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C'est un sujet qui revient souvent la question de la productivité du travail. Souvent glorifiée, car elle est la seule raison de la hausse du niveau de vie, ce qui est vrai, la productivité souffre par contre chez les économistes d'un grave problème de définition. Car comme je l'ai souvent dit sur ce blog, la productivité n'est pas un terme d'économiste à la base, c'est un terme d'industriel. À l'époque glorieuse du fordisme, la recherche de l'amélioration de l'organisation du travail fit faire d'énormes gains de productivité . On a tendance à surestimer l'apport de la technique dans l'amélioration de productivité d'alors et à sous-estimer celle de l'organisation en elle-même. C'est pourtant bien le fait que l'on est passé d'une fabrication artisanale où un individu ou un groupe d'individus fabriquait entièrement un véhicule à une spécialisation où chacun produit une pièce en particulier qui a fait exploser les gains de productivité. Vous pouviez ranger vos robots et vos IA, aucune de ces technologies ne pourra jamais refaire ce que Henri Ford fit à l'époque en termes de gain de productivité. Et pour mesurer ces gains, on a simplement calculé le temps que mettait chaque ouvrier pour faire chaque pièce. L'effet de la spécialisation du travail, s'il avait l'inconvénient de produire des emplois fastidieux et répétitif comme l'a si admirablement montré Chaplin dans « Les temps modernes », les gains de productivité en découlant permirent une très forte hausse des salaires et des niveaux de vie de la population en général.
L'on peut dire ainsi que les gains de productivité sont en quelque sorte le pacte faustien de la modernité. D'un côté ils rendent le travail parfois pénible, détruisent nombre d'activités, chamboulent nos sociétés, mais de l'autre ils ont permis aux générations qui se sont succédé de voir leur niveau s'élever grandement. C'est tout le paradoxe de la civilisation industrielle. Mais que l'on ne se méprenne pas, la technologie n'est pas le seul facteur qui a augmenté la productivité du travail par rapport à la société agropastoral dont nous sortions. La façon de travailler, de s'organiser a tout autant influé, si ce n'est plus que le progrès technique en lui-même. Et n'oublions pas bien évidemment l'énergie qui a permis aussi ces hausses de productivité. L'historien Jean-François Mouhot a estimé que grâce à l'énergie et à la technologie moderne qui l'emploie le français moyen avait l'équivalent de 427 esclaves pour fournir tout ce qu'il consomme en permanence. Cela rejoint les travaux anciens du célèbre économiste Jean Fourastié à qui nous devons la célèbre expression des trente glorieuses. Les gains de productivité sont à la source de notre prospérité, et il n'y a aucun doute sur cette question, ce qui est rare en économie.
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La productivité des économistes
Cependant, la façon dont on mesure cette productivité peut par contre faire question et poser problème. En effet comme nous l'avons vu la productivité telle qu'elle a été imaginée par l'industrie est quelque chose de très concret. On produit tant de choses avec telle quantité de personnel sur un certain laps de temps, avec tel coût du travail, etc. Si l'on peut ainsi calculer la productivité de telle ou telle usine et faire des comparaisons dans le temps ou avec d'autres usines similaires, il est difficile d'en faire un outil macroéconomique. Et les outils macroéconomiques, les économistes aiment ça. Même lorsque ces outils finissent par déformer la réalité au point de passer complètement à côté d'elle, à l'image du PIB exprimé en dollars qui a fait croire aux Occidentaux que la Russie était un petit pays pesant comme l'Espagne et qu'elle s'écroulerait avec des sanctions. On connaît la suite. Jacques Sapir a démontré récemment assez simplement que la Russie en terme économique réel était beaucoup plus proche de l'Allemagne. On rajoutera, comme l'a fait Emmanuel Todd, que la Russie produit beaucoup d'ingénieurs et de techniciens, en proportion largement plus que les USA. À tel point qu'en nombre absolu il y a pratiquement autant d'ingénieurs en Russie qu'aux Usa alors que les USA font 330 millions d'habitants et la Russie seulement 147 millions d'habitants.
On le voit, les erreurs de mesure en économie peuvent avoir de graves effets, puisque les occidentaux se sont menti à eux même en utilisant un outil économique qui n'a aucun sens quand on compare des nations entre elles. Et ils en ont conclu des mesures absolument stupides qui n'ont pas eu les effets escomptés sur l'économie russe. À l'inverse ce sont nos sociétés avec un gros PIB, mais largement dépendantes d'importations multiples qui se retrouvent en grave difficulté. Cette affaire montre qu'il y a d'énormes failles dans la « science » économique et que les outils employés sont bien souvent inadéquats, quand ils ne sont pas tout simplement pas faux, comme la fameuse courbe de Philips dont on a déjà parlé dans un autre texte. Il en va de même avec la notion de productivité. Pour les économistes, la productivité du travail se résume à la division du PIB par le nombre d'heures travaillé. Ce qui veut dire que tous les emplois sont mélangés et que tout concourt à la hausse ou à la baisse de la productivité. Vous êtes un paradis fiscal qui ne produit rien, la Luxembourg par exemple, et bien on voit que vous êtes très productif, c'est le second pays du monde le plus productif derrière Monaco... Évidemment, cela n'a aucun sens, ces pays vivant en parasitant économiquement leurs voisins.
