Un article très intéressant vient d'être mis en libre accès sur le site de l'INED dans sa revue "Population et société". Il se porte sur la question de savoir qu'elle est l'influence de l'économie sur la dynamique de la natalité, car les démographes sont surpris par le maintien de la fécondité française malgré la crise économique qui sévit. Le bon sens pouvant nous faire penser que de tels évènements peuvent retarder les naissances comme cela s'est vu dans d'autres périodes en France. L'auteur s'étonne d'ailleurs de l'évolution française comparativement à celle des USA par exemple. En effet aux USA la crise a provoqué une forte baisse des naissances depuis 2007, une baisse de plus de 4% entre 2007 et 2009, et la baisse semble continuer en 2010 ce document provenant du CDC (Centers for Disease Control and Prevention) montre l'évolution de cette baisse. En apparence, l'économie influence la démographie américaine, mais pas celle de la France si l'on se fit aux dernières données.
Ce que l'on remarque en premier dans l'article de l'INED c'est la complexité du lien entre la démographie et l'évolution économique. En réalité, il y a autant d'exception que de pays et de conditions historiques particulières. Dans le cas de la France des années 70, on voit bien la similitude entre la crise économique et l'affaiblissement du nombre des naissances, mais dans des pays comme la Corée du Sud la bonne santé économique est accompagnée d'un effondrement des naissances à des niveaux extrêmement bas. Il est certain que l'économie influence la fécondité, mais les effets de cette influence divergent en fonction de la culture locale et de la façon de voir l'avenir des couples et des individus. Pour l'auteur de l'article, il semble que le lien est de l'ordre du retard des naissances, la crise économique pourrait avoir comme principal effet le retardement de la naissance de l'enfant. Ainsi, les démographes constatent une légère remontée des naissances dans l'ensemble des pays développés, la crise aurait freiné ce phénomène qui a commencé plus tôt en France qu'ailleurs. Le maintien de la remontée des naissances en France pourrait aussi s'expliquer par la crise continue que traverse le pays depuis trente ans. En effet, on ne peut pas indéfiniment retarder les naissances, de ce fait on assiste à une hausse des naissances chez les femmes les plus âgées encore en âge de procréer. Cette augmentation des "vieilles" mamans explique l'essentielle de la hausse de la natalité depuis la fin des années 90. Cette natalité résiste à la crise parce que ces femmes n'ont plus le temps d'attendre. En revanche on constate toujours un recul de l'âge des mères pour avoir leur premier enfant ce qui dénote toujours un effet économique sur le choix des naissances. Les jeunes femmes préférant retarder au maximum la naissance à cause de leur situation économique.
Une telle explication de la résistance de la natalité française à la crise actuelle peut nous mener à imaginer un scénario de Baby-boom en cas de reprise économique. En effet si par hasard nos élites revenaient à la raison et s'attaquaient enfin aux problèmes d'emplois et de croissance du pays, nous pourrions assister à une forte hausse des naissances chez les plus jeunes qui s'ajouteraient au rattrapage chez les femmes les plus âgées. C'est un scénario sur lequel on pourrait travailler, d'autant que j'avais expliqué dans ce texte "Et si on relançait la natalité" qu'une France de 100 millions d'habitants pour la fin du 21e siècle serait un objectif nécessaire à la reconstruction de la puissance française.
