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29 avril 2024 1 29 /04 /avril /2024 15:39

 

S'il est une nouvelle qui est passée assez inaperçue globalement c'est bien celle-là. La productivité du travail en France serait en baisse selon les indicateurs des économistes. Je précise ici selon les indicateurs des économistes parce que comme je vais le réexpliquer encore dans ce texte la notion de productivité du travail des économistes est hautement discutable. Cependant effectivement si l'on regarde les indicateurs classiques, la productivité du travail a effectivement baissé. Les économistes Jacques Sapir ou encore Philippe Murer s'en sont inquiétés dans différentes interventions récentes vidéo et écrites. Les raisons sont multiples et de nombreux facteurs rentrent en jeu dans ce domaine. Il faut cependant relativiser la question dans un pays qui est maintenant fortement désindustrialisé et qui dépend énormément des importations dans sa consommation courante.

 

 

Mais précisons comme je l'ai dit que la façon dont les économistes mesurent la productivité est en soi un problème. En effet comme je l'avais déjà longuement expliqué dans plusieurs textes la productivité du travail est une notion qui vient de l'industrie. On a commencé à vraiment se poser la question de la productivité à l'époque triomphante du fordisme. Henri Ford lui-même ayant fait fortune grâce à l’organisation scientifique du travail et la production à la chaîne. Cette notion a effectivement du sens dans une production à partir du moment où vous calculez le temps et le coût que cette production engendre. Moins il faut de travail et de temps pour produire quelque chose et plus votre productivité augmente. J'insiste sur ce point, car c'est vraiment quelque chose qui est lié à la civilisation industrielle. L'idée de calculer la productivité d'une nation est venue véritablement après la guerre quand nos nations sont devenues des systèmes monétaires de production. Les économistes ont alors utilisé le fameux PIB qui est en fait à l'origine un outil de la pensée keynésienne.

 

Cependant, si les économistes libéraux ont jeté Keynes à la poubelle dans les années 70, ils ont pourtant gardé le PIB. À croire qu'ils ont jeté le bébé et gardé l'eau du bain en quelque sorte. Les économistes calculent donc la productivité du travail en divisant le PIB par le nombre d'heures travaillées. La productivité des économistes c'est donc le PIB par heure travaillée. Évidemment dans le cadre de l'économie d'après guerre qui était une économie relativement fermée, cela simplifiait grandement les choses. En effet dans le PIB toutes les activités comptent, y compris celle des services. Or il est souvent bien difficile de calculer la productivité d'un avocat, d'un médecin ou d'un prof. Cependant, si votre pays consomme ce qu'il produit il n'est pas si dramatique de compter les activités non réellement mesurables sur le plan de la productivité. Après tout, l'efficacité de l'industrie et de l'agriculture sont incluses dans le calcul du PIB. Donc on va dire que jusqu'en 1974 la productivité calculée nationalement par le PIB par heure de travail avait du sens d'un point de vue comptable.

 

Malheureusement comme le notait déjà Jean-Luc Gréau dans son excellent livre « L'avenir du capitalisme » en 2005, aujourd'hui les importations sont comptabilisées dans le PIB. De sorte que la productivité du travail que vous regardez est totalement imbriquée dans le système d’échange international. De sorte que la productivité importée peut apparaître comme étant une productivité du travail local. Bien évidemment cela se traduit par une dégradation de la balance commerciale, mais il y a aussi des effets liés à la valeur monétaire relative. Une valeur qui peut sous-estimer la valeur du travail importé et surestimer la valeur du travail local. Vous voyez un peu le problème résultant de l'utilisation d'un outil anachronique comme le PIB. En gros le PIB est un outil statistique qui avait du sens dans des économies régulées, il en a beaucoup moins dans le système globalisé. On en arrive à de telles absurdités qu'aujourd'hui le Luxembourg est le pays qui a la plus forte productivité un monde. Mais que produit donc le Luxembourg ? Pas grand-chose en fait, c'est surtout un paradis fiscal. En seconde place il y a l'Irlande, un pays qui ne produit pas non plus grand-chose. Seule la Suisse qui arrive en troisième est un pays avec une industrie. On voit ici toute l'absurdité du calcul de la productivité en utilisant le PIB par heure travaillée.

 

Les pays les plus productifs du monde selon les économistes...

 

C'est d'autant plus vrai que depuis 1973 nous vivons dans un système de change flottant. La monnaie internationale qu'est le dollar depuis les accords de Bretton Woods en 1944, n'est plus garanti sur l'or. Elle fluctue donc tout comme les autres monnaies du monde. Cela rend encore plus étranges ces calculs de productivité qui peut varier entre les pays simplement parce que telle ou telle monnaie se réévalue ou se dévalue suivant les envies généralement irrationnelles du marché. Un exemple simple, le Japon a dévalué récemment de près de 30%. Quelques économistes de plateau télé ont crié à l'occasion que le PIB japonais avait été dépassé par celui de l'Allemagne. Chose absurde, mais passons. Donc la productivité au sens des économistes a elle aussi baissé de 30%. Pourtant, les Japonais travaillent toujours de la même manière et sont en réalité toujours aussi efficace ,collectivement parlant. Cela affole les économistes crétins qui parlent toujours d'effondrement japonais, mais ces derniers comprennent bien mieux la réalité. Cela rend les produits japonais beaucoup moins chers à l'export et réduit les importations de biens. Autre effet économique, le tourisme a explosé dans le pays. Le Japon avait déjà dévalué en 2013-2014 et ce fut une bonne chose pour son commerce extérieur. Et encore une fois la productivité réelle n'a pas été touchée en vérité, mais cela ne peut pas se mesure avec les outils qu'utilisent les économistes.

