Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
1 avril 2024 1 01 /04 /avril /2024 16:07

 

 

Une bien triste vidéo a fait du buzz dernièrement sur les réseaux sociaux. Il s'agit du témoignage d'une femme qui est née grâce à la PMA. Elle est farouchement opposée à cette technique qui pourtant lui a donné naissance. Il ne s'agit pas ici de débattre sur la procréation médicalement assistée. Est-ce une bonne chose ou pas ? La question à mes yeux qui m'intéresse c'est plutôt les effets de la marchandisation de la reproduction. Car avant d'être une technique, la PMA est devenue un marché. Chose que les défenseurs des « libertés » individuels ou ceux qui s'affichent comme tel évitent bien soigneusement de parler. Très souvent ces débats entrent sur les terrains moraux et religieux alors que le fond du problème est l'acceptation de la marchandisation de quelque chose qui n'a jamais fait partie du marché. Et le marché signifie inégalité d'accès, exploitation et pulvérisation des relations humaines à travers le seul prisme de l'intérêt pécuniaire. S'il y a bien un argument contraire à cette technique, c'est bien celui du danger que représente la marchandisation du corps des femmes qui devint ainsi un produit qu'on vend au plus offrant.

 

Rappelons d'ailleurs au passage que l'Ukraine dont on parle fréquemment à cause de l'horrible guerre qui s'y produit était également tristement célèbre pour sa production de mère porteuse pour les riches occidentales qui voulait un bébé par PMA. Regardez ce sublime site officiel pour faire votre marché et acheter un bébé en ligne. Cela résume à mes yeux toute l'horreur de l'extension permanente du « marché » dans tous les aspects de nos vies et sans que personne ne la remette en cause à part quelques penseurs scientifiques et philosophes. Car au-delà de cette question de la procréation médicalement assistée c'est surtout sur cette question de la marchandisation que je voulais parler aujourd'hui. Certains penseur on a déjà abordé le sujet, on pourrait citer rapidement Karl Polanyi, Ivan Illich, Jacques Ellul ou encore mon compatriote montpelliérain Jean Claude Michéa. On pourrait également dire que cette question était déjà sous-jacente chez les premiers penseurs de l'économie. Les physiocrates à l'image de Jean Jacques Rousseau pensaient par exemple que la seule véritable richesse venait de l'agriculture. Ils faisaient surtout une grande distinction qui sera malheureusement abandonnée par la suite entre la valeur marchande et la valeur d'usage.

 

On retiendra sa célèbre phrase que je cite souvent, mais qui est d'une grande clairvoyance à mon humble avis : « Du même principe on peut tirer cette règle,qu'en général les arts sont lucratifs en raison inverse de leur utilité et que les plus nécessaires doivent enfin devenir les plus négligés. » Chez Rousseau et une partie des penseurs de son époque, la valeur marchande n'était pas la référence absolue. Rappelons qu'à l'époque la société est encore baignée dans le christianisme. Et l'influence de la croyance religieuse est encore très forte. Elle est même carrément explicite chez le papa des libéraux Adam Smith et sa main invisible qui résout tous les problèmes de déséquilibre des marchés. Delà à n'y voir qu'une expression cachée de la providence chrétienne, il n'y a qu'un pas. On avait alors bien conscience que le marché n'était qu'une petite partie de la société et l'on aurait alors considéré comme folie le fait de vouloir tout régenter par les mécanismes du marché d'offre et de demande. C'est pourtant bien ce à quoi a abouti le libéralisme au fil des siècles en perdant petit à petit le cadre moral et chrétien qui était le sien à l'origine. C'est comme cela qu'on passe d'un Adam Smith qui va à l'église et qui croit à la charité chrétienne à un Milei (le président libertarien argentin) qui fait cloner ses chiens. On voit ici un peu les effets du nihilisme d'Emmanuel Todd dont nous avons déjà amplement parlé. Ce nihilisme n'a pas touché que les politiques, il a d'abord touché les milieux intellectuels et les économistes.

