Le chancelier allemand semble sortir d'un seul coup d'un long sommeil qu'il avait entamé depuis la destruction du pipeline Nord Stream 2. Il a en effet pris une orientation clairement plus pacifique lors de sa dernière intervention soulignant le besoin d'arriver rapidement à un traité de paix entre la Russie et l'Ukraine. Peut-être les derniers résultats électoraux dont nous avons parlé récemment l'ont-ils un peu poussé à changer son fusil d'épaule. Ou alors peut-être est-ce les derniers chiffres catastrophiques de l'industrie allemande ? On apprend d'ailleurs que Volkswagen prépare des délocalisations massives hors de l'Allemagne. L'irresponsabilité de l'UE qui impose la voiture électrique alors que les producteurs européens ne sont pas près, couplés à la folie des sanctions contre la Russie et l'explosion de Nord Stream 2 a été cette fois fatale à l'industrie allemande. Tant que les idioties européennes ne touchaient que les pays secondaires comme la France, l'Italie ou l'Espagne le système pouvait semblant de continuer à fonctionner, mais la destruction du cœur industriel de l'UE sera mortelle.
C'est d'autant plus vrai que comme nous l'avions expliqué l'Allemagne est désormais en proie à une concurrence asiatique et particulièrement chinoise de plus en plus féroce. Même sur ses métiers les plus avancés comme les machines-outils, la Chine grimpe très vite. Il ne reste probablement que les robots industriels comme secteur dans lequel les anciennes puissances technologiques comme l'Allemagne et le Japon dominent encore. Et cela ne durera probablement pas très longtemps. La montée en gamme chinoise va mettre fin à l'existence de tous les autres gros exportateurs mercantilistes de par son énormité. L'idée que la spécialisation de plus petits pays dans des secteurs très spécifiques a un avenir est pour le moins discutable. Jusqu'à présent, l'Allemagne comme d'autres pays plus petits comme la Suisse ou la Suède ont fait ce pari en pensant que la Chine ne finirait pas par produire des produits de pointe, ces pays se sont trompés. La Chine dominera la quantité et la qualité, elle a les hommes et le niveau de formation pour le faire. Mais nous n'allons pas reparler de ça dans ce texte, car nous l'avons fait dans d'autres.
Le rapport à la question énergétique est en fait assez simple. Pendant longtemps, les pays occidentaux n'avaient pas besoin d'importer de l'énergie. Durant le premier âge industriel, c'était même l'Europe et les USA qui exportaient du charbon. La Grande-Bretagne a décollé en premier en partie parce qu'elle pouvait extraire de son sol du charbon en quantité. Avec l'arrivée du pétrole puis du gaz, le vieux continent est petit à petit devenu dépendant de l'extérieur pour son approvisionnement énergétique. Mais ce n'était pas un problème parce que l'Europe pouvait encore équilibrer ses importations par l'exportation de ses biens de production. Mais voilà la globalisation imposée par Washington à partir des années 70 et les vagues de délocalisations ont petit à petit affaibli les capacités de production de nos pays, USA en tête d'ailleurs. Et le reste du monde s'est développé en particulier l'extrême orient. Si les USA ou l'Europe pouvaient encaisser la concurrence japonaise puis coréenne, ces pays restant à une échelle assez restreinte, la Chine c'est autre chose. Et si aujourd'hui nous avons toujours besoin du reste du monde pour faire tourner nos économies, le reste du monde a de moins en moins besoin de nos productions puisque la Chine pourvoit à tous leurs besoins. Et la crise terminale que connaît l'industrie allemande n'est finalement que l'aboutissement d'une vision à court terme qui a fait croire aux Européens et plus généralement aux Occidentaux qu'ils seraient toujours en avance sur le reste du monde en particulier sur la Chine.
