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19 mai 2017 5 19 /05 /mai /2017 16:09

La maîtrise du langage et des concepts est éminemment importante non seulement pour émettre un jugement et construire un raisonnement , mais aussi pour montrer une réalité que beaucoup ne veulent pas voir. Le fait que le langage et la dénomination des choses soient un fait essentiel dans la lutte intellectuelle est aujourd'hui une évidence. Les pouvoirs dominants n'ont pas cessé depuis des décennies de changer le sens des mots pour cacher une réalité et façonner un esprit du temps qui soit favorable à leurs intérêts. L'on pourrait évidemment ici citer Orwell et sa novlangue pour bien inscrire l'importance de cette lutte. Le changement du sens des mots, le fait de vouloir rendre invisible une réalité en déniant son existence même par le changement sémantique sont bien des méthodes de gouvernement moderne. Le marketing, la publicité et l'esprit Bernays ont façonné cette méthode moderne de totalitarisme soft consistant à nier les réalités en leur apposant des termes contraires à l'observation. On n'est plus clochard, mais SDF. On n'est plus clandestin, mais immigré ou réfugié. Il n'y a plus de récession, mais de la croissance négative. Il n'y a pas de zone de non-droit, mais des quartiers « sensibles ». Il n'y a plus d'obscurantisme religieux, mais une affirmation de sa différence. Il n'y a plus d'exploités, mais des précaires. Aimer sa patrie c'est être fasciste. Mettre des frontières, c'est être pour la fermeture. Réguler l'économie c'est être un bolchevique. Être pour le référendum c'est être populiste et démagogue, etc.. On pourrait faire un inventaire à la Prévert long comme le seigneur des anneaux s'il fallait tout inventorier.

 

On pourrait donc continuer ainsi longtemps. Le plus fascinant dans cette façon de gérer la société moderne c'est cette incroyable capacité à nier le réel en présentant des régressions en progrès . Ainsi le recul de l'usage de l'automobile en France est associé de façon positive à l'écologie. Les gens prennent le vélo parce qu'ils sont citoyens du monde et responsables écologiquement. L'observation fait pourtant plutôt penser au résultat simple d'un appauvrissement progressif des jeunes générations qui n'ont d'autres choix que l'usage du vélo, de la marche et des transports en commun . De la même manière voit-on les journaux mainstream et la presse people s'amouracher du fabuleux mouvement pour la colocation. Un nouveau moyen de vivre ensemble plein de promesses et d'ouverture à l'autre. Ce n'est certainement pas le résultat d'une explosion du coût du logement et d'une stagnation séculaire des salaires qui rend impossible l'autonomie sur le plan locatif. De fait pour pouvoir combattre l'idéologie dominante il faut s'efforcer de ne pas employer son vocabulaire. Pour combattre l'idéologie néolibérale, il faut éviter d'employer ses armes lexicales.

 

De la société postindustrielle, à la société en voie de sous-développement

 

C'est donc logiquement en partant de ce constat que nous devons nous employer à combattre le feu par le feu. Réhabiliter la réalité au détriment du mensonge marketing passe par l'emploi de mots crus décrivant le réel tel qu'il est. Il ne faut pas s'attendrir ou se féminiser en cherchant la concorde avec le système. Il faut au contraire lui balancer la réalité en pleine face à lui et aux Français encore ingénus et endormis dans le rêve de la société post-soixante-huitarde . Au rêve embrumé qui nous tue à petit feu nous devons substituer dans l'esprit du plus grand nombre une réalité dure qu'il faut regarder avec courage que ce soit sur le plan économique, migratoire ou géopolitique. Faire sortir les Français de leur torpeur consumériste voila la seule ligne de conduite qui pourra un jour faire basculer l'élection vers des choix plus rationnels que celui d'un baratineur de salon adepte du quatrième Reich monétaire.

 

On commence donc par démonter un mot totalement erroné dans le cas de la France, et qui fait figure pourtant de mot-valise depuis les années soixante-dix, celui de société post-industrielle. Que veut dire exactement ce terme d'ailleurs ? Il s'agit d'un terme inventé par Alain Touraine et Daniel Bell qui se focalisait sur la réduction progressive du poids de l'industrie dans la part des richesses des nations industrielles au profit des services et de l'importance de l'innovation technologique. Ce terme avait déjà été critiqué par le passé, mais il n'est pas nécessairement totalement faux si l'on se fit au regard de l'évolution de la fin des années 60 et du début des années 70. L'occident d'alors est encore riche et industriel. C'est alors les gains de productivité dans l'industrie qui vont petit à petit faire transiter une masse importante de la population de l’industrie vers les services et l'économie informelle. Dans ce cadre-là, parler de la France ou de l'Allemagne des années 1970-1975 comme des sociétés allant vers le post-industriel c'était rationnel. Car il était sous-entendu qu'elles restent des sociétés productives avec une industrie, mais où l'essentiel des emplois nouvellement créés le fut dans les services, c'était pertinent. Seulement la période qui va suivre celle des années 80-90 jusqu'à aujourd'hui sort de ce cadre. En effet, plusieurs pays industriels vont alors commencer à connaître des déficits commerciaux croissants, c'est le cas des USA depuis la fin des années 60 et de la Grande-Bretagne depuis les années 80 avec une forte aggravation depuis les années 2000, l'épuisement des ressources en mer du nord ayant fini par mettre en exergue la désindustrialisation avancé du pays. Pour la France, la situation de l'industrie est en sursis jusqu'aux années 2000, depuis l'avènement de l'euro c'est l'effondrement industriel général avec une franche accélération sous Sarkozy. Le plus grand symbole étant la production d'automobile qui a baissé de plus de 50 % depuis 2007.