 

Laissée à elle-même, la logique ne produit que des délires . Sans un cadre solide fait d'axiomes produit par la culture, l'éducation et la religion, la raison devient vite une folie. Les physiocrates pensaient donc le marché dans un cadre qui lui n'était pas marchand. Il y avait la morale, et tout un tas d'activité qui n'entraient pas dans le cadre du marché. La marchandisation de la totalité des activités humaines est un processus qui a mis du temps à se réaliser, mais qui advient aujourd’hui de plus en plus clairement. Faut-il rappeler qu'il y a à peine un siècle on aurait rigolé si vous aviez proposé de vendre de l'eau par exemple ? L'eau était gratuite, mais comme vous le savez, la pollution produite par le système industriel a permis de valoriser l'eau en la dépolluant, créant ainsi un marché de l'eau. On le voit, le processus de marchandisation est aussi un effet naturel du « progrès », ou ce que l'on nomme le progrès. Nous pourrions souligner comme le faisait Michéa que la délinquance elle-même est source de PIB. Que ces pays où l'art de vivre et la tranquillité sont pauvres. Imaginez ce pauvre Japon n'ayant ni vole de masse, ni trafic, ni cités « sensibles ». De combien le PIB japonais pourrait-il grimper s'il avait la chance d'être comme nous inondé de violence, et de trafiques en tout genre ? Je caricature à peine, mais il est indéniable que le progrès du PIB n'en est pas forcément un. Même si indirectement il est probable que le coût de ces désagréments finit par être mesuré à l'aune de l'inefficacité économique et commerciale de pays comme la France ou les USA.

 

Remettre le marché à sa place

 

L'on voit bien que la seule organisation autour de la valorisation marchande est une impasse en réalité. Trop de choses importantes finissent négligées pendant que l'essentiel est détruit. C'est exactement les propos de Rousseau. Nous pourrions multiplier les exemples. L'on se focalise souvent sur le désintérêt général des jeunes Français pour les études . La baisse du niveau scolaire est aujourd'hui un truisme comme on en a parlé dans mon texte précédent. Mais quelle motivation les jeunes peuvent-ils avoir pour les études dans une société qui valorise les manipulateurs de symboles, les amuseurs publics ou les footballeurs. Quand une société valorise des millions d'euros des sportifs ou des youtubeurs, mais maltraite ceux qui la nourrissent, ceux qui enseignent, ceux qui la défendent ou ceux qui font des sciences, il ne faut pas s'étonner que les jeunes se détournent des arts essentiels. L'effondrement de l'attrait pour tous les métiers vitaux vient en grande partie des effets du marché libre et dérégulé qui valorise le superflu et dévalorise l'essentiel. Encore une fois la seule mécanique du marché ne peut réguler réellement la société. C'est encore plus vrai dans une société qui a ouvert toutes ses frontières et qui importe l'essentiel de ce qu'elle consomme pour occuper sa population dans des métiers d'occupation pour l'essentiel, les fameux bullshit jobs.

 

Comment ne pas voir également dans la dégradation de la fécondité ou le célibat de masse, comme les derniers avatars des effets du libéralisme ? La rencontre qui était autrefois le rapport naturel entre les hommes et les femmes, fruit des rencontres et du hasard de la vie, est elle aussi devenue un marché. D'un côté le marché technologique sépare les gens. On diminue les lieux de rencontre publics , on produit une société où les gens se rencontrent moins de façon naturelle en rendant marchands tous les aspects de la vie. Il est fini le temps des églises, des bals populaires et du parti communiste. Donc les gens n'ont plus vraiment l'occasion de se rencontrer naturellement. De l'autre, on met en place des applications de rencontre marchandisant totalement les relations en transformant un acte qui était autrefois gratuit, mais qui devient subitement un marché. Dans les sociétés les plus avancées sur cette marchandisation, le Japon est probablement le champion. Là-bas vous pouvez carrément louer des petites amies et même des amis tout court. N'en doutez pas cela arrivera chez nous très vite même si le marché des « escortes » en est une prémisse.

