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20 avril 2023 4 20 /04 /avril /2023 16:21

 

«  Il y a une hiérarchie sociale qui s’effondre, des villes qui disparaissent, et une réoccupation plus modeste du territoire, note Julio Bendezu-Sarmiento. Le changement le plus important est celui des mentalités, visible dans le traitement des morts : les sépultures disparaissent, en lien avec l'émergence d'un « proto-zoroastrisme » (ndlr : un monothéisme interdisant l'inhumation des défunts, qui sont exposés à l'air libre et abandonnés aux charognards). Il a dû se passer quelque chose de radical, les gens ne croyaient plus en leurs dieux ni en leur élite. »

 

Ce texte en préambule vient d'un article de National Geographique et concerne une très ancienne civilisation, celle de l'Oxus. Une civilisation dite Indo-Européenne qui a prospéré à l'âge du bronze entre -2300 et -1700 situé dans le Turkménistan actuel. Elle s'est éteinte pour des raisons encore relativement indéterminée. Cependant comme vous pouvez le voir dans cette citation les chercheurs ont quand même de nombreux indices qui montrent l'effondrement pratique de cette civilisation et surtout ce passage que j'ai mis en gras « les gens ne croyaient plus en leurs dieux ni en leur élite ». À n'en pas douter s'il y a bien une analogie à faire entre cette civilisation oubliée, elle n'avait pas de système d'écriture, et la nôtre c'est bien sur cette question. Comment ne pas voir dans les difficultés actuelles de l'occident et de la France en particulier cette réalité d'une coupure nette entre les dominants et les dominés qui semble ne plus rien partager.

 

Alors pour la civilisation de l'Oxus il y a plein d'hypothèses, celle de l'invasion par des hordes à cheval n'étant pas la moins certaine. On parle également d'un changement climatique, des changements qui contrairement aux discours fréquents sur la question n'ont jamais attendu les effets des activités humaines pour apparaître. D'autres civilisations plus célèbres comme celle des Mayas ont aussi fait les frais de changements climatiques brutaux. Les Mayas qui étaient passés maîtres dans le stockage de l'eau par différentes techniques assez stupéfiantes parfois. Vivant loin des fleuves, les Mayas étaient obligés de faire des bassines souterraines, mais malgré ces techniques ils se sont quand même effondrés, même si on est pas encore certains qu'il s'agisse bien des effets de sécheresses locales ou d'affaires politiques et religieuses. Alors sommes-nous nous aussi en train de nous effondrer ? C'est la question qu'il faut sérieusement se poser quand on regarde l'état de nos sociétés en général .

 

Globalisation et effondrement

 

Vous me direz en bon rationaliste que rien n'indique en pratique cet effondrement. Il n'y a pas de famine, enfin pour l'instant, les gens continuent à consommer. Les usines tournent et alimentent l'immense machine à consommer de la planète même si on commence quand même à voir des pénuries dans bien des secteurs. La civilisation est devenue globale et elle ponctionne des ressources et des hommes partout sur la planète pour combler les problèmes localisés. Telle région du monde connaît un problème de natalité, ce n’est pas grave, on va faire venir des immigrés pour faire tourner le pays. Vous n'aviez pas de pétrole et de gaz ? Ce n'est pas grave, vous importez de l'autre côté de la planète. Vous manquez d'eau et d'engrais pour vos cultures, même solution. La globalisation économique, si elle a engendré d'énormes problèmes économiques sociaux dans les anciens pays industrialisés, a quand même comme avantage de limiter les problèmes locaux graves qui peuvent apparaître ici ou là. Du moins jusqu'à maintenant. La pauvreté elle-même semble reculer à l'échelle du monde même si la Chine représente à elle seule l'immense part du recul de la pauvreté mondiale. Un libéral bon teint vous dira alors que non il n'y a pas d'effondrement. Et que la globalisation a créé la première civilisation éternelle de l'histoire, parce qu'elle s'appuie sur toutes les ressources matérielles et humaines dont dispose la planète.

 

Mais certaines statistiques viennent un peu contredire cette réussite apparente du globalisme libéral. Tout d'abord les tensions géopolitiques majeures produites par la globalisation elle-même. On en a longuement parlé sur ce blog. Le déclin de l'occident est entièrement le fruit de la globalisation. Dans les années 70, les Occidentaux ont simplement délocalisé l'industrie dans les pays à bas salaire pour favoriser les hauts revenus, les couches sociales aisées et pour casser les salaires en bas de la structure sociale. Ce fut un choix délibéré même si les origines de ce choix sont à discuter. Le problème c'est que si dans un premier temps la globalisation était largement dominée par les acteurs occidentaux le fait même de délocaliser les activités a favorisé l'émergence d'acteurs concurrents en premier lieu avec la Chine. Comme cette dernière n'a cessé de monter en gamme, les avantages occidentaux sur la domination technologique se sont amoindris avec le temps provoquant la situation actuelle. L'occident est nu, il n'a plus que la finance pour asseoir sa domination même si les USA essaient tant bien que mal de sauver ce qu'ils peuvent des quelques activités technologiques dans lesquels ils ont encore des avantages. Mais l'on sent bien que c'est la fin et que la zone occidentale perdra bientôt totalement le contrôle de la globalisation puis de la finance. Une évolution qui risque de mener les USA et leurs vassaux dans une misère épouvantable.