C'est ce mécanisme fondamental qui aujourd’hui explique le changement de centre de l'économie mondiale qui est passé de l'Atlantique au pacifique en attendant de passer à l'océan indien peut-être un jour. Alors cette évolution était probablement inéluctable à long terme, en effet la démographie étant ce qu'elle est l'Asie serait de toute manière devenue le centre du monde un jour ou l'autre. Mais sans la globalisation l'Europe et les USA ne se seraient probablement pas autant vidés de leur capacité de production et nous aurions encore des moyens pour vendre aux pays producteurs d'énergie. Là la globalisation nous met dans une double dépendance énergétique, mais aussi manufacturière. Et la dégringolade allemande ne va faire que précipiter cette réalité.
La souveraineté énergétique ou la mort
La question de la souveraineté énergétique se pose donc encore plus aujourd'hui qu'elle ne pouvait le faire au lendemain du premier choc pétrolier. Car face à la montée en puissance de la Chine, puis du reste de l'Asie, n'oublions pas que des pays comme l'Inde, le Vietnam, ou l'Indonésie, arrivent, et ce sont de très gros pays qui vont vouloir leur part de gaz et de pétrole, nous n'avons pas beaucoup de solutions. La première solution, la plus improbable, c'est de continuer comme cela et d'investir massivement dans la recherche et l'industrie de pointe pour éviter d'être largué par la Chine et les autres. C'est le fameux fantasme de la société de la connaissance vendu par les vendeurs de nuages du globalisme dans les années 2000. Les mêmes qui vendaient les entreprises sans usines à la Serge Tchuruk. La dernière mouture de ce fantasme étant la star-tup nation de Macron qui finit en faillite. Je vous le dis tout de suite, c'est impossible. Ce fut la voie de l'Allemagne et d'autres pays qui l'ont beaucoup mieux pratiqué que la France, mais on voit qu'aujourd'hui ça fonctionne de moins en moins bien. Les USA qui font également ce pari ne semblent pas comprendre que les innovations techniques que leurs labos mettent au point finissent en réalité par participer à leur déficit commercial. Plus les USA « innovent » par l'entremise de leurs laborantins, essentiellement asiatiques d'ailleurs, plus leurs déficits sur les biens avancés augmentent.
En effet, quand Apple, Nvidia ou Intel mettent de nouveaux produits sur le marché, ces derniers ne sont pas produits aux USA, mais en Asie, creusant ainsi les déficits du pays. Et ne parlons pas du fait que même les emplois de points dans la recherche sont maintenant délocalisés. Cette stratégie est donc une impasse en réalité. Il en va de même en France et en Europe. Du reste, nos pays vieillissent et auront de plus en plus de mal à produire les chercheurs et les ingénieurs pour concurrencer les nouveaux venus. Pire, je pense qu'à terme, l'essentielle de la recherche mondiale se fera en Asie, c'est d'ailleurs déjà le cas en réalité. Non seulement nous devrons importer notre énergie, mais également les denrées et les sciences du nouveau centre du monde. Il faut bien avoir ça en tête avant d'avancer des solutions à nos problèmes de dépendance. L'Asie représente déjà la majeure partie des dépôts de brevet par exemple. La seule Corée du Sud dépose plus de brevets que l'ensemble de l'UE...
La seconde voie est celle du déclin inéluctable. Face au déclin de nos capacités de production, il ne restera plus qu'à jouer sur les salaires et le pouvoir d'achat. En réalité, c'est la voie la plus probable, car c'est celle qui résultera du laissez-faire actuel sur le plan commercial et économique. Pour vendre à l'étranger pour pouvoir encore importer l'énergie, il nous faudra baisser les salaires et faire en sorte que produire chez nous soit avantageux. Évidemment cela détruira une grande quantité d'emploi et entraînera la fin de la société de service dans laquelle nous vivons. Les chocs économiques que les élites européennes préparent notamment en France tournent très certainement autour de ce genre de stratégie. En gros, l'UE et les USA connaîtront le même sort que l'Europe de l'Est après l'effondrement de l'URSS, une forte baisse du niveau de vie, et très probablement une forte hausse de la mortalité générale. L'immigration de masse bassement qualifiée fait peut-être partie de cette stratégie de tiers-mondisation. La nouvelle main-d’œuvre abondante remplaçant les autochtones servant à terme à produire dans les futures usines chinoises délocalisant chez nous parce que les salaires y seront alors très faibles. Est-ce vraiment ça que l'on veut pour l'avenir de la France et de l'Europe ?