 

On le voit ici rapidement, le problème n'est pas tant notre modèle économique ou technologique qu'un effet de mentalité. La disparition de la morale publique et des cadres chrétiens et culturels a fait disparaître les interdits et les limites. Et cette disparition des limites, de ce qui est acceptable ou non a permis cette extension du marché qui s'étend à tous les paramètres de la vie. Comme nous l'avons vu rapidement sur la question de la PMA, cette « libéralisation » n'en est pas une, c'est avant tout une marchandisation, une capitulation devant l'avarice et l’appât du gain. Bien sûr, cela n'est jamais présenté de cette manière, mais c'est la véritable motivation derrière les arguments de bienveillance sur les personnes ne pouvant pas avoir d'enfants. L'on oublie généralement les pauvres victimes de ces marchés qui n'ont pas de choix parce qu'elles sont très pauvres, quand elles ne sont pas carrément victimes de réseaux criminels ou d'autres pressions.

 

 Alors vous me direz que tout ceci est vrai, mais que peut-on faire ? La solution est très simple, il s'agit de remettre des limites. Il faut réencadrer le marché et mettre fin à son élargissement sans fin. Cela peut commencer sur certains sujets comme la PMA, mais pas seulement. On peut également mettre fin à l'existence de certains marchés très fructueux pour certains. C'est avant tout un sursaut moral qu'il nous faut avoir et un certain courage pour affronter les lobbys divers et variés qui crieront aux réactionnaires et à la limitation des libertés publiques. Quand on voit la pauvre Allemagne qui se met à légaliser le cannabis, on voit bien vers quels délires nous nous dirigeons à terme. Il faut mettre l'impensable en action et montrer qu'il ne tient qu'à nous de nous redresser collectivement. L’extension du marché n'est pas le fruit d'une mécanique lié à un phénomène naturel. Il est avant tout le fruit pourri de l'effondrement progressif de la morale publique et des croyances collectives. Tout phénomène social est réversible, y compris le tout marché. Il faut réaffirmer que tout ce qui a de la valeur marchande n'a pas forcément de valeur pour la société, que l'on ne mesure pas l'importance d'une chose uniquement par sa valeur marchande. Non Aya Nakamura ne vaut pas Edith Piaf, pas plus qu'Harry Potter ne dépasse les Misérables. Il faut remettre de la logique non marchande dans notre civilisation, il faut reciviliser la France et l'occident. C'est une peu en substance ce que disait Pierre Thuillier dans son livre de 1995 « La Grande Implosion: Rapport sur l'effondrement de l'Occident ». Chiche, pour commencer, je propose de démarchandiser le sport. La fin du professionnalisme sportif ferait beaucoup de bien non seulement au milieu sportif, mais aussi à la morale de notre jeunesse.

