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29 mars 2024 5 29 /03 /mars /2024 15:55

 

Inlassablement nous voyons, de façon répétée, la question de la baisse du niveau scolaire apparaître dans les médias. L'affaire n'est pas nouvelle, mais elle est aujourd'hui appuyée par de nombreuses études. On sait même désormais que le QI de la population baisse pour la première fois de l'histoire alors que le QI avait plutôt tendance à augmenter ces derniers siècles. C'est en tout cas que ce qu'avait affirmé une étude norvégienne qui est sortie en 2018 et qui avait fait grand bruit. Pour ce qui est de la baisse effective du niveau scolaire, il n'y a plus vraiment de doute sur la question en tout cas en France. Les comparaisons internationales, mais aussi transgénérationnelles ont démontré une baisse effective que ce soit en français ou en mathématique. Aux USA la baisse est avérée depuis plus longtemps, Emmanuel Todd l'avait même fortement souligné dans son célèbre livre, sorti il y a vingt ans déjà, « Après l'Empire ». Dans son dernier livre dont nous avons déjà amplement parlé « La défaite de l'occident », il attribue cette baisse au nihilisme et à l'effondrement de la croyance religieuse qui l'a produit.

 

En effet, le protestantisme avait un effet de motivation pour le travail. Todd avait repris ici les arguments célèbres du sociologue Max Weber qui avait fait clairement le lien entre le décollage industriel et le sérieux collectif produit par la religion protestante. La disparition du protestantisme entraînant la disparition des valeurs dont cette religion était porteuse. Pour aller dans ce sens, on voit bien aujourd’hui que les pays d'extrême Asie influencés par le confucianisme et le bouddhisme ont aussi une appétence pour l'instruction qui produit un fort décollage économique aujourd'hui. Je rappellerai à l'occasion que Max Weber lui-même avait prévenu que ces pays pourraient devenir de formidables machines capitalistes et industrielles à terme grâce justement à cette culture du sérieux et du travail. Il l'a écrit dans « Hindouisme et bouddhisme », un livre sorti en 1917, c'est-à-dire bien avant le décollage économique de ces régions si l'on exclut le Japon. Les pays asiatiques trustent désormais la quasi-totalité des premières places en matière de comparaison internationale de niveau d'instruction des élèves. Il y a donc bien évidemment un lien entre le phénomène religieux, culturel et le progrès éducatif plus ou moins rapide. L'hypothèse d'Emmanuel Todd est donc tout à fait plausible et l'on peut associer cet effondrement scolaire et éducatif en France aux effets de la disparition des croyances religieuses et du cadre anthropologique et culturel des familles françaises.

 

Proportion de naissances hors mariage en France (1745-2016) Graphique effectué par l’autrice. Sources : Yves Blayo, « La proportion de naissances illégitimes en France de 1740 à 1829 », Population, numéro spécial Démographie historique, novembre 1975 ; Agnès Fine, « Enfant et normes familiales », dans J. Dupâquier (dir.), Histoire de la population française, t. 3, De 1789 à 1914, Paris, PUF, p. 436-457 ; Françoise Daguet, Un siècle de fécondité française, caractéristiques et évolution de la fécondité de 1901 à 1999, Paris, Insee Résultats, Société n° 8, 2002 ; Insee.
Proportion des naissances hors mariage en France

 

Autre facteur qui est tout aussi important, la famille, justement. Comment ne pas imaginer que l'instabilité des familles françaises moderne comme moins efficace sur le plan éducatif ? On le sait d'expérience. Les enfants ont besoin d'un cadre stable pour être éduqués convenablement. Et je ne dis pas ça par haine des familles recomposées ou monoparentales. Je viens moi-même d'une famille assez instable, je sais pertinemment que c'est souvent très difficile à vivre. Mais on peut quand même avoir des enfants bien élevés dans ce genre de cadre. Seulement d'un point de vue statistique, il est indéniable que l'instabilité familiale a plutôt tendance à nuire à la réussite des enfants même si heureusement beaucoup deviendront quand même des citoyens tout à fait respectables et bien instruits. Il faut bien prendre en compte les changements qui ont eu lieu en la matière ces 50 dernières années. On est passé de moins de 10% des naissances hors mariage dans les années 70 à près de 64% en 2022. Même chose pour les familles recomposées ou monoparentales qui ont explosé. Il est étonnant que l'on ne parle jamais de ces facteurs majeurs comme composante des difficultés à instruire les jeunes d'aujourd'hui. C'est pourtant une évidence même s'il est certain que cela ne plaît guère aux défenseurs du droit à la jouissance individualiste permanente. Au Japon qui est un pays beaucoup moins touché par l'effondrement du niveau scolaire, les enfants hors mariage c'est moins de 2% des naissances. Et les familles monoparentales sont rarissimes. Je ne dis pas que c'est le seul facteur explicatif, mais il est très clair que cela doit jouer énormément sur les moindres performances françaises actuelles en matière d'instruction.

