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26 février 2024 1 26 /02 /février /2024 16:07

 

Autonomie de production et démocratie

 

La capacité d'une nation à pourvoir à ses propres besoins, définit en grande partie ses possibilités actives en matière politique. C'est une chose qui a été grandement oubliée depuis une quarantaine d'années et qui vient de réapparaître subitement au détour des effets de la récente crise sanitaire et encore plus violemment sur la question de la guerre en Ukraine. Il y a un lien très clair entre la politique, la démocratie et la capacité d'une nation à produire et à répondre à ses propres besoins. L'impuissance des hommes politiques français tient évidemment à la construction européenne, mais pas uniquement à cause des traités. C'est avant tout les dégâts qu'a provoqués la construction européenne sur notre économie et particulièrement sur notre industrie et notre agriculture qui ont tué la capacité de la France à peser. L'économiste Jacques Sapir qu'on ne présente plus vient de faire une démonstration particulièrement révélatrice en la question dans un long interview très intéressant sur la chaîne TVL. Il parle de la situation en Ukraine et à un moment donné il dit très clairement que le problème de l'aide à l'Ukraine n'est pas une question d'argent, mais de capacité de production. Que l'on soit pour ou contre l'escalade en Ukraine, il est important ici de noter l'impuissance de l'état français qui ne sait que distribuer des chèques et des aides.

 

En un sens la lente agonie des politiques industrielles et la disparition des générations qui avaient réellement vécu la guerre ont fait disparaître la capacité de compréhension du réel chez nos prétendus élites. J'ajouterais à ça le fait que ces dernières n'ont que très rarement des formations scientifiques et techniques, les grandes écoles commerciales ayant remplacé en grande partie les formations plus centrées sur les sciences dures. C'est à souligner, car les scientifiques et les techniciens gardent généralement une approche plus pragmatique et factuelle des problèmes. Le fait que nos dirigeants soient généralement de formation juridique, commerciale ou autre aura plutôt tendance à favoriser l'art de la rhétorique et de la manipulation de symbole aux analyses factuelles. Nous avons donc un état qui prétend aider l'Ukraine. Qui dépense de l'argent pour aider l'Ukraine, mais cet argent reste dans les caisses de l'état parce que la capacité de production de l'industrie d'armement n'est pas à la hauteur des dépenses engagées. L'état néolibéral mue par le seul appât du gain et le calcul à court terme s'avère donc incapable d'organiser une production et de résoudre les problèmes réels. Tout ce qu'il sait faire s'est imprimé des billets et dépenser de l'argent pour acheter des biens produit ailleurs. On est bien loin de l'économie monétaire de production qui avait été mise en place au lendemain de la guerre et qui devait d'ailleurs beaucoup à l'économie de guerre justement. C'est d'ailleurs ce que connaissent un peu les Russes d'aujourd'hui. Un retour de l'état interventionniste mue par les besoins de la guerre et la redécouverte des bienfaits de la planification industrielle et du protectionnisme même si c'est contraint et forcé.

 

Et ce qui est vrai pour l'armement l'est pour tout le reste. La pénurie de médicaments en France n'est toujours pas résolue et n'est pas près de l'être par exemple. Pourtant l'état et Emmanuel Macron n'ont cessé de parler de leur volonté de rétablir une production nationale. Mais il ne se passe rien parce que les fondements de leur idéologie leur interdisent de faire de la planification, du protectionnisme et de la stratégie productive. Le laissez-faire reste leur unique fond de commerce et les propos de Macron au salon de l'agriculture prétendant que notre agriculture n'existerait pas sans l'UE en sont un énième exemple. Il s'agit pourtant là de quelque chose d'encore plus important que la question militaire. Alors que la France connaît une hausse de sa mortalité infantile, il faut sérieusement se demander si nous n’arrivons pas à la fin dramatique d'une idéologie qui aura finalement coûté aux Français leur niveau de vie. La tiers-mondisation de la France n'est plus un vague sentiment. C'est quelque chose que la population peut voir de plus en plus dans sa vie de tous les jours. La dégradation des services publics n'est que l'avant-goût de l'effondrement économique général que nous subissons et notre incapacité à produire quoi que ce soit.