 

On le voit donc, la civilisation globalisée si elle permet grâce à des transferts importants de maintenir un « progrès » relatif à l'échelle du globe, elle a aussi fait le malheur de certaines régions. Mais cette question géopolitique de déséquilibre produit par la globalisation, qui pourrait déboucher sur des conflits graves, s'ajoute d'autres problèmes. Le problème le plus inquiétant est l'effondrement démographique des pays les plus industrialisés. L'on pourrait objecter ici que l'évolution de la natalité est totalement indépendante de la globalisation. Et il est vrai que bien des facteurs peuvent expliquer ces évolutions qui ne sont pas du ressort des questions économiques. Cependant à n'en pas douter, les questions économiques justement rentrent aussi en jeu lorsque l'on parle de natalité. Faire des enfants nécessite dans le monde moderne une assise économique. Avec l'évolution des techniques de maîtrise de la fécondité, la natalité n'est plus un phénomène indépendant des questions pécuniaires. On est passé d'un monde où l'on faisait des enfants par hasard à un monde où l'on fait des enfants parce qu'on les veut. Ce choc anthropologique que l'occident a pris dans les années 60-70 le monde entier en est atteint aujourd'hui particulièrement l'Asie et les pays les plus industrialisés. Et comme on l'a vue récemment même, le continent africain est touché par une rapide chute des naissances.

 

Si la baisse de la natalité est nécessaire dans un monde où la mortalité infantile est devenue extrêmement basse, le fait que les natalités tombent à des niveaux parfois très en dessous du seuil de reproduction montre qu'il y a un vrai problème. Est-ce culturel ou économique ? Comment expliquer que des pays aussi économiquement avantagés comme la Corée du Sud se retrouvent avec des taux de natalité à 0,8 enfant par femme ? En occident certains accuseront les nouvelles religions millénaristes nourries à l'écologisme irrationnel de certains groupes. Et il est vrai que nos sociétés font beaucoup d'effort pour justifier les baisses de natalité. Cependant dans le cas de la France je pense clairement que la situation économique est largement dominante sur cette question. Quoiqu'il en soit si la civilisation globale va certainement trouver des solutions de court terme en déplaçant massivement des populations par l'immigration, on imagine déjà les immenses problèmes que cela va causer. Imaginer une Corée du Sud peuplé de 50% d'Africains ou d'indonésien. Je ne suis pas certains que cela se passe aussi tranquillement que l'imaginent les fonctionnaires de l'ONU travaillant sur ces questions. Ensuite, ce grand déplacement organisé qui va probablement se mettre en place dans les années qui viennent ne résoudra pas le problème de fond qui est la stabilisation à long terme de la natalité mondiale en dessous du seuil de reproduction. Et ce problème est caractéristique des effondrements de civilisation. La baisse de la population précède souvent les effondrements brutaux historiquement parlant à ceci près que c'est la première fois dans l'histoire que l'on pourrait connaître un effondrement quasi simultané sur l'ensemble de la planète.

 

Autre facteur, celui de l'épuisement des ressources naturelles. La prise de conscience surtout en Europe est aujourd'hui actée. Le pic pétrolier n'est pas un fantasme, c'est une réalité que nous devrons affronter. Le pic de production ne concernera pas seulement le pétrole et les hydrocarbures, d'autres matériaux finiront par manquer. C'est d'autant plus vrai que les nouveaux fantasmes technologiques comme la voiture électrique, les panneaux solaires ou les éoliennes consomment énormément de matières premières, y compris beaucoup de terres rares. Là encore rien n'indique que la globalisation apporte des solutions à ce problème. On pourrait même se demander si le fait de rendre trop interdépendants les peuples et les nations n'a pas tout simplement annihilé les capacités des différentes sociétés à trouver des solutions locales à leurs problèmes.

