En ces temps de chaleur où les obsédés du réchauffement climatique anthropocentrique utilisent comme à leur habitude les variations de la météo pour justifier leurs doctrines, il est approprié à mon sens de revoir plus sérieusement la question plus large de l'écologie et du système économique. C'est d'autant plus vrai que l'écologie bourgeoise, celle qui remplit les plateaux de télévision et qui a fait un bon score aux dernières élections européennes n'en finit pas de ménager toutes les contradictions possibles. C'est que la population bourgeoise, qui est largement représentée dans les mouvements écologistes surtout les plus extrémistes, se retrouve dans une contradiction fondamentale. En effet, c'est bien la population bourgeoise qui pollue le plus et qui mène la danse folle du consumérisme bien plus que les couches populaires qui s'appauvrissent de plus en plus vite avec la globalisation, l'euro, et toutes les lubies que le libéralisme économique a pu concevoir ces quarante dernières années. Et c'est cette contradiction que l'on retrouve systématiquement dans le discours de l'écologisme officiel. D'un côté, on fait d'immenses prêches sur la planète qui meurt, la pollution, l'épuisement des ressources et de l'autre l'on soutient le libre-échange, la globalisation, la financiarisation, l'immigration de masse.
Le cynisme va même au plus haut degré puisque des modernistes technophiles comme Steve Jobs par exemple faisait régulièrement l’apologie de l'écologie en étant lui même végétarien tout en étant le promoteur du smartphone avec sa marque Apple. Les smartphones étant probablement l'invention moderne la plus caractéristique de la production superflue qui caractérise le capitalisme depuis les années 70 et que Jacques Ellul avait si bien analysés dans son célèbre livre « Le bluff technologique ». Le système technicien produisant de plus en plus d'objets inutiles dont la seule utilité s'avèrent de provenir du marketing et de la capacité des grands marchands à capter les usages naturels de la vie courante. Steve Jobs fut le représentant de cette tendance sociale très forte en Californie d'une dichotomie entre le discours, les idées et l'action. D'un coté on fait fortune en vendant des myriades d'objets inutiles, et en gaspillant d'énormes ressources naturelles et polluantes, de l'autre on fait tout un discours sur la sauvegarde la planète. Cette contradiction peut être analysée par un discours psychologique. La conscience de l’individu pouvant entrer en révolte avec l'action qu'entreprend ce dernier. Les enfants de bourgeois furent souvent les premiers à faire des discours sur la révolte contre les inégalités. Le parti des insoumis est par exemple rempli d'enfant de cadres supérieurs et ils sont tout autant présents chez les gauchistes de base. On retrouve donc la même contradiction dans l'écologie.
On peut également supposer que l'écologisme officiel, qu'on opposera avec la véritable écologie qui se soucie réellement du bien commun, est surtout un nouveau cache-sexe intellectuel visant à protéger les dominants en remplacement des idéologies classiques de moins en moins à la mode. Si l'on regarde ce discours sous cet aspect, l'écologisme officiel fait donc office de nouveau libéralisme , de nouveau marxisme ou de nouveau christianisme. Il prend le pari d'une construction théologique visant à produire une nouvelle légitimité aux actions les plus inégalitaires et délirante des couches sociales supérieures. En effet ce qui caractérise l'écologisme c'est qu'il prend très souvent des décisions qui comme par hasard ne touchent que certaines couches sociales, les plus faibles de préférence. On privilégie par exemple la hausse du coût de l'énergie pour diminuer la consommation. Ce qui signifie en pratique que l'on réserve la consommation énergétique au plus riche qui ne se soucie pas de l'argent justement. À l'inverse lorsqu'il s'agit d'aider ou d'investir l'on retrouve systématiquement des propositions qui sont favorables aux couches sociales aisées. Ainsi les aides pour les panneaux solaires ou l'isolation prennent souvent la forme de crédit d'impôt , une aide particulièrement utile pour les plus aisés.
L'on retrouve ici un phénomène social classique, les idéologies dominantes qu'elles soient égalitaires ou pas finissent toujours par justifier l'intérêt des possédants et des plus riches. Pour la simple raison qu'ils sont dominants et qu'ils prennent toujours à un moment donné le contrôle de l'idéologie à la mode. L'écologie ne fait donc pas exception alors même que la pensée écologique devrait pourtant être en confrontation totale avec la société actuelle et notre organisation sociale et économique. Car pour se questionner sur l'écologie il faut véritablement comprendre comment notre société fonctionne, et si l'on fait cette démarche l'on comprend rapidement pourquoi il est impossible de parler d'écologie sans remettre en cause, non seulement, l'obsession pour la croissance, mais aussi toute l'architecture qui promeut le désir de consommation et organise toute l'activité humaine dans la course folle au profit sans fin et sans but.
