LFI ressusciter le PS et le parti présidentiel pour faire barrage à une extrême droite essentiellement imaginaire, puisque le programme du RN aurait très bien pu être celui du RPR des années 80. Cette course à la caricature médiatique arrive donc même à convaincre les partis d'agir contre leurs propres intérêts électoraux les plus rationnels. Aux USA on a des attaques à base d'anathèmes ridicules, d'un côté Trump serait un fasciste, de l'autre Harris serait une communiste. On marche littéralement dans le n'importe quoi, il ne faut rien connaître du fascisme ou du communisme pour arriver à de telles descriptions. Le problème c'est que les deux camps se renvoient sans cesse ces caricatures sans queue ni tête tout en pensant qu'ils sont les seuls à être sérieux alors qu'en réalité aucun des deux côtés n'est vraiment sérieux. Cet emballement de communication électoral n'est pas nouveau, c'est le produit de la communication moderne à base de médias audiovisuels. Nous avions déjà un peu abordé cette thématique dans un texte consacré aux médias « Pourquoi les médias sont-ils malsains ? ».
Tout tourne autour de la communication et de l'amplification produite par le système de la communication moderne. Un système qui par nature rend de plus en plus hystérique la parole des intervenants . En un sens, la mécanique de la course à l'audience et à l'audimat transforme même les génies en idiots débitant des âneries tant que cela fait parler d'eux. La mécanique qui a fait passer la télévision française de l'ORTF relativement sage et structurée culturellement en une machine à produire des bêtises par la mécanique du marché dérégulé se retrouve dans tous les secteurs fonctionnant à base de course à l'audience. Le milieu du streaming est particulièrement révélateur sur cette mécanique implacable d'abrutissement généralisé. On peut en dire autant des réseaux sociaux, ce ne sont pas vraiment les comptes les plus sérieux qui sont les plus suivis. Il n'est donc guère étonnant de voir la même évolution dans le milieu politique. On peut dès lors très raisonnablement se poser la question de savoir si la démocratie est viable avec le système de communication moderne. À titre personnel, je pense que non. Car une démocratie n'est pas qu'un système politique organisé autour du vote. C'est aussi, et même surtout, une culture, une façon d'organiser les relations entre les citoyens et le politique.
Pour fonctionner, une démocratie a d'abord besoin d'une population qui fait de la politique et qui est donc politisée. Politisée cela ne veut pas dire voter tous les cinq ans. Cela veut dire suivre l'actualité, s'instruire des sujets importants, s'engager dans les partis, les syndicats et les groupes politiques. Dans notre société de consommation, ce critère très important est déjà assez absent, les partis ne rassemblant guère de citoyens. La démocratie c'est aussi un système où les citoyens sont bien informés. Là encore, on botte en touche que ce soit en France ou aux USA. Avec des médias aux mains des puissances d'argent ou de l'état l'information se confond souvent avec la propagande. Et le monologue qu'est devenue l'information officielle en dit déjà long sur l'état réel de l'information en occident. Osons le dire, quand tout le monde dit la même chose, c'est que plus personne ne pense. Enfin, il faut un personnel politique qui parle des problèmes de fonds. Mais comme on l'a vu, la communication a remplacé les discours de fond parce que les discours de fond n'intéressent pas les consommateurs, cela n'intéresse que les citoyens, mais ils sont en voie d’extinction.
On peut donc assez vite conclure que cette dégradation du discours politique est à la fois une cause et une conséquence de la dépolitisation de nos sociétés et de la mécanique de course à l'audience. Sans règle stricte pour organiser les débats, sans citoyens éclairés et médias faisant leur job, le politique raisonnable et parlant avec sérieux n'a tout simplement aucune chance d'exister médiatiquement et donc politiquement. De là à penser que notre système est une immense machinerie à sélectionner les pires des individus, il n'y a qu'un pas. Mais cela explique assez bien la dégradation du personnel politique dans nos sociétés. Les débats publics vont de plus en plus se résumer à un manichéisme grotesque singeant les chasses aux sorcières du moyen-âge tardif et de la renaissance.