 

La globalisation déresponsabilise les peuples et les nations

 

On a présenté depuis quatre décennies la globalisation comme une machinerie qui produit de l'innovation, de la créativité. Mais à y regarder de plus près n'est-ce pas surtout une immense machine à uniformiser la planète. Une uniformisation qui touche tous les domaines de la culture, à la science en passant par les modes de consommation. Les grandes villes de la planète sont toutes de plus en plus similaires en utilisant les mêmes techniques de BTP pour construire les bâtiments modernes. Alors qu'au début du 20e siècle il suffisait de regarder les bâtiments d'un centre-ville pour savoir dans quel pays l'on se trouvait ce serait autrement plus difficile avec les constructions modernes. Il en va de même pour la langue, ou les productions culturelles de plus en plus homogènes et singeant plus ou moins maladroitement ce que produisent les USA. Même les tiques sociales des couches sociales supérieures semblent s'uniformiser. On a longtemps décrit ce phénomène comme une américanisation du monde, mais en réalité il s'agit d'une uniformisation plus générale.

 

Il ne s'agit pas ici de critiquer l’imitation ou la recherche de modèle externe. Ce type de phénomène a toujours existé, et il est bien que les idées ou la culture puissent se partager partout et en tout lieu. Mais plutôt de souligner le fait que les populations et les nations cherchent de moins en moins des solutions locales, des productions locales, mais cèdent à la facilité d'importer plutôt ce qui se fait ailleurs. Et ce faisant elles appauvrissent en réalité la créativité humaine. Tout se passe comme si la globalisation libérale avait en quelque sorte déresponsabilisé les nations et leurs peuples en les faisant céder à la facilité de l'importation des idées, des marchandises et des hommes. Il ne faut pas à mon avis chercher beaucoup plus loin l'effondrement qui nous guette. Et en Europe nous sommes très bien placés pour le savoir puisque l'UE est en quelque sorte l'expérience de la globalisation néolibérale la plus avancée. Le marché européen de l'énergie fut en ce sens assez exemplaire. Alors que les pays européens arrivaient à fournir leur énergie à des tarifs assez raisonnables lorsqu'ils avaient chacun leur propre système de production organisé en fonction de leurs propres contraintes. La machinerie de l'UE a voulu y introduire un système de marché globalisé impliquant tous les acteurs. Le résultat nous l'avons vu cette année, loin d'avoir amélioré le service et amoindri les prix, cela a fait exploser les coûts et multiplier les intermédiaires inutiles. De la même manière comment ne pas voir dans l'abandon du nucléaire en France les effets toxiques de l'illusion globalisée. Le marché à l'échelle européenne allait comme par magie résoudre tous les problèmes sur ce secteur à la place de l'état. On a ici à mon sens une parfaite représentation de la déresponsabilisation produite par le marché globalisé même s'il est ici limité à l'Union européenne.

 

Alors évidemment et heureusement toutes les nations du monde ne sont pas encore aussi globalisées que celles de l'Europe de l'Ouest. Il semble même que la globalisation perd de son attrait à mesure que ses conséquences à long terme se font sentir en occident. Mais notre exemple montre vers quoi mène une structure qui rend les sociétés trop interdépendantes. À cela s'ajoute la problématique de la rupture d'approvisionnement. En rendant trop dépendantes nos nations, nous avons rendu les possibilités de production alternative impossibles. Sur les semi-conducteurs ou les médicaments, c'est fabuleusement démonstratif. Nous faisons face à des pénuries régulières faute de production alternative aux importations. Et ne parlons pas du domaine agricole où les prix en Chine pourraient menacer de famine des peuples entiers en Afrique ou ailleurs. On le voit si la globalisation par sa capacité à mobiliser des acteurs partout sur la planète est relativement résiliente à court terme. Sa nature même conduit à nuire aux productions et à la créativité locales et cela va inéluctablement à plus long terme détruire la prospérité mondiale et provoquer de graves crises.

 

En surspécialisant des nations entières, la globalisation les a rendus extrêmement fragiles. Au moindre choc externe, on risque une catastrophe par effet domino. Mais le plus grave problème à mes yeux est la déresponsabilisation des dirigeants politiques qui cherchent toujours dans le marché globalisé des solutions. Le domaine démographique est assez parlant, nous n'avons pas formé assez de médecins donc on en vole aux autres. Nous ne faisons pas assez d'enfants, donc importons de la main-d’œuvre. Mais si tout le monde se comporte de la même manière, plus personne ne fournira les médecins en nombre et plus assez d'enfants ne naîtront pour renouveler l'humanité. C'est cette logique de court terme, qui fait de l'investissement dans la formation des jeunes ou la natalité est vue comme des dépenses inutiles parce qu'on peut en importer, qui va tuer notre civilisation. Emmanuel Todd dans son livre « Après l'Empire » pensait que cette logique de pillage était propre aux USA parce que ce pays était le produit d'une importation massive de paysans européens qui avait vu dans ce nouveau continent une corne d'abondance apparemment sans limite. Il faut croire que cette culture de pillage s'est exportée un peu partout avec la globalisation. Sans quoi la France ou l'Allemagne n'auraient pas si rapidement cédé à ce même type de logique. Il faut espérer que nous sortions un jour de cette logique infernale.

 

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