Suite au texte d'hier sur Paul Jorion je poursuis une petite réflexion sur les évolutions possibles du géant chinois dont Paul Jorion et bon nombre de gens de gauche ou même de droite nous disent qu'elle nous sauvera. La chine, futur grand marché, qui a elle seule avec son 1.3 milliard d'habitants fait entrer en érection n'importe quel capitaliste à courte vue, et au cerveau atrophié par l'excès de raisonnements purement comptables. Le fait est que comme nous l'avons vue à de multiples reprises l'économie chinoise n'est pas un marché, en tout cas ce n'est pas un marché pour les puissances étrangères. Quand les entreprises françaises ou allemandes veulent y vendre leurs produits, elles doivent d'ailleurs transférer une partie de la production et des savoir-faire. Cette stratégie couplée à un niveau salarial très inférieur à ce que pourrait produire la productivité locale permet à la Chine d'engranger d'énormes excédents commerciaux qui sont avec ceux de l'Allemagne les plus importants de la planète. La Chine n’est qu'une usine, pas un marché, pour les puissances occidentales, et lorsque le marché chinois se développe il le fait surtout dans l'intérêt des producteurs locaux.
D'un point de vue commercial, la Chine pratique un mercantilisme nationaliste agressif et investit près de la moitié de son PIB. Ce qui est un taux totalement anormal qui produirait une crise de surproduction n'importe où ailleurs. Seul l'écoulement dans le reste du monde des marchandises chinoises permet l'écoulement de la production. La crise de surproduction voila le danger mortel qui guette la Chine et qui pourrait sceller son destin dans les décennies qui viennent. On pourrait cependant ici penser que cette situation n'est que le fruit du hasard ou de laissez-faire vers la plus grande pente. Ce serait un phénomène transitoire lié à un moment de l'histoire qui finira par se résoudre pacifiquement, la Chine ayant tout intérêt à développer son marché intérieur pour éviter l'implosion au cas où l'occident ferait faillite ou reviendrait à la raison en limitant ses importations chinoises. Mais on peut aussi imaginer que cette stratégie commerciale à d'autres visées que le simple développement économique. Car les Chinois ne sont pas des Occidentaux postnationalistes. Ils ont en eux encore un patriotisme puissant qui est à la fois un moteur, mais aussi un danger. Surtout, qu'avec l'emballement historique actuel, la Chine pourrait attraper la même folie des grandeurs qui a jadis fait tant de mal à l'Europe. De nombreux indices nous montrent que la Chine ne prend pas un chemin de pacifiste éclairé. On pourrait parler ici de son comportement dans les pays d'Afrique de moins en moins toléré. Mais c'est le domaine militaire qui est le plus parlant. En effet, les dépenses militaires chinoises officielles ont ainsi encore augmenté de 7.5% en 2010, et il s'agissait du chiffre le plus bas de ces dix dernières années en 2008 le budget avait augmenté de 14.5% nettement plus vite que le PIB. Et il s'agit là des données officielles. Le budget militaire chinois est aujourd'hui le second du monde en valeur avec 82 milliards de dollars. On pourrait se dire que ce n'est rien à côté du budget américain totalement délirant, il est vrai, puisque représentant officiellement la moitié des dépenses militaires du monde. Mais c'est oublier un peu vite que la valeur des monnaies ne signifie pas grand-chose lorsqu'on compare des niveaux de vie. Les prix sont beaucoup plus bas en Chine qu'aux USA et avec un milliard d'euros vous faites beaucoup plus de choses en Chine qu'en Amérique ou en Europe. De fait, cette distorsion monétaire a les mêmes effets sur les budgets militaires.
Pour faire une estimation des dépenses militaires, il serait donc plus logique de faire le calcul en tenant compte des parités de pouvoir d'achat. Si on prend les chiffres de parité de pouvoir d'achat qui avantage largement les USA à cause du rôle du dollar on se retrouve avec un PIB par habitant exprimé en ppa de 45934$ aux USA et de seulement 6778$ en Chine. Pour un dollar de dépense vous obtenez environ 6.78 fois plus de choses en chine puisque le ppa local est 6.78 fois moins élevé que celui des USA. Les prix les salaires y sont nettement moindres, donc une même dépense en euro ou en dollars donnera un effet physique 6.78 fois plus important. Donc à parité de pouvoir d'achat on peut dire que les dépenses militaires chinoises représentent, une fois ramenées au niveau de vie américain, près de 555 milliards de dollars. L'écart entre les dépenses chinoises et américaines en matière de défense n'est donc pas si énorme que cela. Les dépenses US sont de 700 milliards de dollars, mais il faut prendre en compte la division de cette armée qui s'étale sur toute la planète là où l'armée chinoise se concentre sur son propre territoire. D'autant que la Chine est en ascension, et que le simple maintien des dépenses en proportion du PIB suffit à faire grimper le niveau d'effort militaire au rythme du PIB chinois. Soit 10% par an en moyenne. On peut donc sérieusement s'inquiéter de l'évolution de la Chine sur ces questions. D'ailleurs si l'on compare les PIB en ppa on s'aperçoit que la Chine talonne déjà les USA en terme de poids économique. L'écart entre le PPA et la réalité du poids de la Chine dans nombre de secteurs est plus cohérent que lorsque l'on s'appuie sur le PIB qui lui est sensible aux variations monétaires. On sait que la Chine est déjà le premier producteur et consommateur mondial dans de nombreux domaines clefs et cela se sent plus dans sa place en PIB par ppa que dans le PIB exprimé classiquement. À ces problèmes de budget militaire s'ajoute la question des rendements décroissants qui touchent les matériels militaires. Si un avion américain vaut en prix dix fois son concurrent chinois, il est certain que l'écart au niveau des performances pures n'est pas aussi important. L'occident fasciné par le progrès technique a oublié de bien mesurer l'équation coût-bénéfice. Au point de se retrouver avec des armées ultrasophistiquées, mais tellement coûteuses que même, la France n'est plus capable d'aligner plus de 10000 hommes en intervention à l'étranger. En cas de conflit, il n'est pas certain que l'avantage technique suffit à compenser l'écart du nombre. C'est une question à se poser sur les rapports de force militaire. Alors que l'occident vient de se prendre une déculottée dans un pays aussi faible que l'Afghanistan.
