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21 juin 2019 5 21 /06 /juin /2019 17:23

 

La « réforme » de l'assurance chômage du gouvernement commence à sérieusement faire parler d'elle. Alors que le mouvement des Gilets Jaunes n'est pas encore totalement éteint, que toute personne sérieuse peut aussi considérer que le feu couve sur le territoire français tant la situation économique se dégrade pour une partie croissante de la population que l'on voit ce gouvernement battre des records de sadisme économique. On pourrait trouver là non une logique sadique faite de plaisir à faire souffrir les plus démunis et les plus pauvres, mais au contraire une logique de masochiste, Macron cherchant à tout pris à se faire détester par la population. D'autant que cette fois sa réforme touche une partie de son électorat puisque les cadres au chômage seront lésés par la réforme. Il faut rappeler ici que les cadres supérieurs et les personnes âgées constituent la grande partie de l'électorat macroniste. Les dernières élections où Macron a absorbé en partie l'électorat des républicains n'ayant fait qu'aggraver cet état de fait électoral. L'on pourrait donc être étonné de voir cette réforme taper également sur les cadres supérieurs.

 

Mais c'est oublier un peu vite le substrat idéologique qui sous-tend l'action gouvernementale. Parce qu'il s'agit véritablement d'un gouvernement qui a la « foi », un gouvernement de croyant dont le dirigeant est très certainement largement convaincu par sa religion libérale. C'est en ce sens que son entourage ainsi que sa propre femme voient en lui un héros, un sain, un Atlas pour reprendre la ridicule comparaison de madame Brigitte Macron. À mon sens, il est bien plus proche de Cronos dévorant ses enfants, mais passons. Cette quasi-divinisation de Macron par ses proches est représentative du fait que notre président n'agit pas par masochisme électoral ou esprit pervers, mais bien parce qu'il pense que sa politique est bonne. Parce qu'elle est le produit naturel de la logique libérale, et que cette logique libérale finira par produire le meilleur des mondes. À long terme, ça finira bien par fonctionner, se disent les caciques du libéralisme économique. On retrouve ici chez les libéraux les mêmes inflexions intellectuelles que chez leurs cousins communistes. Je parle du cousinage intellectuel parce que ces deux idéologies sont issues du monde des débuts de l'ère industrielle et ont comme trait commun un utilitarisme exacerbé et une vision extrêmement simplificatrice de la réalité du monde sensible. Il ne faut pas non plus oublier que Marx a basé lui même sa pensée économique sur les fondations branlantes et passablement discutables du libéralisme économique.

 

La logique libérale au cœur du sadisme économique

 

D'un œil extérieur, l'on pourrait réduire la logique de la politique de Macron à cette formule simple « En appauvrissant les pauvres, on va enrichir le pays à long terme ». Dit comme çà la formule semble stupide, et elle l'est assurément. On pensera ici à Keynes qui faisait face à de tels raisonnements dans les années 30 lorsque le gouvernement britannique en pleine crise économique était accusé d'appauvrir le pays en construisant des logements sociaux pour les plus pauvres. C'est que le simple bon sens minimal a disparu derrière la complexité apparente de la scolastique libérale. Je dirai même plus, la complexité de la logique libérale est en fait un camouflage extrêmement perfectionné pour le cynisme politique qui n'ose pas s'assumer. Il faut en réalité être capable d'une abstraction énorme et d'une infinie confiance en soi pour dire qu'en réduisant les revenus des chômeurs on va réduire le chômage à terme et accélérer la croissance. Il est évident que la logique à court terme et la logique à long terme peuvent parfois se contredire. Et qu'il peut apparaître rationnel parfois de faire des sacrifices au présent pour en retirer les fruits à plus long terme. Limiter la consommation pour favoriser l'investissement et l'amélioration des processus productifs peut ainsi conduire à une amélioration des conditions de vie à terme. Le général de Gaulle en 58 avait limité les pensions de guerre par exemple, mais dans le même temps il avait augmenté les budgets de l'éducation. On faisait des économies au présent pour favoriser l'avenir dans l'investissement.

 

Mais est-on ici dans ce genre de logique ? Macron augmente-t-il les budgets de la recherche ? Favorise-t-il l'investissement productif en France et la réindustrialisation du pays ? Les affaires d'Alstom ou le futur avion de combat franco-allemand où il cède les savoir-faire français à l'Allemagne sans rien en retour semblent dire le contraire. Loin d'être un sacrifice du présent pour préparer l'avenir la politique macronienne est un sacrifice du présent sans rien en retour. Une simple vision comptable avec comme logique sous-jacente l'idée libérale de l'autorégulation du marché du travail. Pour un libéral, ce que Macron est à 100 %, le chômage ne peut résulter que d'une inadéquation entre l'offre de travail et la demande de travail. La sainte logique de l'offre et de la demande ne peut pas se tromper, s'il y a déséquilibre c'est que cela vient des acteurs du marché ou du cadre du marché. Donc soit la rigidité du Code du travail empêche le marché de bien fonctionner. Soit les salaires sont trop élevés pour l'offre et donc il faut réduire les salaires par diverses méthodes pour revenir à l'équilibre. Enfin si les deux solutions ne marchent pas l'on tape sur les acteurs du marché eux-mêmes. Le discours de culpabilisation des pauvres et des chômeurs étant la dernière roue du carrosse de la logique libérale.