La contradiction entre l'économie de marché et l'écologie
Au fond pour faire de l'écologie ou pour penser l'écologie, il faut simplement renoncer à penser que la vie humaine n'a pour but que l'accumulation sous quelque forme que soit cette accumulation. La civilisation du marché a troqué les pyramides anciennes et les rites religieux qui donnaient sens à la vie commune des civilisations du passé contre la consommation de masse . Et toute la problématique du monde moderne vient de ce changement fondamental, l'économie est devenue le sens de la vie depuis que le libéralisme a pris le pouvoir au 19e siècle, en occident d'abord, puis sur toute la planète aujourd'hui. Les anciennes civilisations pouvaient être absurdes, vous pouviez mourir brûlé sur un bûcher pour avoir ouvertement critiqué l'église par exemple. Ou alors, mourir pour étendre la gloire de vos dieux. Mais elles étaient relativement durables à savoir que leur fonctionnement collectif ne mettait pas en danger l'existence même du groupe à long terme en détruisant son environnement. C'était des sociétés qui consommaient peu et qui trouvaient de quoi occuper les masses sans avoir à gaspiller d'énormes quantités de matières premières et d'énergie. En ce sens écologique, nous sommes infiniment moins efficaces que les gens du moyen âge. Qui pourrait de nos jours en France vivre de son lopin de terre en faisant vivre une famille nombreuse sans électricité, sans pétrole et sans tous les gadgets qui nous entourent et qui nous facilitent la vie ?
Sans pour autant vouloir revenir au moyen âge, il faut bien admettre que la question de la croissance sans fin et de l'accumulation frénétique d'objets dont on pourrait très bien se passer se pose. On doit se demander quelle limite différencie la nécessité technique minimale pour une vie décente et le superflu. L'électricité pour s'éclairer est nécessaire, tout comme l'eau courante. Prendre la voiture pour acheter son pain beaucoup moins. C'est dans cette décision qui consiste à savoir différencier ce qui est utile ou ce qui est du gaspillage que se trouve potentiellement une politique écologique crédible et fonctionnelle. Mais c'est également cette décision qui est interdite par le fonctionnement d'une économie libérale de marché. Car le marché n'a comme seul régulateur théorique que la loi de l'offre et de la demande. Une loi qui est par ailleurs largement discutable en pratique. Dans ce cadre libéral, les choix des acteurs ne se font que sur l'optimisation de l'acte d'achat. Dans ce cadre, seule l'augmentation des prix permet la réduction théorique de la consommation. C'est pourquoi d'ailleurs les écologistes officiels ou écologistes de marché font de la hausse des prix l'alpha et l'oméga de toute politique visant à réduire la consommation. Ils oublient au passage que cette mécanique ne fait que transférer en fait la consommation des moins fortunés vers celle des plus fortunés. Avec la « régulation » du marché, on ne fait en quelque sorte que déshabiller Paul le chômeur pour habiller Jacques le directeur bancaire. Au final, on ne réduira jamais la consommation par cette mécanique. On créera juste toujours plus d'inégalités.
La logique du marché optimise le gaspillage pour créer de la valeur
Plus grave encore la logique marchande vise à toujours augmenter la taille du marché et à en créer de nouveau pour toujours plus de profit. Comme je l'avais expliqué il y a longtemps dans un texte intitulé le Paradoxe des Antennes, le marché ne répond pas à un besoin en donnant la solution la plus optimale à proprement parler. Il donne la solution qui va produire le plus de valeur ajoutée et de revenu au détenteur du capital et à l'entreprise. Si cette solution pollue et détruit l'environnement, cela n'a guère d'importance, tout ce qui compte c'est de créer de la valeur marchande. Il fut un temps où même les économistes libéraux connaissaient cette limite. Pour décrire cette problématique, on distinguait deux notions de valeur. La valeur marchande celle qui consiste à donner un prix à une chose en fonction de sa rareté sur le marché. Et la valeur d'usage, celle qui consiste à mesurer l'utilité à une chose ou une action. Ainsi l'on voit instinctivement qu'un diamant a une valeur marchande très élevée, mais une valeur d'usage quasi nulle. À l'inverse, l'air que vous respirez a une valeur marchande nulle, mais une valeur d'usage infinie puisque sans lui vous mourrez. C'est cette opposition entre valeur marchande et valeur d'usage qui a poussé Jean Jacques Rousseau à faire cette célèbre remarque comme quoi les arts sont lucratifs en raison inverse de leur utilité. L'on pense ici aux footballeurs professionnels qui croulent sous les millions pendant que nos agriculteurs se débattent pour survivre avec des revenus ridicules. Les sociétés se perdent donc lorsqu’elles ne cessent de se préoccuper uniquement de la valeur marchande sans se préoccuper de la valeur d'usage. Elles finissent par négliger l'essentiel pour produire du superflu. On est en plein dans la problématique de l'écologie ici.