On voit ici déjà la limite de l'outil dans les comparaisons internationales. Pourtant cela n'empêche pas certains groupes d'économistes de faire des « recherches sérieuses» sur les liens entre la productivité du travail et d'autres facteurs. Ainsi Natixis nous sort un comparatif entre différents pays pour mesurer soi-disant l'effet de l'effort de recherche sur la croissance de la productivité. Évidemment les Américains sont les champions devant une Europe en décrépitude. Et il est vrai qu'en matière de recherche, l'Europe fait, hélas, peu d'effort, c'est le moins que l'on puisse dire . Quand on pense que la France du Général de Gaulle dépensait presque 6% du PIB en recherche et développement, alors qu'on est à seulement 2% maintenant. Cependant, l'étude en question ne montre en réalité pas de lien systématique contrairement à ce que les auteurs affirment. Le Japon par exemple a une productivité du travail qui stagne alors que c'est un leader de la recherche mondiale. Pourquoi donc ? C'est simple, la mesure de la productivité que les auteurs utilisent, c'est la productivité au sens des économistes dont j'ai parlé précédemment. Comme le PIB japonais n'augmente pas pour diverses raisons, en premier lieu à cause de la crise datant des années 90 . La productivité du travail n'augmente pas d'un point de vue comptable. Cela ne veut pourtant pas dire que le travailleur japonais d'aujourd'hui n'est pas plus efficace que celui de l'an 2000. Ensuite, autre problème, si la productivité du travail résultant des investissements en recherche avait tant d'effets que ça sur l'économie américaine, comment expliquer les énormes déficits commerciaux ?
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Si un pays a une productivité du travail en forte hausse, il devient plus compétitif donc in fine il finit par accumuler des excédants commerciaux. Or c'est tout l'inverse, les USA accumulant des déficits de plus en plus énormes, 1000 milliards en 2022. Là encore, c'est parce que la productivité dont parlent nos économistes n'est pas la productivité réelle, mais une chimère comptable qui avait du sens seulement quand le pays produisait lui-même ce qu'il consommait. À partir du moment où vous importez tout les chiffres n'ont plus de sens. Et l'on se retrouve avec un Japon qui investit beaucoup dans la recherche, mais dont la productivité stagne alors que lui équilibre ses comptes extérieurs et des USA qui investissent aussi dans la recherche, mais qui ont une productivité apparente en hausse, mais des déficits extérieurs gigantesques. On pourrait rajouter que les injections monétaires permanentes qui font de l'activité et donc de la croissance du PIB par tête gonfle aussi cette productivité comptable. Et comment ne pas voir également que les produits importés gonflent aussi la productivité du pays ?
Enfin, je ferai une remarque acide sur la question de la recherche et du développement . Les USA ont tout à fait raison de massivement faire des efforts en ce sens et nous serions bien inspiré de faire la même chose en France et ailleurs en Europe. Cependant, il faut bien comprendre que dans un système totalement globalisé comme le nôtre l'innovation technique n'est plus une garantie de développement national. Et les USA en sont un parfait exemple. Ils ont des entreprises leaders dans des domaines de technologies avancées, mais ces dernières ne font pas systématiquement produire leurs innovations aux USA. La compagnie Tesla qui fait fréquemment parler d'elle à tort ou à raison vient d'annoncer par exemple un investissement massif au Mexique. On a de plus en plus de production sophistiquée ailleurs qu'aux USA par des entreprises américaines, et ce depuis longtemps. Même les centres de recherche délocalisent. La hausse du niveau scolaire planétaire condamne en fait la recherche dans les pays anciennement développés. Car les scientifiques qu'ils soient en Inde ou ailleurs coûtent beaucoup moins cher en étant tout aussi compétent, si ce n'est plus avec la baisse du niveau scolaire qui touchent certains pays développés. De facto, les innovations peuvent paradoxalement aggraver nos déficits commerciaux puisque tout est importé, même les innovations les plus modernes qui seront probablement fabriquées en Chine. Les USA sont ainsi un énorme importateur de technologie avancé alors même que celles-ci sont souvent conçues par leurs propres entreprises. C'est paradoxal, mais cela n'entre pas dans le calcul de nos amis de chez Natixis. Et de toute manière en matière d'innovation, le nouveau maître du monde est bien la Chine. Une étude récente montre que la Chine est désormais leader dans l'innovation dans la majorité des activités économiques. Cela tord l'idée que se font les Occidentaux de l'économie mondiale actuelle. La plupart des Occidentaux ont une vision qui a au moins 20 ans de retard. La domination chinoise c'est pour maintenant, pas pour dans 50 ans.
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