Après la crise on nous ressort les bonnes vieilles ficelles de l'institutionnalisation d'un régime économique. Les élites européennes étant friandes de règles. Règles qu'elles devront rompre à loisir. La future règle d'or n'est en réalité que la continuité d'une forme de pensée libérale qui tend à vouloir exclure l'économie du champ du politique alors qu'elle en est en vérité la plus parfaite incarnation. Car les libéraux n'en reviennent pas, ils persistent à vouloir faire croire que l'économie peut se résumer à un choix rationnel mû par un simple calcul comptable capable de prévoir toutes les évolutions sur des siècles et des siècles. Cette règle d'or, comme jadis les critères de Maastricht, n'a en fait qu'un seul but. Celui d'empêcher toute politique économique publique et de limiter autant que possible l'intrusion du politique dans les questions économiques. Nous avons ici une illustration de la thèse de Naomi Klein sur la stratégie du choc qui veut que les chocs et les crises économiques servent de prétexte à l'aggravation des politiques qui ont justement mené au désastre susnommé. Loin d'avoir compris le sens de la crise, les bureaucrates néolibéraux ont ainsi profité de la crise pour accroitre encore leurs capacités de nuisance.
On remarquera au passage que personne chez les plus hauts responsables n'a souligné le fait que les déficits budgétaires étaient essentiellement le fruit du laissez-faire en matière de politique économique et fiscale. Et que si la règle d'or avait été appliquée au moment de la crise bancaire nous aurions eu affaire à une gigantesque panique boursière comme le monde n'en a pas connu depuis 1929. En clair, les dirigeants français et européens ont conclu qu'il fallait empêcher les états de s'endetter alors même que ce sont eux qui ont fait flamber la dette au nom de la sauvegarde des banques. Et quand je dis eux, je veux dire exactement les mêmes personnes qui aujourd'hui prônent la règle d'or. On comprendra ici bien sûr que la règle d'or ne s'applique en fait qu'aux dépenses inutiles pour ceux d'en haut, surtout n'endettons pas l'état pour construire des hôpitaux ou pour moderniser la production électrique. Il ne faudrait pas endetter l'état pour faire des choses utiles pour tout le monde. Par contre, l'endetter pour sauver la rente, le capital, l'euro et la monnaie forte là c'est normal. Car, voyez-vous, il y a fort à parier que si le système bancaire flanchait à nouveau, et cela ne saurait rester une hypothèse très longtemps d'ailleurs, la règle d'or serait d'un seul coup oubliée. Tous comme le furent les contraintes de Maastricht toutes passées à la trappe dès qu'il fallut sauver les copains de la faillite. En fait, cette fameuse règle d'or est la représentation comptable de la dérive féodale du continent européen et de la France en particulier. La maxime de La Fontaine n'a jamais eu si bonne application que dans les temps présents. De néolibéralisme nous ne devrions plus parler, mais bien plus de néoféodalisme. Car telle est la nouvelle Europe, dure avec les faibles et faibles avec les forts. Là où la justice consistait autrefois à rétablir par le droit, la loi et la politique l'égalité que la nature n'avait pas produite, les néoféodalistes s'échinent eux à aggraver les inégalités. La loi et la politique consistent désormais à graver dans le marbre les injustices naturelles, voir même à les répandre et à les multiplier.
Les règles budgétaires sont une insulte à la liberté démocratique et au bon sens
D'autre part, nous remarquerons également que la question des déséquilibres des comptes publics oublie en partie que l'accroissement des dettes est essentiellement le fait des intérêts. Comme l'a noté très justement A-J Holbecq sur le site postjorion, les budgets calculés sans les services de la dette se sont avérés relativement équilibrés ces dernières décennies. Mais cet oubli de la nature même de la dette est curieux. Que ce soit par sa justification momentanée, nous avions vu que la dette augmentait surtout avec la surélévation de notre monnaie, le franc fort a doublé notre dette dans les années 90. Ou que ce soit par l'oubli du questionnement sur l'origine idéologique de l'emprunt public sur les marchés financiers. Ces questions sur l'origine de la dette et le poids que celle-ci produit sur les budgets annuels ne sont jamais posées. Probablement parce que comme le disait Descartes un problème bien posé est un problème à moitié résolu. Donc le fait d'ignorer cette question permet de détourner le débat public de l'essentiel. Tout comme le FN permet d'éviter de poser des questions sur le protectionnisme ou l'immigration en résumant tout à un débat entre racisme et non-racisme. L'obsession de l'équilibre budgétaire permet de mettre entre parenthèses la question de l'origine de la dette alors que ce sont ces intéréts qui déséquilibre le plus les budgets annuels.