On pourrait d’ailleurs tout à fait affirmer comme le disait si bien Jean-Claude Michéa que le marché crée de la valeur marchande en détruisant des productions ou des activités ayant de la valeur d'usage. En polluant l'eau, vous créez un marché de l'eau. En créant des déchets, vous obligez à créer un marché du déchet du recyclage et du stockage. En détruisant les relations sociales, vous créez pleins de marchés de niche de la garderie des enfants, à la police en passant par le marché des rencontres pour célibataires. En créant des obèses par la malbouffe, vous créez le marché de la minceur. Si l'on regarde l'économie dans ce sens l'idée de progrès à travers la société marchande devient d'ailleurs hautement discutable.
Il faut sortir de la logique marchande pour faire vraiment de l'écologie
L'idée écologique qui consiste à faire en sorte que l'homme puisse cohabiter avec son environnement à long terme est tout à fait louable. Elle confine même au bon sens puisque l'humanité ne survivrait pas à un effondrement de son environnement. Mais il faut bien comprendre que pour arriver à cela il faut aller contre la logique du marché qui ne veut qu'optimiser la valeur marchande des choses. Il faut au contraire préserver les objets et les relations qui ont une forte valeur d'usage. Il faut également entrer en contradiction avec l'intérêt individuel sans avoir à passer par la seule logique marchande. Il existe bien sûr déjà des actions de ce type comme les labels par exemple même s'ils ne sont pas pas contraignants pour l'acheteur. Mais même ces labels comme le label bio n'échappent pas à la logique courtermiste du marché. En effet quel est le sens écologique du fait d'acheter un produit bio importé de plusieurs milliers de kilomètres par exemple ? Acheter une tomate bio importée d'Argentine est-il plus écologique qu'acheter une tomate non bio locale ? La réponse est non bien sûr. Le label bio est beaucoup trop laxiste, seuls les produits locaux étant peu transportés devraient pouvoir avoir un label de ce type. Mais cela entre en contradiction avec la logique marchande du produit le moins cher.
La logique écologique est par essence anti-globaliste et anti-marchande. Il est donc extrêmement pathétique de voir des gens se référant à l'écologie tout en prônant un monde sans frontières organisé autour du marché pur. À cela, j'ajouterai également que la pensée écologique ne doit pas non plus oublier la raison et la science. Il faut savoir raison gardée comme on dit, et il ne faut pas tomber dans l'excès. L'abandon du nucléaire est ainsi une absurdité sans nom à l'heure actuelle. C'est d'autant plus vrai que des initiatives sur le nucléaire au thorium par exemple commencent à porter leurs fruits. Sinon plutôt que de prôner des hausses de tarifs pour l'énergie à travers les taxes et les privatisations absurdes. Pourquoi ne pas ressortir l'idée d'un rationnement quantitatif pour chaque personne comme cela s'est fait après guerre ? On sort ici de la logique marchande et l'on rentre dans une vraie politique qui vise à limiter les gaspillages en mettant toutes les personnes, quel que soit leur statut social devant leur responsabilité. À l'ère du numérique, des réseaux et des cartes à puce, il est assez simple d'imaginer une limitation quantitative du pétrole par personne et par an. Les riches seraient obligés de limiter leur gaspillage énergétique de cette façon tout autant que les pauvres.
Globalement si l'on ne peut revenir à l'ordre ancien le défi de l'écologie véritable sera à mon sens de repousser au maximum l'étendue de l'espace du marché. De redonner un sens et une légitimité aux limites, c'est d'ailleurs peut-être ce que souhaitait Jacques Ellul lorsqu'il disait que les hommes devaient réapprendre les vertus ascétiques.