La dernière voie est peu probable également même si c'est la préférable, c'est celle de la réaction politique forte à visée souverainiste et protectionniste. Il s'agit de rendre nos économies beaucoup moins dépendantes des importations et de parier surtout sur le marché intérieur en arrêtant les lubies globalistes. Mais cette voie nécessite aussi une véritable stratégie énergétique d'autonomie. À l'image de ce que la génération de Pierre Messmer a fait avec le parc nucléaire français, nous devons à tout prix mettre fin à nos dépendances extérieures en matière énergétique, mais aussi technologique. Une telle stratégie ne sera bien évidemment pas viable avec l'UE actuelle qui est une machine à produire de la dérégulation économique ouverte aux quatre vents, encore moins avec l'euro. Mais cela ne veut pas dire qu'elle ne peut pas être pratiquée par une coopération entre pays non plus. Après tout la première Europe, celle de la CEE a assez bien fonctionné tant qu'elle visait à favoriser le développement du marché intérieur avec le protectionnisme sous la forme du tarif extérieur commun.
Sur la question énergétique, nous devons déployer toutes les possibilités que nous donnent nos territoires. On pense évidemment au nucléaire de quatrième génération, qui permettrait l'utilisation de tout l'uranium disponible et pas seulement de l'uranium 235 qui ne représente que 1% des réserves, mais aussi du thorium. Il faut donner un grand coup d'accélérateur à la recherche de ressource comme l'hydrogène blanc qui semble assez prometteur et en plus renouvelable si l'on en croit les travaux Philippe de Donato, le chercheur du CNRS à qui nous devons la découverte récente du plus grand gisement d'hydrogène naturel de la planète actuellement connu. Nous devons également relancer la question des barrages hydraulique puisque EDF affirme qu'on pourrait nettement augmenter notre production hydroélectrique avec les STEP en stockant de l'énergie. Ce genre de stockage pourrait rendre utiles les énergies intermittentes en stockant l'énergie sous forme hydraulique par pompage. La gravité restituant ensuite l'énergie pour les besoins plus importants à certaines périodes. Cela réduirait l'énorme inconvénient intermittent actuel des panneaux solaires et de l'éolien.
On oubliera par contre l'hypothèse de l'utilisation du gaz et du pétrole de schiste. Il y en a en France et probablement beaucoup, mais les puits s'épuisent très vite. Les USA qui ont beaucoup employé ces sources d'énergie montrent déjà des signes de faiblesses. Si les USA ont réussi à redevenir indépendants sur le plan énergétique, qui n'a pas permis d'équilibrer leurs comptes extérieurs au passage, ils semblent avoir atteint un plafond qui commence à décliner. Comme nous l'apprend ce très bon texte de l'ENS de Lyon sur les hydrocarbures de schiste, on épuise très vite les puits. Leur durée de vie est d'à peine 6 ans. Est-ce que cela vaut le coup de ruiner nos sous-sols pour une ressource énergétique qui nous alimenterait peut-être pour seulement une génération dans le meilleur des cas? Quoiqu'il en soit plus que jamais, la question de la souveraineté énergétique se pose. Si l'Allemagne espère sans doute se rabibocher avec la Russie, je ne suis pas certain qu'elle y parvienne contrairement aux prédictions de Todd. Car si l'Allemagne a besoin de Moscou, l'inverse n'est plus vrai. Et l'Asie s'avère être probablement un bien meilleur client avec un plus grand avenir. Bref, soit l'Europe et la France redeviennent autonomes sur le plan énergétique et industriel, soit elles vont devenir vraiment très pauvre à terme.