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5 avril 2024 5 05 /04 /avril /2024 16:15

 

La nouvelle volonté gouvernementale de réformer encore l'assurance chômage alors même que la réforme précédente commence à peine à être mise en œuvre montre encore une fois la lucidité des formules de notre prophète préféré Emmanuel Todd. En effet il y a quelques années, Emmanuel Todd avait décrit le modèle économique français comme étant un modèle aztèque. Un modèle qui ne repose pas sur la rationalité et la raison, mais sur le mode sacrificiel. On sacrifie les chômeurs au dieu marché et au libre-échange. On sacrifie l'industrie et l’agriculture française pour le dieu euro et la construction européenne. La réforme de l'assurance chômage récente s'inscrit dans cette longue tendance à la mutilation d'une partie de la population au nom de l'intérêt général pour sauver la France de la méchante dette. Mais aussi avec comme idée dernière que les populations concernées sont responsables de leur situation. Car dans le monde pur et parfait du libéralisme et du marché qui s'autorégule, seule la fainéantise des chômeurs peut expliquer leur situation.

 

On notera au passage que si le gouvernement est prompt à réduire les droits des chômeurs de façon arbitraire, il ne réduit pas pour autant le coût de l'assurance chômage pour les entreprises et les salariés. Pourtant en toute logique si vous réduisez les services que vous proposez, vous devriez en réduire aussi les prix. Mais là non, l'état s'arroge le droit de ne pas observer la règle la plus élémentaire du marché dont il est pourtant en théorie un grand défenseur. Donc au-delà même de la question de l'injustice qui est faite aux chômeurs et du caractère délirant de ces politiques. Il y a même un vice profond de raisonnement et une spoliation pure et simple de nos entreprises et des salariés français. On pourrait rajouter à cette vision d'horreur d'une société française sacrifiant sa population la plus fragile pour ses croyances, la crise en Ukraine. En effet en plus de vouloir détruire les services publics, l'état français veut maintenant carrément envoyer les jeunes Français mourir pour l'Ukraine ou plutôt pour l'UE et l'OTAN, autres divinités intouchables des croyances de nos dirigeants.

 

La violence symbolique et la fonction du bouc émissaire

 

Cependant, cette question de modèle sacrificiel pose question dans une société qui se veut rationnelle et fondée sur la science. La récente crise du COVID et les mécanismes de peur collective qui ont entraîné des prises de décision totalement délirante comme les confinements ont montré que sous la mince couche de « science » qui organise notre société il y a en réalité une irrationalité sous-jacente toujours aussi forte. Et cette irrationalité est sans doute beaucoup plus forte aujourd’hui qu'elle ne l'était il y a seulement trente ou quarante ans. En effet au risque de radoter le nihilisme qui touche aujourd'hui l'occident et la France en particulier pousse les populations à chercher de nouvelles croyances de substitution aux anciennes croyances traditionnelles. Car l'être humain a d'une part un besoin de certitude que la science en réalité ne peut lui offrir de par sa nature. En effet, la science est fondamentalement fondée sur l'observation et elle peut remettre en cause des vérités établies précédemment par de nouvelles découvertes. C'est toute la qualité de la science, mais c'est aussi ce qui fait qu'elle ne peut pas réellement se substituer aux fonctions organisatrices des croyances religieuses ou culturelles.

 

De fait la science c'est en partie l'incertitude et la remise en cause permanente. Mais l'être humain a besoin de croire dans certaines choses stables et la religion, la culture ont cette fonction. On voit donc ici que la disparition des croyances traditionnelles a laissé un vide. C'est le fameux nihilisme dont on a parlé dans la critique sur le dernier livre d'Emmanuel Todd. Cependant, ce vide ne dure pas, il se transforme en besoin irrépressible de croyances de remplacement. C'est là que les idéologies modernes font leur apparition. À ce besoin de certitude s'ajoute aussi la mécanique de socialisation . Les religions ne sont pas seulement des croyances, mais aussi et surtout des vaisseaux par lesquels s'effectue en grande partie la socialisation des individus. Elles permettent des références communes , un langage culturel commun. C'est un processus extrêmement important, car l'être humain est un individu, mais aussi un être collectif. S'ajoute donc au besoin de certitude le besoin de partager sa vie dans un groupe avec d'autres personnes. Ces personnes ont des activités et des croyances qui vont servir de liant entre elles, et ce liant est en partie religieux et culturel.

 

Quand la république est devenue laïque, elle a quand même créé un langage commun de substitution à celui du catholicisme. Parce que les dirigeants d'alors avaient bien conscience de ce besoin et que l'on ne pouvait tout simplement pas créer une société d'athée où il n'y aurait aucune référence commune. La République française laïque a d'ailleurs été probablement plus violente que la monarchie absolue sur les coutumes et les langues régionales parce qu'elle n'avait plus l'assise religieuse derrière elle qui créait naturellement ce langage commun. Il s'agit bien sûr ici d'une hypothèse personnelle sur la question. Je pense que la grande brutalité républicaine pour imposer une culture unique en France et lutter contre les langues régionales bien plus fortement que la monarchie fut en grande partie liée à la faiblesse de ce régime. Sinon comment expliquer la violence soudaine pour des cultures et des langues locales qui étaient pourtant demeurées longtemps sous la couronne française ? Pourquoi vouloir à ce point uniformiser un pays qui avait pourtant si bien continué tel quel pendant des siècles ? La république ne pouvant plus utiliser le christianisme comme liant a dû chercher des substituts. Malheureusement, on le voit bien aujourd'hui, le clergé laïque républicain est lui-même entré en déclin. La religion républicaine a beaucoup perdu de son éclat et en tout cas elle n'arrive plus à produire de la cohésion comme elle pouvait le faire encore dans l'immédiat après guerre. Restent alors les croyances de substitution. Cependant, nous en revenons à des croyances près chrétiennes dans leur comportement.