 

 

Alors vous me direz que les Japonais font moins d'enfants, mais ils les éduquent mieux. C'était probablement vrai, mais la France voit sa natalité baisser rapidement. Nous aurons donc non seulement des enfants mal élevés, mais en plus aussi peu nombreux que chez eux. Il y a ensuite bien évidemment le facteur purement éducatif que l'on qualifie de laxiste aujourd'hui. Il est bien évident que l'enseignement en France a souffert et souffre encore de l'idéologie néolibérale qui ronge le pays en réduisant toujours plus les investissements dans l'éducation. Pour nos dirigeants actuels, l'instruction doit être réservée aux plus aisés, les autres devant se contenter d'une école au rabais avec des profs très mal payés. Que l'on soit de gauche ou de droite, les faits sont là, la France a des enseignants qui sont maltraités depuis longtemps. Ajoutons à cela un abaissement prodigieux des exigences en matière d'instruction. Mais c'est allé de pair en faîte. En réduisant l'attrait de l'instruction pour les meilleurs éléments, vous vous retrouvez petit à petit avec des professeurs de moindre niveau et le niveau d'exigence s'abaisse progressivement. Il y a donc une spécificité française qui est la négligence de plus en plus ouverte de l'instruction publique. Les couches sociales aisées pensant échapper au déclin grâce au secteur privé. Sauf que bien évidemment la baisse touchera aussi mécaniquement le secteur privé. Car les profs du privé viennent aussi très souvent du secteur public, très navigant entre les deux secteurs. Dans l'instruction comme dans le cas de la santé publique, la négligence des plus faibles finira par avoir des effets dramatiques même sur les couches sociales les plus avantagées.

 

Le facteur technologique

 

En excusivité une photo du blogueur Yann à droite de l'écran

 

Mais parlons d'un dernier point qui est plus rarement abordé en la matière, celui de la technologie. Alors je caricature un peu ici, c'est une thématique qui ressort tout de même de temps en temps. La Suède a par exemple abandonné dernièrement son orientation vers le tout numérique pour revenir à une instruction plus traditionnelle à base de cahier et d'écriture. Montrant qu'effectivement l'obsession pour le numérique devant tout remplacer avait ses limites. Je rappellerai ici qu'il s'agit aussi d'énormes marchés et que l'influence de certains lobbys peut primer sur l'intérêt réel de l'éducation des jeunes. Ce que l'on a vu sur les questions médicales, ou dans d'autres secteurs, existe aussi malheureusement dans le domaine de l'éducation. Nous pourrions par exemple avoir des livres pratiquement identiques pendant des années pour instruire les jeunes, mais cela nuirait au commerce de la production de livre pour l'éducation. De là à penser que l’obsession pour les changements de programme permanents n'a pas pour but une amélioration de l'instruction, mais le renouvellement d'un marché captif pour certains intérêts, il n'y a qu'un pas, que je n'hésite pas à franchir personnellement.

 

Il en va de même pour la question du numérique qui a été incrusté dans l'éducation nationale à coup de marteau étatique si je puis dire, pour le bénéfice probable de certains acteurs privés. Et cela sans que l'on ait d'étude préalable sur ses avantages réels. La question des effets de la technique sur le niveau scolaire est donc quand même abordée dans les médias. Mais il s'agit souvent de parler des effets de nuisance par rapport à l’instruction plus classique ou des effets sur le sérieux en cours. Il est par exemple tout à fait normal de se poser la question du sérieux qu'il y a à autoriser les smartphones en classe. Il est bien évident qu'il faudrait les interdire pour tous les établissements. Cela nuit énormément à la concentration des élèves et peut aussi nuire fortement aux enseignants. Mais sortons des aspects relativement triviaux même s'ils sont importants et posons-nous la question des effets de la technique en général sur la société et pas seulement sur le milieu scolaire. En effet si la baisse du niveau scolaire est quelque chose de facile à mesurer celui de la baisse générale de la population l'est moins. J'ai pourtant l'impression à titre personnel qu'il y a bien eu une baisse de niveau et pas seulement chez les plus jeunes depuis une trentaine d'années au moins.

