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27 mai 2014 2 27 /05 /mai /2014 17:20

L'on s'en doutait avant les élections, mais la victoire du FN est aujourd'hui acquise. Une victoire qui ne tient pas tant d'ailleurs de la qualité des élites de ce parti que de la désaffection totale des partis classiques dont l'européisme délirant conduit à la plus parfaite coupure d'avec une partie croissante de la population . L'argumentation morale n'est plus à même de stopper la colère accumulée dans les basses couches sociales de la population. Chômage endémique, déflation salariale, désindustrialisation accélérée et absence totale de projet à long terme pour le pays ont fini par faire un cocktail mortel pour les élites au pouvoir. La culture libérale qui fait le socle de la haute bourgeoisie française l’empêche cependant de prendre conscience du problème. À partir du moment où les acteurs politiques n'agissent qu'en fonction de leurs propres intérêts toute compréhension et action collective devient impossible. Ils apparaissent aujourd'hui pour ce qu'ils sont, des individus esseulés qui ne sont probablement pas à leur place, mais qui continuent comme si de rien n'était à vouloir paraître responsables à coup de campagne de communication.

 

On s'indigne, on s'insurge, on paraît outré, mais tout cela n'est guère vraisemblable et n’apparaît plus comme vraisemblable aux yeux d'une population qui souffre de la misère croissante et de l'absence d'un projet pour l'avenir de ses enfants. Tout n'est devenu que veine ambition personnelle. Et même leur apparat de pleurnicheur républicain face à la montée du FN en devient ridicule. Le PS et l'UMP sont les premiers à avoir décousu la république, l'on ne peut que s'étonner de les voir se plaindre d'une atteinte aux valeurs de la république. Valeurs qu'ils ne comprennent probablement pas d'ailleurs. Quoi qu'il en soit les faits sont là. Le FN est maintenant le premier parti politique de France. Et l'on peut toujours se rassurer en sortant la thèse du plafond de verre à géométrie variable, comme mon collègue blogueur Laurent Pinsolle, cela ne change rien au Schmilblick. Cependant si beaucoup annoncent l'effondrement du PS un regard détaillé sur les chiffres, comme l'a fait Jacques Sapir sur son blog, montre que la défaite du PS est relative. Certes, le PS recule, mais son score de 2009 n'était déjà pas très élevé. L'on constate plutôt l'effondrement de EELV et de l'UMP. On peut ainsi couper en trois variantes les orientations politiques, avec un groupe eurosceptique (FN, DLR , FG), un groupe europhile et fédéraliste (EELV, Modem / UDI) et un groupe dominant que l'on pourrait appeler europassiviste, qui accepte l'UE plus par intérêt politique à court terme que par réelle conviction et qui regroupe l'UMP et le PS.

 

comparaison-2009-2014.png

Source : blog de Jaques Sapir

 

 

Si l'on regarde l'évolution entre 2009 et 2014 les eurofédéralistes perdent 6,1 points. Les europassivistes perdent 9,4 points, et les eurosceptiques gagnent eux 20,8 par rapport à 2009 (DLR a gagné 2 points sur la période). Je n'ai pas compté ici les divers groupes présents à l'élection. Peut-on par exemple dire du groupe de Pierre Larrouturou, Nouvelle Donne, qu'il est eurosceptique ? Pas vraiment. Mais il n'est pas non plus europhile au sens où son projet est en fait totalement opposé au système actuel, même si à mon sens il est irréaliste. On constate donc une poussée vraiment importante des eurosceptiques même si bien évidemment c'est le FN qui fait l'essentiel de la progression en volume. Les europhiles eux sont désavoués, mais c'est vraiment les partis sans projets et sans objectifs qui coulent le plus dans cette élection. En un sens, c'est plutôt rassurant, les Français veulent passer à autre chose même si cette autre chose n'est pas encore bien déterminée. Ce qui est clair par contre c'est que les Français veulent de moins en moins d'un avenir européen. Et même si pour l'instant les partisans de l'Europe restent majoritaires la dynamique est à leur déclin rapide. On pourra rajouter ici, qu'il y a peu de chance que cette dynamique s'arrête, étant donné toutes les contraintes macroéconomiques qui s'imposent à l'UE et à sa construction bancale. L'Europe sera la première touchée par l'inéluctable reprise de la crise économique mondiale découlant de l'affaissement de la demande mondiale produite par le libre-échange. Que la crise parte cette fois d'Asie ou d'ailleurs, l'on sait que la fragilité de la zone euro en fera la première victime. La dynamique anti-européenne pourrait alors trouver une nouvelle accélération.