 

Nous allons ici nous référer aux célèbres thèses de René Girard sur le bouc émissaire et le rôle qu'a tenu le christianisme dans l'histoire des religions. D'après Girard le christianisme est la dernière des religions, celle qui met fin à la religion, et celle qui a mis fin au mécanisme du bouc émissaire et du sacrifice. En effet pour Girard, la violence est à la base de la civilisation. C'est la violence contre l'autre, contre un groupe, contre un bouc émissaire qui crée la cohésion d'un groupe contre un ennemi commun. La religion finira par symboliser cette violence à travers les sacrifices. D'abord dans les sacrifices humains qui ont été pratiqués un peu partout dans le monde et dont le plus célèbre exemple fut chez les Aztèques qui pratiquaient des sacrifices immondes à grande échelle. Chose qui a grandement facilité l'invasion des Espagnols qui ont pu jouer sur les inimitiés locales produites par ces sacrifices, les Aztèques préférant sacrifier les populations des voisins à la leur. Ensuite, les religions ont abandonné ces sacrifices humains par des sacrifices d'animaux, mais la fonction est restée. La religion donnant par ces sacrifices un langage commun et un but commun à la population qui la pratiquait. Le christianisme a mis fin à cela avec le sacrifice de Jésus qui a payé pour tous les pêcher en quelque sorte. C'est la grande différence entre le christianisme, et les autres religions qui ont pu exister dans l'histoire humaine.

 

Mais aujourd’hui le christianisme et ses valeurs sont largement en déclin. Et nous faisons face à des résurgences de mécanismes de bouc émissaire sous des formes nouvelles même si le fond reste le même. L'on peut voir ici que la question du chômage telle qu'elle est utilisée n'est pas vraiment rationnelle, elle n'est même pas rationnelle du point de vue économique. Les économies réalisées sont simplement ridicules en regard des besoins de l'état et de notre endettement. Cependant, il ne s'agit pas de résoudre un problème économique, mais de trouver les responsables des échecs des politiques publiques. Les dogmes religieux comme la construction européenne, l'euro ou le libre-échange étant impossible à remettre en question, on trouve des boucs émissaires à ces échecs. On peut donc analyser le comportement de nos gouvernants comme un comportement que l'on croyait disparu de nos contrées depuis longtemps, mais qui ressurgit à l'occasion de l'effondrement des croyances collectives traditionnelles. Celui du sacrifice des pêcheurs, ceux qui ont osé ne pas se comporter correctement par rapport aux dogmes en vigueur. Ils sont responsables de nos malheurs et doivent donc être punis. Ce mécanisme est d'autant plus facile à mettre en œuvre que le libéralisme et ses préceptes ont des concepts qui produisent naturellement ce type de conclusion. L'idéal du marché pur et parfait qui s'autorégule et qui naturalise le comportement économique peut produire très rapidement ce type de raisonnement hasardeux. S'il y a du chômage, c'est forcément la faute des chômeurs qui demandent trop de salaires ou qui sont fainéants. Le marché lui ne peut pas se tromper. Il est extrêmement inquiétant de voir nos sociétés modernes revenir à des comportements à ce point primitif, cherchant en permanence des responsables à tous leurs malheurs, les chômeurs, les pauvres, les jeunes, les fonctionnaires, les Russes, les Chinois.

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commentaires

D
Les extrêmes centristes me font rire quand ils parlent de "valeur travail". Il n'ont aucun souci qualitatif sur les emplois. Leur façon de valoriser le travail est de faire en sorte que les chomeurs n'aient pas d'autres choix que, traverser la rue, pour bosser dans le premier emploi qu'ils trouvent. Leur pensée n'a aucune espece d'ambition (a par pour leur carriere evidemment).<br /> Ca se manifestait bien lors des sanctions sur la Russie ou Lemaire était infichu de comprendre que la Russie est un pays beaucoup plus autonome que la France. Je pense qu'une taupe est dotée de plus de vision qu'un macroniste.
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Y
En vérité ils font juste acte de présence. Il n'y a plus de véritable politique en France que ce soit en matière économie,d'emploi ,de géopolitique ou d'autres sujets. Nos dirigeants ont fait de la politique un job comme un autre qui leur permet de faire avancer leurs intérêt personnels. Mais c'est un problème général de dépolitisation française et du fameux nihilisme dont parle Emmanuel Todd. On en est pas arrivé là simplement parce que quelques méchants sont arrivés par hasard au pouvoir. Et c'est ce qui m'inquiète le plus, on est pas près de s'en sortir.