Les USA, un cas très particulier
Concernant l'évolution des USA par contre il y a quelques remarques à faire. Si l'on se plonge dans les étranges statistiques ethniques américaines, on comprend de suite que les effets de la crise n'ont pas été uniformément répartis sur toute la population américaine. En premier lieu, je rappellerai ici que l'essentielle de la hausse de la natalité américaine de ces dix dernières années fut le fait de l'immigration. En général cette remarque est faite au sujet de la démographie française, mais quelques regards sur le nombre d'immigrés ou la répartition de la fécondité sur le territoire en France montrent que l'immigration n'a qu'une influence marginale sur la fécondité globale du pays, d'autant que nos immigrés voient leur natalité baisser rapidement. En réalité, cette image d'Épinal véhiculée par l'extrême droite colle beaucoup mieux aux USA qu'à la France. Comme on peut le voir sur ces données statistiques, les Hispaniques représentent déjà un quart des naissances aux USA et ils ont une natalité franchement supérieure à la moyenne. Ils ont d'ailleurs une fécondité supérieure bien souvent à celle de leur pays d'origine. C'est un phénomène d'autant plus étrange que ce sont en général des jeunes qui émigrent. Or la natalité du Mexique ou d'autres pays d'Amérique latine baisse énormément chez les tranches d'âge les plus jeunes et les plus éduquées. Ce ne sont pas non plus les aides qui expliquent ce phénomène les USA n'étant pas vraiment des parangons de vertus sociales et d'aides, y compris pour leur propre population. Pour les données il suffit de regarder les deux tableaux ci-dessous et provenant du bureau des statistiques américaines (un site très bien fait au passage).
Le premier tableau montre que le nombre des naissances aux USA a stagné dans la population non hispanique, alors qu'elle a fortement augmenté chez les Hispaniques. Pour deux raisons, la première c'est l'augmentation du nombre d'immigrés tout simplement, plus le nombre d'immigrés augmente et plus il nait d'enfants en provenance du groupe hispanique. La deuxième explication c'est l'étrange augmentation de la fécondité des Latino-Américains qui passe de 2.73 en 2000 à 2.995 en 2007. Je dis étrange parce que leur taux de fécondité de départ était élevé en regard de nos standards. De plus comme je l'ai dit avant, la fécondité au Mexique et ailleurs dans les pays latins baisse rapidement, cette hausse semble donc être une anomalie. Pour ce qui est des "blancs" on constate un maintien de la fécondité à plus de deux enfants par femme. Le pays a connu son rééquilibrage démographique post-transition dans les années 80, avec un passage de 1.77 à 2 entre 1980 et 1990. Depuis la fécondité, stagne plus ou moins, même si elle semblait de nouveau augmenter entre 2006 et 2007. Cependant, il faut peut-être là se méfier des statistiques US et de leurs étranges catégories, des Hispaniques passant pour des "blancs" pourraient fausser ces chiffres.
Mais cette hausse de la fécondité américaine semble s'être cassée en 2007 dates à laquelle s'arrêtent les statistiques précédentes. En effet comme je l'ai dit au début de cet article la natalité a baissé de plus de 4% depuis et continue dans cette direction. Certains y verront le même phénomène qu'en Russie après la chute du mur, la natalité russe était alors à l'équilibre elle chuta brusquement avec la période de transition économique. L'optimisme américain, que l'on nous vente sans arrêt, n'est donc qu'une fumisterie, les Américains sont tout aussi capable que les autres peuples de déprimer et de faire leurs Européens pessimistes sur l'avenir . Cependant, cette baisse n'est pas homogène aux USA. La baisse de la natalité touche plus fortement les Hispaniques que les autres catégories ethniques de la population comme le montre ce tableau du CDC. Les gauchistes y verront l'effet de la ségrégation raciale, les gens plus modérés y verront plutôt un effet lié à la différence d'âge moyen entre les latinos et le reste de la population.
Les Hispaniques semblent faire une transition démographique à l'occidentale, les jeunes femmes retardant leur premier enfant. Comme on le voit, les USA ont en fait une évolution à la française. Chez les femmes de 40-49, la fécondité a continué à augmenter alors qu'elle baissait chez les plus jeunes. Or la pyramide des âges étant plus large chez les Hispaniques ces deniers sont plus sensibles aux variations économiques puisqu'ils sont plus jeunes en moyenne que les autres "ethnies" du pays. En fait, le soubassement de l'évolution démographique est le même aux USA et en Europe. C'est la forte proportion d'immigrés dont l'évolution démographique est en retard qui crée ces différentiels d'évolution démographique à court terme. Sans ses immigrés la fécondité américaine n'aurait pas baissé avec la crise tout comme la fécondité française, les femmes américaines ayant déjà trop retardé leur natalité.