Étrangement j'ai toujours eu une certaine antipathie pour Arnaud Montebourg. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai toujours eu quelques doutes sur ses convictions profondes, ou plutôt il m'a toujours donné l'impression de défendre des idées non pour ce qu'elles représentent, mais pour ce qu'elles peuvent lui rapporter pour sa propre carrière. En ce sens, Montebourg est pour moi un véritable carriériste capable de changer de point de vue uniquement si cela lui parait favorable à sa carrière personnelle. Je l'avoue en disant cela, je n'ai aucune preuve de ça et c'est peut-être mon intuition qui m'induit en erreur sur sa personne. Et après tout, il est vrai que je ne le connais pas personnellement et qu'il n'a jamais eu les hautes fonctions publiques pour montrer si ces convictions sont réelles ou juste simulées.
Cependant quelles que soient ses intentions, il est vrai que Montebourg représente maintenant l'aile protectionniste au sein du PS, avec son collègue Benoit Hamon. Il est maintenant candidat à la candidature socialiste et même s'il a peu de chance de l'emporter il représente une évolution sensible au sein du PS, puisque maintenant on peut parler protection douanière à l'intérieure du parti socialiste. Bien sûr, il faut y mettre les formes pour éviter de choquer l'âme de gauche du socialiste si sensible au vocable et à l'idéologie. Oui parce qu'au PS on aime la liberté d'expression quant celle-ci est très limitée dans l'espace du pensable et d'idéologiquement conforme aux principes du socialisme version post1984. Le protectionnisme est donc un mot assez tabou et les politiques font d'énormes contorsions verbales pour ne pas user du terme. Dans cette tache digne de l'art de la rhétorique de la cour de Louis XIV, Montebourg a choisi son angle verbal d'attaque avec le terme démondialisation, il a fait sien le mot employé par Jacques Sapir dans son dernier livre.
Montebourg parle de relocalisation, de protectionnisme, de taxe pour le contrôle financier. Mais comme beaucoup de gens à gauche il est en retard de plusieurs guerres, si je puis dire. En premier lieu le protectionnisme de Montebourg est un protectionnisme européen. Car si Montebourg est effectivement dans une position iconoclaste par rapport à la majorité de ses collègues du PS il a quand même le virus européen dans le sang. Et c'est là le cœur du problème pratique qui s'élève contre ses idées. Car c'est bien gentil de prôner le protectionnisme européen, mais en pratique un président de la République française, même bien élu, aura le plus grand mal à imposer une telle idée en Europe. Et il aura surtout bien du mal à vendre cette idée à une Allemagne qui accumule des excédents commerciaux à notre encontre. Le fait est que le protectionnisme européen est une solution théorique qui n'a pas de possibilité d'application dans le monde réel. Imaginons que Montebourg soit élu, que fera-t-il si nos voisins refusent une telle politique? Que choisira-t-il? L'Europe et son libre-échangisme radical au protectionnisme impossible ou la France et son protectionnisme réalisable. Ce choix là Montebourg n'en parle pas et c'est une constante chez les gens de gauche y compris chez les plus radicaux comme Mélenchon. La gauche se fracasse sur la haine de sa propre nation, une haine qui rend impossible en pratique l'action collective. Une fois au pouvoir je doute sérieusement de la capacité des gens de gauches à véritablement agir dans le sens de l'intérêt du pays. Ils sont tellement persuadés que la nation est un reste inutile du passé.
Dans les propos de Montebourg, il n'y a donc rien sur les problèmes de l'euro, ni même sur la question de la dette publique et de son éventuelle monétisation. En effet pour cela il faudrait au préalable que l'état français reprenne rapidement le contrôle de sa propre monnaie ce qui veut dire mettre fin à l'euro. Ces problèmes-là seraient pourtant posés à Montebourg si éventuellement il devenait candidat à l'élection présidentielle. Marine Le Pen aurait facilement sa peau en abordant de tels sujets et en le mettant face à ses contradictions. Seulement même s'il pensait à ces questions là, ce qui est possible. Montebourg pourrait-il en pratique devenir le candidat du PS tout en allant aussi loin dans la critique des politiques que son propre parti a défendu ces trente dernières années? Peut-on rejeter l'Europe parce qu'elle empêche une politique plus sociale tout en étant au parti socialiste? Montebourg est peut-être un homme neuf, comme Benoit Hamon, mais le parti dont ils cherchent à modifier le comportement ou le programme a une histoire, une idéologie de base. Le transformer sera tout aussi difficile que transformer un parti comme le FN en un parti républicain. (oui je suis provocateur). On m'objectera que ce genre de transformations prennent du temps, je veux bien l'admettre. Mais la France est aujourd'hui empêtrée dans une crise extrêmement grave, elle n'a pas le temps d'attendre que le PS se transforme dans les dix prochaines années. La crise de l'euro c'est maintenant, la crise du libre-échange c'est maintenant, le chômage de masse c'est maintenant tous ces problèmes n'attendrons pas dix ans. Nous assistons à une accélération de l'histoire et les membres du PS comme ceux de la majorité au pouvoir semblent avoir dix ans de retard sur la réalité. Le protectionnisme européen on pouvait encore le défendre au moment du référendum sur le TCE dont c'est le sixième anniversaire demain d'ailleurs. Aujourd'hui après la crise grecque et l'explosion d'égoïsme à l'échelle européenne ce n'est plus crédible. L'euro sera d'ailleurs très certainement au cœur de la campagne. La sortie de l'euro de la Grèce étant maintenant évoquée officiellement, on imagine l'effet de contagion une fois que celle-ci aura quitté le titanique de la monnaie unique européenne.