 

Le long chemin nécessaire de la réindustrialisation

 

En détruisant son appareil productif, la France ne s'est donc pas seulement appauvrie, elle et toute sa population. Elle a également oblitéré sa puissance et sa capacité d'action politique. La souveraineté nationale n'est pas que politique, elle passe aussi par la souveraineté de la production qu'elle soit militaire ou civile. Une nation qui dépend trop de l'étranger pour subvenir à ses besoins n'est plus vraiment souveraine. Elle se met naturellement en situation de servitude vis-à-vis de l'étranger. Et quand vous êtes dépendant, la politique n'est plus indépendante, et le vote ne sert donc plus à rien puisque le pouvoir est ailleurs. Pendant longtemps les européistes à l'image de Jacques Delors ou d'un Michel Rocard ont vendu l'Europe comme une France en plus grande. Ils prétendaient que la taille de l'Europe permettrait une véritable souveraineté européenne puisque d'après eux elle ne pouvait plus entre Françaises. La vérité fut contraire à leurs prétendues attentes. Nous renonçâmes à notre indépendance pour un projet qui nous a fait jeter à la poubelle toutes nos capacités de production. Et loin d'avoir fait une Europe souveraine, jamais le continent n'a été à ce point dépendant de l'étranger. Les européistes ont donc créé une Europe de l'impuissance générale guidée par le prisme de l'idéologie du laissez-faire.

 

Alors, pour finir sur ce plaidoyer sur la question de l'autosuffisance nationale, parlons un peu de la réindustrialisation. Je l'ai déjà longuement décrit dans plusieurs de mes textes. La réindustrialisation ne sera pas simple, c'est un long chemin. Il est plus facile de détruire des industries et des savoir-faire que de les construire. Car construire prend nécessairement du temps. On le voit dans le cas des USA. Ce pays qui est allé très loin dans le sabordement de son industrie a même détruit sa capacité à produire des ingénieurs et des ouvriers spécialisés. La situation est telle que malgré les énormes aides octroyées à l’entreprise taïwanaise TSMC, spécialiste mondial des semi-conducteurs, pour construire une usine aux USA et réduire leur dépendance en importation dans le secteur, l'entreprise a du mal à faire avancer le projet. On apprend ainsi sur « The Economist » que l'usine japonaise sortira bien avant le projet américain. Essentiellement parce que le Japon est un pays qui a gardé une grosse part de formation scientifique ainsi qu'une bonne base industrielle contrairement aux USA. Pourtant l'industrie des semi-conducteurs est née aux USA, pas en Asie. On voit les dégâts que le libre-échange et le laissez-faire ont produits en seulement deux générations.

 

Il en va de même pour tous les types de production. C'est même le cas dans les domaines moins complexes comme l'agriculture. Toute production d'un certain niveau technique et surtout d'un certain niveau de productivité demande de la formation et du temps avant d'être optimale. Plus grave nous n'avons probablement même plus les enseignants pour former des jeunes dans bon nombre de domaines. En effet les bons enseignants dans les domaines pointus sont souvent des gens qui ont bossé dans l'industrie et la recherche naviguant entre les secteurs. Quand cela fait plus d'une génération que vous avez abandonné tout un pan d'un domaine de production, les gens qui bossaient dedans sont partis ailleurs ou ont changé de métiers perdant aussi du savoir-faire quand ils ne sont pas simplement morts de vieillesse sans rien transmettre aux nouvelles générations. La réindustrialisation en France prendra donc du temps. Elle devra s’accompagner d'une politique macro-économique favorisant la production nationale, mais sans précipitation pour ne pas favoriser une trop forte inflation. Comme le disait Keynes dans la citation du texte précédent, il ne faut pas arracher la plante économique avec ses racines, mais l'habituer petit à petit à pousser dans une autre direction, celle de la production nationale. C'est un long cheminement de plusieurs décennies.

 

Il nous faudra également accepter d'apprendre d'autres nations et de former des jeunes en Asie très probablement, là où sont désormais les savoir-faire dans bon nombre de domaines. Cela prendra du temps et nécessitera un peu d'humilité. Nous devons accepter le fait que nous ne sommes plus un pays riche et puissant, mais un pays en développement sur le plan industriel. C'est sur ce point que je crains le plus nos élites qui ont un orgueil à l'échelle de leur incompétence. L'objectif de la réindustrialisation ne doit pas être de devenir tout puissant et un gros exportateur. La France n'en a pas les moyens humains. Le but doit être plus modeste, favoriser un bon niveau d'autosuffisance nationale. On pourrait se fixer pour but de pourvoir à au moins 80% la plupart de nos besoins essentiels. Il ne s'agit pas de vivre en vase clos, mais d'être suffisamment autonome pour ne pas subir les affres de décisions ou d’événements étrangers. Il s'agit pour la France de pourvoir à l’essentiel de ses besoins pour qu'à nouveau nous soyons nous même libres de nos choix collectifs. Je le répète, la souveraineté agricole et industrielle est liée à la possibilité politique et donc à la démocratie. Cette souveraineté permet la mise en action du choix politique. C'est donc à la condition que nous soyons à nouveau capables de produire ce que nous consommons que nous pourrons à nouveau affirmer vivre en démocratie.

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