Car la dette publique française dont nous payons aujourd'hui les intérêts exorbitants n'est pas et n'a jamais été le fruit d'un gaspillage des dépenses publiques. La dette provient essentiellement de la privatisation de l'instrument monétaire qui oblige les états occidentaux à emprunter avec intérêt sur les marchés ce qu'ils pourraient emprunter à leurs banques centrales à taux nul. Du libre-échange généralisé qui a détruit en partie les bases industrielles des pays avancés, et qui en réduisant les rentrées fiscales a obligé les états à emprunter. Et si les états ne l'avaient pas fait, le monde serait rentré en dépression dès les années 80. Et enfin ces dettes sont dues aussi à des délires monétaires. Que ce soit la politique des taux délirants aux USA sous Regan pour renforcer le dollar ce qui coula l'industrie US. Ou que ce soit la politique du franc et de l'euro fort en Europe. Ces politiques sont bien les vrais responsables de la hausse de la dette et du coût qu'elles engendrent à long terme. Cela dépasse très largement les déficits de la sécu ou les quelques dépenses excessives ici ou là. Bien évidemment, la dette est aussi un bon moyen pour justifier des politiques qui n'ont aucun sens puisqu'elles punissent en fait des populations qui subissent déjà tous les effets des politiques délirantes précédemment cités. De plus, la règle d'or est en fait une atteinte manifeste au choix démocratique et impose une politique économique dans une constitution. On rappellera au passage que le seul régime à avoir eu une politique économique dans sa constitution en plus de l'UE fut l'URSS.
Pourquoi faire une règle sur les budgets publics et pas sur les balances des paiements?
Denier point sur cette règle d'or qui devrait plutôt s'appeler l'arnaque en or. L'origine de la crise économique que nous subissons n'est pas véritablement due au niveau des dettes publiques ou des déficits. Les marchés d'ailleurs l'ont bien compris puisqu'ils se méfient aujourd'hui de la zone euro et des PIGS malgré les énormes économies que les états annoncent et font par des compressions massives de la demande intérieure. Ce qui inquiète c'est la fameuse compétitivité. Terme mal choisi en réalité. On doit plutôt parler des déséquilibres commerciaux qui sont à l'origine en grande partie de l'endettement des nations. Lorsqu'un pays connait un déficit commercial, il voit sa masse monétaire se réduire, un peu comme un seau d'eau dans lequel on ferait un trou voit son niveau d'eau baisser. On comprendra bien que la dette ou l'émission monétaire consiste en fait à rajouter de l'eau dans le sceau sans boucher le trou pour maintenir le niveau. Car ce trou produit une moindre activité économique et oblige au passage le pays à produire de la dette extérieure pour se procurer les marchandises importées. C'est d'autant plus vrai que le jeu monétaire mondial est fortement truqué, et que le régime des changes flottants ne flotte en réalité pas tant que cela. Beaucoup de pays se retrouvant avec des monnaies dont les taux ne correspondent absolument pas à leur situation commerciale. Les Asiatiques ont des monnaies largement sous-évaluées, en occident c'est l'inverse.
Il est donc curieux lorsque l'on s'interroge sur la règle d'or que personne en plus haut lieu n'ait émis l'idée d'établir une règle d'or commerciale empêchant les déficits de la balance des paiements. Déficits qui sont pourtant les vrais responsables de la faillite des nations. Comment donc, expliquer un tel oubli? C'est que pour appliquer une telle règle il faudrait nécessairement rompre avec le libre-échange, et le régime des changes flottants qui ont fait tant d'heureux dans les bourses européennes et américaines. Là encore, nous avons une expression de ce néoféodalisme qui oblige à poser certaines questions dans le débat public uniquement si cela va dans l'intérêt des puissants et non dans celui de l'intérêt général. Car une telle règle, qui avait été imaginée par Keynes pour son Bancor et qui était présente dans la charte de La Havane, obligerait à questionner un peu l'ordre économique mondial qui favorise la rente au détriment du travail. Que deviendraient donc les intermédiaires et les financiers si d'un seul coup ils ne pouvaient plus jouer sur les différentiels salariaux pour maintenir leurs rendements ? Un homme politique désireux d'affronter la doxa néoféodaliste actuelle devrait à mon avis émettre l'hypothèse d'une règle d'or sur le commerce extérieur. Elle dirait ceci: « Chaque nation doit préserver sur une période de trois ans en moyenne un équilibre de la balance des paiements. En cas de déficit, un pays pourrait recourir à une dévaluation ou à une politique de protection commerciale face aux pays en excédent . Les pays excédentaires seraient invités à accroitre leurs demandes intérieures. Et si cela s'avérait impossible ou sans effet, a accepté les limitations que les pays en déficit seraient alors obligés de prendre à leur encontre.» Voilà une règle d'or qui s'attaquerait au nœud gordien de la crise mondiale actuelle. Si nos élites aiment les règles, donnons-leur donc en une qui est utile. À mon humble avis il y a fort à parier que cette règle-là serait rapidement étouffée par les médias et la commission européenne. Elle remettrait en cause trop d'intérêts bien installés. Et elle nuirait fortement à la doxa libérale qui n'aime la nature et les règles que si elle favorise les milieux qui lui sont les plus proches.