Si Montebourg peut sortir renforcer de la disparition de DSK, il serait beaucoup plus crédible s'il osait aborder ces questions qui pour l'instant ne le sont que dans les partis alternatifs au système. Un discours réaliste sur l'euro et sa nécessaire transformation ou explosion pouvant d'ailleurs lui faire accéder au média. Un candidat PS portant une forte critique sur la construction européenne voila bien une révolution qui pourrait peut-être faire revenir une partie des classes ouvrières vers le PS. Il y a malheureusement peu de chance pour que cela arrive.
Arnaud Montebourg est bien présent sur internet. Il y a un site pour son groupe défendant sa candidature au PS c'est "des désirs et des rêves". Sur ce site on voit d'ailleurs une partie de ses propositions, il y en a douze mises en avant. Elles sont tout de même assez floues. On est loin d'un programme pratique à la Jacques Sapir. On remarquera au passage l'obsession pour les taxes à caractère écologique dont j'ai dit sur ce blog qu'elles étaient particulièrement inégalitaires ce qui fait tache pour un socialiste. Il vaudrait mieux proposer des quotas mais c'est un autre sujet.
Les propositions d'Arnaud Montebourg:
4-Instaurer une taxe carbone extérieure aux frontières de l’UE
Cette taxe carbone aura pour but que les produits importés reflètent leur « juste coût carbone, sanitaire et social »
5-Reverser les sommes collectées aux frontières de l’UE au Fonds d’Adaptation prévu par le protocole de Kyoto
Ce fonds permettrait la conversion écologique des industries du Sud et obligerait le Nord à des transferts de technologie
6-Créer une taxe carbone européenne progressiste et progressive
Cette taxe serait applicable à l’intérieur de l’Union Européenne. Elle encouragerait les entreprises à changer leurs manières de produire et établirait une équité avec les firmes non européennes soumises à la taxe carbone extérieure.
7-Instaurer par des traités bilatéraux un système de préférences commerciales
Cette mesure s’établirait au bénéfice des pays s’adaptant au mieux et au plus vite aux normes sociales et écologiques internationales
8- Cette mesure s’établirait au bénéfice des pays s’adaptant au mieux et au plus vite aux normes sociales et écologiques internationales
Cette taxe ciblerait notamment le transport maritime sous pavillon de complaisance et afin d’améliorer le bilan carbone
9-Adopter une loi en France faisant appliquer la responsabilité sociale et environnementale des entreprises transnationales produisant dans les pays à faible coût
Adopter une loi nationale en France, applicable aux entreprises transnationales disposant d’unités de production dans les pays à bas salaires, les tenant pour responsables des dommages environnementaux et sociaux imputables à leurs filiales et à leurs sous-traitants. Le vote d’une loi permettant d’engager la responsabilité des maisons mères, ayant leur siège en Europe ou hors l’Europe, pourra conduire à des sanctions judiciaires d’interdictions de produits fabriqués en violation des standards internationaux. Possibilité sera ainsi donnée à la justice de poursuivre une entreprise pour des fautes lourdes commises à l’étranger en matière de pollution ou de mise en danger de la vie des travailleurs
10-Obliger toute entreprise cotée en bourse à publier un rapport annuel sur l’impact social et environnemental de leurs activités
Ce bilan social et environnemental serait sous peine de sanctions, aujourd’hui inexistantes. Il s’agit d’établir et de publier les comptes des entreprises pays par pays, et de publier des registres complets des actionnaires significatifs pour renforcer la coopération judiciaire et fiscale.
11-Sanctionner les Etats et entreprises non coopératifs
Lutter contre la corruption et augmenter les risques de sanction sur les Etats et entreprises non-coopératifs.
12-Doter notre pays d’une procédure anti-dumping à la française
Il s’agit de mécanismes d’interdiction unilatérale (provisoire ou non) de la commercialisation de certains produits (hors UE), en cas d’agression commerciale par des prix déloyalement bas. Il faut faire reconnaître par l'Union européenne un droit à la subsidiarité en la matière.
PS:Arnaud Montebourg a aussi un blog si vous voulez poster vos critiques...