 

De fait, le terme société post-industrielle ne correspond pas à la situation française, pas plus qu'à la situation américaine. Car la société post-industrielle ne signifie pas une société où il n'y a pas d'industrie, ce qui signifierait un retour de facto à la société agraire d'autrefois. Dans une société de service, on échange quand même des biens, et ces biens il faut bien les fabriquer, même si cela emploie peu de salariés et beaucoup de robots. Dans la société post-industrielle, il y a encore une industrie, de la même manière que dans la société industrielle, il y a encore une agriculture. Dans la société industrielle, l'agriculture est toujours là, elle représente une part maintenant infime de l'activité humaine, mais elle reste essentielle. Si je puis me permettre une lapalissade, comment nourrir la population s'il n'y a plus d'agriculture ? Il en va de même pour la société post-industrielle, l'industrie y est encore essentielle même si sa part dans l'emploi global est déclinante. J'aime souvent faire une analogie anatomique pour mettre en avant cette réalité. Que dirait-on d'un médecin qui désignerait l'importance d'un organe à son poids respectif ? Si l'on vous disait que votre jambe droite est plus importante que votre cœur parce que votre jambe est plus lourde que penseriez-vous de votre médecin ? Il en va de même pour les activités économiques. La plus importante est l'agriculture parce qu'elle nourrit les hommes. Ensuite viennent l'industrie, puis seulement les services. Ce sont les deux secteurs de base qui conditionnent en réalité les conditions de vie réelle de la population. Dès lors, imaginer une société sans industrie ou sans agriculture quand on est un pays de tailles raisonnable n'a juste aucun sens.

 

L'on voit bien ici la confusion qui peut naître dans l'esprit des gens et dont font usage les escrocs de la pensée pour défendre leurs intérêts de classe. Car il faut bien différencier la destruction d'emploi par les gains de productivité des destructions d'emploi par les délocalisations et les importations massives. Si le premier cas est effectivement normal et peut être appelé un processus d'évolution progressif vers une société post-industrielle l'autre cas de figure mérite une autre dénomination. C'est ici que la notion de sous-développement prend son sens. Dans ses nombreux ouvrages, l'économiste et historien Paul Bairoch avait défini les pays sous-développés comme des pays caractérisés par plusieurs choses. En premier, ils ont des déficits commerciaux chroniques. Ensuite, ils ont un secteur industriel faible et un chômage élevé. Enfin, ils ont un secteur tertiaire hypertrophié par rapport à leur capacité de production ce qui explique le déficit commercial. On pourrait rajouter que ces pays sont souvent caractérisés par un retard certain dans la transition démographique. Un retard implique une croissance rapide de la population active ce qui aggrave évidemment le sous-emploi généralisé.

 

L'on voit bien que les délocalisations massives et les déficits commerciaux qui touchent lourdement les pays comme la France ou les USA, sont le signe d'un sous-développement, à savoir d'une incapacité à remplir les besoins de la population. La préférence pour l'importation des classes dominantes de ces pays transforme leur territoire en nouveau pays sous-développé. Nous devons donc en déduire que la France n'est pas une société post-industrielle, mais un pays en voie de sous-développement. Comme le montre ce graphique qui provient du site Alternatives Economiques en sortant du domaine de la comptabilité économique et en se plaçant sous le signe de la consommation énergétique l'on voit bien les signes d'une désindustrialisation avancée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À l'inverse de la France, des pays comme l'Allemagne ou le Japon sont de bien plus proche de la société post-industrielle telle que définie précédemment. Ce sont des pays qui ne souffrent pas de déficits commerciaux. L'Allemagne accumule même des excédents excessifs, mais c'est un autre débat que nous avons déjà eu . Le Japon semble plus équilibré sur ce plan . Et la part d'emploi industriel reste relativement élevée comparativement à la France. Le tableau comparatif ci-dessus provient de l'OCDE, mais il n'y avait que les chiffres bruts en millier de personnes. Les USA arrivent en tête, mais il faut prendre en compte que ce pays fait 321 millions d'habitants contre 127 millions pour le Japon et 81 millions pour l'Allemagne. Les USA sont donc 2,5 fois plus peuplés que le Japon, mais n'ont que 1,68 fois plus d'emplois industriels. Pour l'Allemagne le ratio est pire avec 3,9 fois plus d'habitants, mais seulement 2,34 fois plus d'emplois industriels. Le cas de l'Allemagne est un peu particulier puisque cette nation bénéficie de l'euro qui a boosté exagérément son industrie en détruisant celle de ses voisins. Cependant, nous voyons bien la distinction qu'il faut désormais faire entre des sociétés effectivement post-industrielles comme le Japon, l'Allemagne, ou la Corée du Sud, et les sociétés en voie de sous-développement comme la France ou les USA.

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commentaires

B
Un plaisir de vous lire, deux ans d'attente mais quel retour. Je plussoie chacun des articles, un recul, une analyse. Mettre des mots et des arguments sur une situation donnée, c'est le type d'article que l'on devrait trouvé dans des journaux de qualité où une étude sérieuse et détaillée est nécessaire dans une vraie démocratie ou le droit d'être informé est un devoir. II ne s'agit après tout que l'un de nos nombreux droits bafoués (le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789).
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Y
Merci. J'ai flemmardé pendant deux ans par manque d'inspiration. On verra combien de temps mon entrain durera.