Mais il y a plus alarmant sur la Chine, c'est son comportement relationnel sur le plan diplomatique et géopolitique. Une note de l'IRIS paru sur Le Monde nous montre par exemple la dégradation récente des relations de la Chine avec ses voisins. Des contentieux apparaissent avec les Vietnamiens, les Indiens, les Japonais, et avec les Taïwanais. Les révolutions arabes semblent avoir fait oublier au monde que les plus grands conflits historiques se sont surtout produits dans les zones où les variations de puissance relatives se faisaient sentir. L'effondrement de la puissance US ainsi que l'affaiblissement du Japon de plus en plus palpable laissent le champ libre au géant chinois pour montrer ses ambitions. Les déséquilibres de puissance dans la région en faveur de la Chine pourraient rapidement entrainer celle-ci à se lancer dans des aventures dangereuses.
La guerre, un moyen de résoudre la contradiction de surproduction
Je reprends ici à mon compte les analyses des gauchistes qui voient dans le militarisme américain le fruit de la contradiction capitalistique de l'Oncle Sam. Les USA ont en effet pendant la Seconde Guerre mondiale pratiquée un keynésianisme militaire. Et comme disait Keynes, les dépenses que l'on trouvait anormales pour améliorer le sort des plus pauvres, ou améliorer le développement économique du pays. On les trouve soudain totalement normales lorsqu'il faut les faire pour la guerre. Sur le plan comptable à court terme, les dépenses militaires peuvent effectivement relancer une demande neurasthénique et cela a très bien marché alors. Même si à long terme il vaut largement mieux investir dans des choses collectivement utiles. Car les dépenses improductives peuvent nourrir l'inflation, la hausse des dépenses improductives n'augmentant pas la richesse globale, mais redistribuent uniquement les richesses existantes. Mais la situation actuelle est très différente de celle de l'époque de la Grande Guerre. Aujourd'hui même si les USA produisent encore leur propre armement, les effets de ces relances keynésiennes militaires vont se faire sentir surtout à l'étranger à cause des importations massives que les USA produisent. Le keynésianisme militaire n'a de sens que dans un pays qui est en surproduction ce n'est pas le cas des USA qui sont plutôt en sous-production. Puisqu'ils n'arrivent même pas à pourvoir seuls à leurs besoins de base. Ils importent trop de choses pour que ces politiques relancent quoi que ce soit si ce n'est les déficits extérieurs. On peut constater d'ailleurs que paradoxalement ces dépenses militaires alimentent surtout aujourd'hui la puissance de leur principale rivale. C'est donc véritablement un suicide puisque les relances keynésiennes en régime de libre-échange nourrissent surtout l'ogre chinois et donc sa puissance militaire.
Par contre, la Chine répond beaucoup mieux aux critères d'un capitalisme plein de contradictions qui peuvent se résoudre par des dépenses militaires massives. Là est sans aucun doute le véritable danger qui nous guette, comme le disait Pierre Larrouturou la Chine peut « péter les plombs » face à ces contradictions insolubles, et dans le cadre d'un régime politique fortement oligarchique. Une fuite en avant militaire est donc beaucoup plus crédible en Chine qu'aux USA. De plus, croire que la Chine fera automatiquement les bons choix c'est par essence lui enlever son humanité. Un peu comme si les Chinois étaient génétiquement programmés à ne pas se tromper comme ces crétins d'Occidentaux. Certes, nos expériences peuvent servir d'exemple, mais le développement urbain chinois actuel calqué sur le pire de l'occident, ou la course à l'inégalité, que connait ce pays montre qu'il est tout aussi capable que nous de faire n'importe quoi de son progrès technique. Que la bulle immobilière chinoise éclate que les exportations vers l'occident s'effondrent pour X ou Y raison, et tout peut arriver.