 

Pour ceux qui comme moi aiment bien regarder les vieilles émissions des années 60-80, la chute est immense. Le phrasé moyen de la population s'est littéralement effondré tout comme le vocabulaire ou les références culturelles. Et au risque de jouer les vieux schnocks, comme les célèbres personnages du Muppet Show, la baisse transparaît dans à peu près tous les secteurs, et pas seulement chez ceux ayant attraits à la politique, aux sciences, ou à l'éducation. C'est d'ailleurs probablement dans les secteurs culturels que le choc est le plus violent. Où sont donc les Desproges, les Inconnus, les Brassens, ou les Gabins modernes ? Je ne suis pas le seul à faire le constat. Dans le domaine musical par exemple la chaîne Piano Jazz Concept tenue par un musicien de profession fait régulièrement des constats amers sur l'évolution de la qualité musicale en occident. Mais quel est le lien avec la technologie me direz-vous ? Les smartphones ou le numérique qui nuisent à l'instruction des enfants on comprend bien, mais pourquoi cela aurait-il un effet sur le comportement général de la population. Pour ma part, j'y vois un effet naturel en réalité de l'augmentation technologique et de l'amélioration de la qualité de vie, et c'est très inquiétant.

 

En effet la technologie si elle trouve tant de succès avec le marché c'est parce qu'elle « simplifie » la vie des usagers. Mais sommes-nous réellement faits pour vivre simplement ? C'est une question que Keynes s'était déjà posée autrefois. Il regardait les gens aisés de son époque comme le futur de la population en quelque sorte et ne voyait pas dans l'avenir technologique où chacun jouirait de plus de temps libre et de consommation, le paradis sur terre. Car l'être humain comme toutes les espèces sur terre ont forgé son caractère et sa nature pour lutter contre la rareté pour sa simple survie. La vie n'est pas programmée pour vivre dans l'abondance. Et dès que nos besoins sont remplis, les êtres vivants se mettent en mode économie d'énergie. Car minimiser la consommation d'énergie est vital pour survivre en cas de pénurie. Tout se passe donc comme si l'abondance de nos sociétés et l'aide que la technologie nous apporte agissaient comme un poison qui forçait les individus au laisser-aller et à la fainéantise. L'abaissement du niveau dans nos sociétés ne viendrait donc pas seulement du nihilisme occidental, mais aussi des effets délétères du progrès technique et de la simplification de nos vies. Et cette hypothèse est hautement inquiétante malheureusement.

 

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commentaires

D
Ce theme reviens souvent dans la science-fiction. Les civilisations ont quand même trouvé des ersatz pour satisfaire les instincts de survie. Avec l'agriculture, la chasse a été remplacée par la guerre. Puis quand la guerre est devenue trop meurtriere elle a été remplacée par les competitions sportives (hypotheses totalement personnelles), tout cela partiellement bien sur.<br /> Les pays asiatiques industrialisés resistent au phenomene d'abetissement, comme vous l'avez fait remarquer, alors que ils ne me semblent pas plus religieux qu'en Europe et qu'ils semblent aussi très dotés en machines à abrutir de toutes sortes. Il y'a peut être un truc avec leurs valeurs. Même en abandonnant les religions ils y'a un heritage qui reste.
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Y
Alors là on peut probablement faire appel aux fameuses structures familiales d'Emmanuel Todd. Les structure familiales plus complexes (souche, communautaire) semble mieux résister à l'effondrement éducatif tout comme ils résistent mieux à l'effondrement industriel comme l'Allemagne, le Japon ou la Suisse. Les pays de famille nucléaire comme la France les USA ou la GB, sont vraiment ceux qui souffrent le plus du désastre. Mais au sein de la France on voit la fameuse différence puisque les régions souches du pays sont celles qui résistent justement le mieux et où le niveau scolaire semble mieux se maintenir.