 

Le sadisme économique vient en fait du cadre de l'analyse libérale qui est incapable de voir les limites de sa représentation simpliste du fonctionnement économique. Le fait par exemple que la loi de l'offre et de la demande n'existe simplement pas ne risque pas d'entrer dans ce cadre puisque toute la logique du marché autorégulé s'écroule sans cette hypothèse farfelue. Dans le cadre libéral, la société n'existe pas, elle n'est que la résultante de l’interaction des multiples individus qui la compose. Pour un libéral donc le coupable ne peut pas être le fonctionnement du marché lui-même, mais l'état qui déforme le marché par ses actions ou les individus par leurs comportements inappropriés (fainéantise, sous éducation, culture impropre au marché du travail, etc.). C'est pour ça qu'à la privatisation obsessionnelle de toute activité publique s'ajoute l'état policier qui surveille les pauvres et les chômeurs. Une logique qui atteint ses sommets dans le monde anglo-saxon et particulièrement aux USA. Le pauvre est toujours coupable, la pauvreté en est la preuve puisque dans le saint marché toute personne a la même chance et la même possibilité de réussir pourvu qu'il obéisse à la logique marchande. Le pauvre est donc doublement coupable. Il est fainéant, il ne doit son échec qu'à lui même et mérite d'être puni pour ça. Il n'est guère étonnant de voir que le libéralisme est tombé dans le travers inverse de son idéologie cousine opposée du communisme où l'individu n'était coupable de rien. Il s'agit en fait de deux visions erronées, la réalité naviguant entre les deux.

 

Dans le monde réel, le chômage est essentiellement le produit d'une inadéquation entre l'offre et la demande résultant du dysfonctionnement naturel des marchés . Car il n'y a en fait aucune raison pratique pour que l'offre et la demande soient concordantes, à moins de croire en la magie et en Dieu, comme Adam Smith qui voyait du divin dans l'autorégulation des marchés. Pire laissez à lui-même et à l'ouverture commerciale totale, les marchés fonctionnent de moins en moins bien par eux même. Où en serait l'économie mondiale si les états avaient laissé les marchés s'autoréguler en 2007-2008 ? On aurait eu des paniques bancaires d'une ampleur jamais vue et un effondrement des diverses monnaies de la planète. Les hurluberlus qui critiquent l'action des états à l'époque ne se rendent même pas compte de l'énorme catastrophe qui a bien failli nous tomber sur la tête. Que les états aient fait n'importe quoi par la suite est une évidence, il fallait restructurer le système bancaire au lieu de le faire repartir comme avant. Mais cela n'enlève rien au fait qu'il fallait qu'ils interviennent alors. Il est tout de même étrange que cette affaire n'ait pas eu comme conséquence une déstabilisation de la doxa libérale, mais bien au contraire son renforcement surtout en Europe de l'Ouest. À ces dysfonctionnements naturels des marchés, s'ajoutent en France les effets délétères d'une monnaie qui n'est pas la nôtre et qui est bien trop surévaluée pour nous. Ainsi que le libre-échange qui dévalorise le travail local et produit des déficits extérieurs de moins en moins soutenables.

 

L'idéologie libérale rend les dirigeants sadiques

 

Dernier point et non des moindres, il semble que la culture narcissique que produit l'idéologie libérale tende à produire des dirigeants de moins en moins capables d'empathie. On est vraiment monté d'un cran avec la présidence Macron. Cette évolution était déjà visible avec Sarkozy et Hollande, mais là on voit une véritable culture de la violence sociale s'installer en France. Grâce à l'excuse de la logique libérale qui justifie comme on l'a vu la violence vis-à-vis des perdants du marché, ces derniers étant totalement responsables de leurs problèmes. Les dirigeants se laissent aller à leurs plus bas instincts, c'est d'autant plus vrai que la politique est elle-même devenue un marché concurrentiel où ceux qui écrasent le mieux les autres par tous les coups possibles montent au pouvoir. On n’a probablement jamais eu dans l'histoire plus mauvais système de sélection des élites que le nôtre. La contradiction qu'il y a entre la façon dont les élites sont sélectionnées et les qualités qui devraient être celles d'un bon dirigeant atteint aujourd'hui un point maximal qui risque même de nous faire regretter l'ancien régime. À cela s'ajoute de la même manière une surévaluation des qualités des élites qui ne doivent leur réussite qu'à elles-mêmes. Donnant à ceux qui réussissent une confortable assise narcissique et un amour de soi inconsidéré. On ne peut mieux décrire la France actuelle que comme le résultat d'un parfait modèle libéral dans toute sa contradiction, fondamentalement conflictuel et dysfonctionnel. Mais rassurez-vous, le libéralisme peut toujours aller plus loin en rétablissant le travail des enfants ou en légitimant l'euthanasie des inutiles. Nous n'avons pas encore tout vu, ils peuvent toujours nous surprendre dans la course à l'immonde.

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commentaires

S
Je découvre votre blog grâce à un lien. Très bon texte, très clair. Bravo!
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D
C'est amusant de voir que les fameux 10/11mds d'euros de rallonge budgetaires dues aux G.J, et qui ont fait grincer tant de dents, ont entrainé une legère reprise de la croissance économique ces derniers mois.
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Y
Comme quoi Keynes ça marche toujours quoiqu'en dise les libéraux. Les faits sont têtus.