Partager cet article
Repost0

commentaires

L
Je ne pense pas que la professionalisation du sport soit le problème, le sport n'étant que le reflet de la société en général. <br /> Je me souviens de l'engouement quasi religieux pour "les verts", les footeux de Saint Etienne il y a cinquante ans mais ce qui n'était pas malsain en soi (tout gosse j'avais déjà rencontré la Kopa-mania dans un faubourg populaire de Reims, à la glorieuse époque "du stade" d'Albert Batteux lui-même enfant du quartier). <br /> Les vedettes alors ne vivaient pas comme des nababs et envoyaient un modèle de réussite qui restait basé sur l'effort et la volonté, modèle qui servait de fierté commune à toute une région voire toute une nation.<br /> <br /> (exemple ce reportage pris au hasard des archives, il y en a des centaines du même genre qui nous parlent ainsi d'un monde oublié) <br /> https://m.youtube.com/watch?v=0qbumR-E7_I&pp=ygUZUmVwb3J0YWdlIENocmlzdGlhbiBsb3Bleg%3D%3D<br /> <br /> Le sport  - professionnel ou non- comme la musique populaire servait encore de référent et de lien social (et Brel ou Brassens à ce titre étaient de la même Église que les Beatles, seul leur public respectif n'occupant pas en principe la même travée) et l'on sait combien les deux pouvaient être un marqueur à la fois social et générationnel dans un contexte d'effondrement religieux mais qui n'en était encore qu'à l'aube de celui du civisme. <br /> Mais au fait, l'un - soit le symptôme- menait-il forcément à l'autre -soit la maladie ? <br /> <br /> Le sport professionnel - pour reprendre les termes de votre analyse - n'a jamais fait que subir comme le reste les coups de boutoir du Grand Tout Marché et il n'était pas indifférent que les apôtres de cette dérive étaient aussi des bateleurs de la politique à l'image d'un Bernard Tapie - mais on a fait bien pire que lui depuis. <br /> <br /> (Par ailleurs vous semblez mal connaître les arcanes du sport amateur qui n'a jamais été non plus un modèle obligé de désintéressement et de propreté morale, sujet mine de rien concernant notre époque de l'un des chefs d'œuvre du cinéma britannique "la solitude du coureur de fond" de Tony Richardson.) <br /> <br /> Je pense pour ma part qu'imaginer une pratique sportive de masse sans professionnalisme affiché ou de fait de son élite est une chimère à laquelle les anciennes nations dites socialistes n'ont d'ailleurs pas échappé. C'est du même tonneau que concevoir une instruction de masse sans universitaire bien payé .<br /> <br /> Il en est ainsi du sport comme de "La technologie", sujet de votre avant dernier billet, et l'un comme l'autre, de même que "la société marchande" ne sont peut-être pas devenus ce qu'ils sont par fatalité. Je vous rappelle ce que disait Braudel de l'économie de marché, pour lui multi-millénaire, alors que le capitalisme n'était qu'un "visiteur du soir", peut-être un simple accident ou une impasse de l'histoire. <br /> À la suite de Braudel on pourrait d'ailleurs considérer le capitalisme financier comme le voleur qui aurait mis le pied en travers de la porte au dernier moment à la suite du précédent, cela même si des gens comme Marx avaient bien prévus ce risque dans la nature même du capitalisme. <br /> <br /> La Russie, tout comme la Chine, sont peut-être le laboratoire d'un nouveau virage de l'humanité parce qu'elles semblent pour l'instant vouloir rester des sociétés de production tout en se tournant vers la maîtrise des très hautes technologies et éviter ainsi le piège dans lequel l'occident est tombé . <br /> <br /> Sans doute ont-elles aussi plus que nous la hantise de l' automne démographique qui frappe l'ensemble de l'humanité aujourd'hui. <br /> Il semble en tout cas que ce choix leur permet paradoxalement de conserver la part de spiritualité nécessaire à toute société humaine, étant entendu que je ne confond pas spiritualité (la prise d'acte contemplative du grand mystère de la vie) et religion, cette dernière sous sa forme monothéiste pouvant être identifiée comme un autre de ces visiteurs du soir chers à Braudel. <br /> <br /> Le rationalisme se sauvera dans la spiritualité alors qu'on le voit à nouveau bégayer salement dans la religion. <br /> <br /> En l'état, la dérive de la civilisation occidentale est un exemple sans doute inédit de "trou noir" qui dévore et engloutit toute croyance collective - au sein du sport comme du reste - et tout projet d'avenir autre que des leurres visant à masquer son appétit mortifère insatiable (une image que j'emprunte au "déchaînement de la matière" de Philippe Grasset). <br /> <br /> Par sa masse, je ne vois pas d'issue raisonnable au processus et j'ai la conviction que nous n' en connaîtrons la fin que dans la violence. Mais je ne vais pas vous importuner avec ça.
Répondre