 

Productivité en baisse

 

Ce préambule était à mon sens indispensable parce que je trouve les économistes trop sûr de leurs outils et pas assez méfiant vis-à-vis des unités de mesure qu'ils utilisent. L'économie est loin d'avoir des atours en science réels. À mon avis ils devraient prendre un peu de distance avec leurs outils et penser de manière plus holiste. D'ailleurs, beaucoup d'économistes le reconnaissent, le prix Nobel d'économie Angus Deaton vient de déclarer que la « science » économique est en crise et il n'est pas le seul. Jacques Sapir lui-même avait écrit un livre s'appelant « Les trous noirs de la science économique ». On pourrait citer également l'économiste australien Steeve Keen et son célèbre livre « L'imposture économique » qui montraient déjà le caractère peu scientifique de bon nombre de thèses économiques. Non, l'économie ce n'est pas de la physique ni de la biologie, elle pourrait peut-être approcher le sérieux des historiens, mais elle en est encore loin malheureusement. D'ailleurs, il serait bon que les économistes étudient un peu plus l'histoire au passage, surtout celle des faits économiques. Cela leur éviterait les certitudes absolues sur l'efficacité ou l’inefficacité de telle ou telle posture macroéconomique. Le monde réel est toujours infiniment plus complexe que les modèles théoriques très grossiers qu'on peut en faire . Keynes disait que les économistes devaient être modestes comme un dentiste, il savait de quoi il parlait.

 

Bref, nous voyons ici que cette question de la productivité et très relative. Les statistiques officielles indiquent effectivement une baisse de la productivité du travail. L'explication toute trouvée est que la France de Macron aurait créé des emplois « massivement » sans créer de richesse supplémentaire. Donc le PIB par heure travaillée aurait chuté. C'est tout à fait plausible surtout si l'on prend en compte le fait que l'essentiel des emplois créés fut des emplois d'autoentrepreneur. Pour Jacques Sapir il y aurait eu un effet des mesures contre le Covid. Les gens seraient moins motivés et remettraient en question l'organisation du travail actuelle, surtout avec le télétravail. Cette explication ne me convainc guère. D'autant que Jacques Sapir lui-même dit que l'industrie a été plus touchée que les services. Certes, le télétravail peut avoir joué, mais je ne vois pas pourquoi l'industrie serait alors plus touchée que les services par ce ras-le-bol général du travail salarié.

 

 

Le prix de l'énergie est déjà un argument beaucoup plus valable. Surtout depuis 2022 et le déclenchement de la guerre en Ukraine. Le marché européen de l'électricité, qui est une aberration totale, a fait exploser artificiellement les coûts pour l'industrie et les particuliers. Il est dès lors évident que cela fait baisser mécaniquement la productivité du travail puisque les coûts de production explosent. On le voit dans l'augmentation spectaculaire des faillites de PME qui vient de dépasser le niveau de ceux de la crise des subprime, ce qui est très inquiétant pour l'avenir. On ne compte plus le nombre d'industriels qui mettent la clef sous la porte à cause du prix de l'électricité. D'ailleurs, le prix de l'électricité était le seul avantage comparatif de la France coincé dans la zone euro. Nous n'avions aucun avantage géographique, nous n’étions pas un paradis fiscal ou une société très efficace sur le plan de l'organisation du travail, mais on avait notre parc nucléaire. Grâce à la nullité de nos dirigeants et probablement à quelques interventions de corruption étrangère en particulier allemandes, ils nous ont fait perdre ce seul avantage. La France qui avait l'un des prix de l'électricité les plus bas du monde se retrouve subitement avec l'électricité parmi les plus chers de la planète. Et le tout en seulement deux ans. Il est évident que cela a un impact direct sur la productivité du pays, le contraire aurait été étonnant.

 

Mais les plus observateurs diront que la baisse a commencé comme l'a dit Sapir à partir du Covid. Et donc avant la crise énergétique qui a sans doute simplement aggravé la situation . C'est vrai, mais il y a un autre phénomène à souligner. L'euro s'est dévalué par rapport au dollar depuis 2020. Si vous calculez la productivité en PIB exprimé en dollar vous vous retrouvez donc mécaniquement avec une productivité en baisse. Il s'agit peut-être aussi simplement des effets de cette dévaluation. C'est d'autant plus vrai que contrairement au Japon, la France a largement saccagé son industrie. Elle n'est plus capable de produire rapidement des substituts aux importations et donc toute dévaluation se traduit à court terme par de l'inflation comme dans un pays du tiers-monde. C'est d'ailleurs pour cela que la sortie de l'euro doit être impérativement accompagnée d'une forte politique de réindustrialisation protectionniste préalable. Dans l'état actuel de l'industrie du pays, la seule dévaluation ne résoudra pas tous nos problèmes.

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