En ce temps de discours sur les retraites et sur la problématique soulevée par les mécanismes de financement de ce dernier, je tenais à sortir un peu de l'économisme pour parler du monde réel, du rapport que nous entretenons avec nos vieux et avec le vieillissement en général. Il se trouve que cet après midi j'ai accompagné ma mère pour voir ma grand-mère dans sa nouvelle demeure, une maison de retraite, ma mère n'avais pas le courage d'y aller seul et je devais bien cela à ma chère grand-mère. Elle fut pourtant longtemps autonome, il y a encore quelques années elle arrivait très bien à se débrouiller seule. Jusqu'à ce que l'on s'aperçoive vers ses 78 ans qu'elle était frappé d'un Alzheimer. Il faut voir à quelle vitesse une personne touché par ce mal dépéri, c'est absolument terrifiant. Ma visite à la maison de retraite fut un choc, véritablement. Un choc émotionnel de voir une personne très proche ne plus avoir aucune autonomie, le choc également de voir ces personnes installés dans ce qu'il faut bien appeler un véritable mouroir.
La maison de retraite est loin du centre ville de Montpellier, éloignée ainsi des yeux, elle caricature la peur que la société moderne a de la mort. Ma grand-mère n'est pas à plaindre, elle a eu de nombreux enfants, 5 filles et un garçon et sera entouré de sa famille autant que possible. Mais lorsque l'on voit des personnes aussi dépendantes, on comprend mieux les difficultés qui se dressent face aux nations vieillissantes. Ma grand mère a eu six enfants, mais chacune de ses filles n'ont eu que deux enfants, mon oncle , handicapé, n'en a pas eu. On imagine déjà pour chacun des petits enfants l'augmentation des contraintes liés au futur vieillissement des ex-babyboomers, la génération de ma mère. En effet mon frère et moi ne seront que deux pour l'aider si besoin est. On imagine aisément les problèmes qui arriveront dans des pays ou la natalité est inférieure à deux et que l'on ne raconte pas de bêtises sur la hausse de la productivité. Je vois mal en effet en quoi nous pourrions faire des gains de productivité dans ce domaine, et ce même en imaginant des robots sophistiqués. D'ailleurs à l'heure actuelle malgré une démographie relativement correcte, la France ne s'occupe déjà pas bien des gens en fin de vie alors dans vingt ans, je n'ose imaginer le désastre. Cette question va bien au-delà des retraites elle touche à l'organisation familiale à la dé-responsabilisation à l'intérieure même des familles.
Les modernes se défaussent sur l'état et la collectivité de toutes leurs obligations, de tout ce qui les gênent immédiatement. La solidarité directe, fondée sur l'action individuelle et les devoirs familiaux, nous l'avons remplacé par la délégation collective, plus économique en temps, même si couteuse en argent. Le résultat nous le voyons, des hospices pour vieux sans amour réel, malgré un grand volontarisme des infirmières, elles ne peuvent remplacer les liens familiaux. On laisse nos vieux là, tout seul, dans ces endroits pour futur mort, et certains vont jusqu'à les oublier, littéralement. Et cela renvoie en miroir l'image de l'éducation que nous donnons aux enfants, là aussi on délègue. L'instituteur qui n'était là à l'origine que pour transmettre des savoirs est devenu un père ou une mère de substitution charger de fournir l'éducation que les parents ne prennent plus le temps de donner. La focalisation sur la production de richesse, la production économique, la consommation, et la sustentation du marché a laissé derrière lui un désert affectif et humain. Un vaste champ de consommateurs tristes qui essaient d'oublier qu'un jour il faudra mourir et que peut-être ce que nous passons notre temps à faire n'est finalement pas si essentiel. Notre époque est en réalité celle qui perd du temps soit disant pour en gagner. Nous passons de plus en plus nos vies à ne pas vivre. De l'efficacité il n'y en a plus pour qui ne voit dans la vie qu'une succession de consommation et de jouissance instantanée. Je crains que nous ne fassions guère de beaux vieux au final, aigri et seul au milieu de nos tas d'ordures accumulés qui servent tant à nous distraire dans le présent.
Ma grand-mère a pleuré dans mes bras cet après midi et là je n'ai plus envie d'écrire, j'ai honte et je suis triste. Je n'ai pas les moyens de m'occuper d'elle alors qu'elle en aurait tant besoin, j'ai déjà beaucoup de mal à m'occuper de moi même à vrai dire. Alors la question des retraites au final ne devrait elle pas aussi concerner notre organisation familiale? Doit-on seulement parler des personnes âgés par l'intermédiaire économique? Si le système des retraites est sauvé, pensez vous vraiment que nous aurons pour autant résolu le problème du vieillissement et de la solitude que cela engendre? Est-ce que finalement ce problème est seulement économique? Voila ce soir les questions que je me pose,et pour une fois je me tais car je n'ai pas de réponse.