 

La France coupée en deux pour l'instant...

 

Nous sommes en fait au milieu du guet historique. Un mouvement historique particulièrement lent si l'on prend la peine de s'en rendre compte. En effet, la crise actuelle n'est que la continuation du système mis en place dans les années 70 et qui se conclut par la destruction totale de toute forme de solidarité nationale. Le libre-échange et la liberté de circulation des capitaux portent en eux les nuages du chaos, de l'instabilité et de l'inégalité, mais l'incroyable conservatisme social a permis en Europe de ralentir les effets de ces politiques. L'on pourrait associer à cela l'endettement généralisé aux USA et en Europe qui a permis de maintenir des demandes artificiellement, et de faire gonfler des bulles sur les marches financières et les marchés immobiliers, pendant que nos pays perdaient leurs substances industrielles et agricoles. Cette histoire a maintenant quarante ans, et l'on ne voit pas poindre encore sa fin à court terme. L'on constate juste un accroissement progressif des tensions sociales.

 

varrev-2.jpg

Source : Blog de Bernard Conte

 

 

La polarisation se voit sur le graphique ci-dessus qui provient du blog de Bernard Conte. L'on distingue très bien qu'une partie importante de la population française bénéficie encore des effets du libre-échange. Ou plutôt qu'elle ne subit pas encore directement les effets délétères du libre-échange. Nous sommes encore loin de la situation américaine où les 1 % ponctionnent la quasi-totalité de la croissance pendant que les 50 % les moins riches s'appauvrissent. Le graphique montre une France coupée en deux démographiquement. L'une qui perd l'autre qui gagne. On remarquera également que si les pertes sont équitablement réparties chez les perdants, les haussent, elles, sont inégalitaires puisque plus votre revenu est élevé plus vous gagnez. L'on peut voir ici les effets des restes de l'état providence français qui régule l'extrême pauvreté des 20 % les plus pauvres, mais ne s'occupe pas du reste de la population. L'on peut souligner ici comme Bernard conte le fait que ce simple graphique rend ridicule la baisse d'impôt. Ce n'est clairement pas la population de la classe moyenne aisée qui a le plus souffert dans la crise. Mais il est vrai qu'elle pèse très lourd électoralement. Ce simple graphique nous explique également pourquoi malgré les difficultés le pays continue les mêmes politiques. Une bonne moitié de la population ne connaît pas encore directement les souffrances induites par la crise et le libre-échange.

 

Évidemment nous savons qu'il s'agit là d'une illusion. La crise monte petit à petit dans les couches sociales. Il y a vingt ans elle ne touchait que les 20 % d'en bas, maintenant elle touche les 50 % du bas. Il ne faudra pas longtemps avant qu'elle touche 80 % ou 90 % de la population. C'est cette réalité-là qui est sous-jacente à la montée du FN et des eurosceptiques dont je fais partie. Cependant, l'évolution est ralentie par la lourdeur de l'ancien système qui a bien résisté aux délires libéraux, mais qui en même temps a empêché la population de voir vers quel désastre le libéralisme total nous conduisait . Il n'y a pas eu pendant longtemps de lien intellectuel entre les libéralisations et la dégradation de la société parce que cette dégradation ne concernait qu'une partie de la population et que l'état providence, et l'endettement général permettaient un maintien d'une prospérité relative. Une grande partie de la population ne fait d'ailleurs toujours pas le lien avec le libre-échange. Pas plus qu'elle ne voit directement les effets de l'euro.

 

La France entre rebond démocratique et dérive totalitaire

 

La suite des événements est difficile à prédire. Le FN va certainement encore grimper tout comme les autres partis eurosceptiques . Il faut espérer que les autres groupes comme DLR pourront croître plus vite pour pouvoir peser face au FN et proposer une alternative plus acceptable pour l'ensemble de la population. Cependant, il reste la question de la réaction des couches sociales dominantes. C'est qu'elles sont tout de même nombreuses et non négligeables démographiquement comme pouvait l'être l'aristocratie au moment de la révolution. Cette caste des 20 % à 30 % d'en haut va-t-elle accepter sans broncher une révolte politique des 70 % du bas ? Il y a des régions du monde où ce type d'évolution s'est déjà produite récemment en Amérique du Sud par exemple. Un continent sévèrement touché par le néolibéralisme dans les années 80 et qui voit dans certains pays une lutte acharnée entre les 20 % du haut et le reste de la population. La faiblesse du patriotisme français pourrait être le terreau fertile d'une lutte de classe se transformant en guerre des classes. Imaginons Marine Lepen élue présidente en 2017 pensez vous que le système de domination français l'accepterait ? Ou bien peut-on imaginer une dérive totalitaire avec une annulation des élections et un appel aux grands alliés de la France pour défendre les valeurs de la république ? Nous verrions l'Oncle Sam déployer des troupes en France pour défendre la démocratie. Les USA et la GB n'ont ils pas soutenu hier Pinochet pour des raisons assez similaires ? Il y a des similarités fortes entre la situation de l'Europe actuelle et la situation des pays d'Amérique latine des années 80. Et des évolutions similaires pourraient s'y produire. On n'est pas à un cynisme près. Bien sûr, c'est un scénario impensable à l'heure actuelle. Mais étant donné la crispation en haut et la violence dogmatique, je n’exclus pas personnellement une dérive totalitaire dans le pays. Ils ont déjà annulé le référendum en 2005. Pourquoi'n’annuleraient-ils pas une élection présidentielle qui n'irait pas avec leurs intérêts ?

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commentaires

T
<br /> Il me semble que les députés eurosceptiques ont bruyamment exprimé leur hostilité à l'égard de l'UE lors de la session inaugurale au Parlem.<br />
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T
<br /> alors Yann en panne? Pourtant l'actualité a besoin de paroles libres Voir le site les crises .fr ou ce qu écrit Craig ROBERTS<br />
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C
<br /> @jard,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> une "dictature totalitaire" met ses opposants politiques dans des goulags et les élimine.<br /> <br /> <br /> L'UE va subventionner les groupes parlementaires du FN ou du UKIP.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Vous comprennez la différence?<br />
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K
<br /> les données brutes sont nettement plus parlantes :<br /> <br /> <br /> PS : 2009, 2,838M de voix, 2012 2,649M. Soit 7% de moins<br /> <br /> <br /> UMP : 2009, 4,799 M,  2012 3,942 M. soit moins 18%<br /> <br /> <br /> FN : 2009,  1,091M,  2012 4,711 M soit 4, 31 fois plus.<br /> <br /> <br /> cependant si on met en perspective les scores aux présidentielles 2012 (1er tour) on a :<br /> <br /> <br /> 6,421M de voix pour le FN.(PS : 10,272M et UMP 9,753M)<br /> <br /> <br /> autrement dit une très forte poussée FN entre les deux elections EU (>à x4) mais une régression par rapport aux présidentielles (moins 25%).<br /> <br /> <br /> en regard des deux autres partis, le vote FN est particulièrement stable. On aura la confirmation élections prochaines.<br />
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J
<br /> Cette élection vient d'indiquer que les Français ne sont pas prêts à se laisser mourir et que l'élite ne se remettra pas en question. Nous devons réfléchir à partir de cela maintenant. Refus<br /> d'accepter le verdict démocratique, d'accord, mais de là à installer une dictature et totalitaire en plus, cela me paraît un peu fort. Ne sont-ils pas épuisés, incapables de construire quoi que<br /> ce soit? Je crois plutôt à une décomposition dans le rejet de toute opposition. Sinon, oui, préparer les esprits au risque de la neutralisation de la démocratie et donner un plan d'action.<br /> <br /> <br /> Les appels à l'abstention n'ont pas marché. Cela signifie-t-il que l'élite intellectuelle n'a aucune influence directe ou immédiate?<br />
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