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25 décembre 2022 7 25 /12 /décembre /2022 14:51

 

Je note que dans les médias et sur divers réseaux sociaux l'on voit passer souvent des attaques ridicules sur le fait que la France serait de gauche, étatiste, voire même communiste. Ce n'est vraiment pas sérieux de décrire notre pays comme cela et je pense que le travail de sape intellectuel que les néolibéraux ont fait depuis 40 ans dans ce pays explique en grande partie la situation d’incompréhension dans laquelle se trouve une grande partie de nos compatriotes. Les gens n'ont pas les idées claires sur les questions économiques et sur les idéologies qui s'imposent à eux. Il faut dire que les raccourcis et les anathèmes forment une grande partie de la communication des journaux, qu'ils soient écrits ou télévisuels. Comme nous l'avons vu rapidement dans un texte sur les médias, ces derniers ne sont pas là pour informer, mais pour faire de l'audience. Par cette simple contrainte, ils passent leur temps à répéter en quelque sorte ce que tout le monde pense savoir sur tel ou tel sujet. Il est très rare que les grands médias se donnent la peine de réellement élever le débat quand il y a débat. Or pour beaucoup de gens, les médias à la télé dans les journaux ou sur internet sont les seules sources d'information. Rares sont ceux qui iront lire des livres universitaires, scientifiques ou historiques sur tel ou tel sujet.

 

Très tôt, les libéraux ont compris l'importance des médias pour influencer le grand public. Ils n'avaient guère de respect pour les fonctions de journalistes d'ailleurs et l'on ne saurait vraiment leur donner tort sur cette question. Ils ont donc compris que pour imposer leurs idées dans la politique en générale ce n'était pas dans l'affrontement intellectuel dans les grandes universités ou les centres de production du savoir qu'il fallait agir, mais dans les médias. Et pour gagner les cœurs et les têtes, ils pouvaient aussi compter sur le gratin financier qui, loin d'être intéressé par la véracité des thèses libérales, savait pertinemment que ces thèses allaient dans leurs intérêts à court terme. C'est dans les années 70-80 que l'offensive commence avec en France le point d'orgue que fut la pathétique émission présenté par Yves Montand « Vive la crise » en 1984. Il faut dire qu'à l'époque le pouvoir socialiste avait déjà renoncé au nom de l'Europe et des fantasmes anti-germaniques de Mitterrand aux politiques keynésiennes . En effet pour faire une politique keynésienne il aurait fallu que la France quitte le SME, la CEE (ancêtre de l'UE) et fasse cavalier seul en faisant du protectionnisme pour empêcher les Japonais et les Allemands de massacrer notre production industrielle. Mais la gauche a choisi la voie eurolibérale et nous ne sommes jamais sortis de celle-ci. C'est d'ailleurs pour cela qu'à mes yeux il n'y a rien de plus drôle que de voir un libéral nous expliquer que les problèmes de la France sont dus au gauchisme, au communisme et à l'étatisme. La France a entièrement suivi l'agenda libéral depuis 1974 . La seule exception fut la courte période 1981-1983 où on a eu droit à une relance sans protectionnisme, ce qui explique son échec relatif comme je l'ai expliqué dans mon texte précédent sur l'incompatibilité structurelle entre le libre-échange et les relances keynésiennes.

 

L'aspect libéral de l'économie française est macroéconomique

 

Lorsque les libéraux décrivent généralement l'économie française, c'est pour souligner le poids de la dépense publique, le poids de l'état dans l'activité économique, le nombre de fonctionnaires, etc.. Vous connaissez probablement les longues litanies libérales sur le sujet. La crise française serait due à trop d'états avec trop de fonctionnaires et ainsi de suite. À l'inverse la gauche bourgeoise oppose à ce discours des arguments souvent spécieux. À coup de lutte contre les injustices sociales, la nécessite de ne pas ressembler à l’épouvantail américain. Et il est vrai que sur le plan de la santé par exemple, si la France connaît une nette dégradation, on le voit avec la hausse de la mortalité infantile, on est quand même encore assez loin de l'état du système de santé américain qui tout en étant totalement privatisé est aussi le plus inefficace de l'OCDE et le plus cher du monde. Mais le problème c'est que la gauche n'arrive pas à contredire réellement les arguments libéraux. Parce qu'au fond d'elle, la gauche française est libérale. Elle a intériorisé les éléments de langage et les tabous des libéraux. Et je vais vous étonnez même la LFI ou Besancenot sont des libéraux qui s'ignorent, car au grand jamais ils ne remettront en cause la libre circulation des capitaux et des marchandises. Et je ne parlerai pas ici de son fanatisme anti-frontière et de son tropisme européen.

 

De fait faute de combattants adverses, les libéraux se sont vite retrouvés seuls dans les médias . On peut situer leur victoire médiatique au milieu des années 90. Et l'effondrement de l'URSS, leur pseudomodèle alternatif mental, a momentanément fait croire à ces derniers en la victoire de la société de marché totalement dérégulée. Le problème qu'ils n'ont pas vu, c'est qu'en réalité c'est l'effet même du libéralisme total qui sera désormais leur véritable ennemi. Et le réel est un ennemi impitoyable avec les idéologues, les communistes en savent quelque chose. Crise à répétition, explosion des dettes résultant des crises, déséquilibres commerciaux massifs, le monde globalisé n'en finit pas de produire des crises et l'occident ne produit plus de croissance sans faire exploser ses dettes sous toutes leurs formes. Bien évidemment comme il est difficile d'assumer les conséquences d'une pensée économique qui s'avère erronée, on va accuser les pensées économiques alternatives d'être responsables du désastre. C'est ainsi que toutes les crises sont le produit de l'étatisme, et des derniers restes de l'économie flamboyante d'après-guerre qui avait le malheur de ne pas vraiment être libérale, car fortement interventionniste et régulatrice.

 

Il faut rétablir la vérité concernant toute l'évolution de notre économie depuis 40 ans. Dans les années 70, la montée de l'inflation fait alors dire à certains que le modèle d'après guerre n'est plus bon, qu'il fallait éliminer la régulation. La vérité c'est qu'il y a eu tout d'abord une hausse du coût de l'énergie et de l'autre un ralentissement progressif des effets du progrès technique sur les gains de productivité. Tout ceci n'a rigoureusement rien avoir à faire avec le modèle économique. Il fallait effectivement ralentir la hausse des salaires puisque les gains de productivité ralentissaient, mais il fallait tout autant ralentir les gains pour la finance et les bénéfices des entreprises. La rupture de ce que l'on avait appelé le consensus fordiste par la dérégulation financière et commerciale tient avant tout d'une grave erreur de diagnostic. Une erreur qui va entraîner des prises de décision macroéconomiques qui vont finalement être fatales à long terme aux pays qui vont pratiquer le néolibéralisme décomplexé.

 

La dérégulation du commerce n'a jamais eu pour but d'accélérer la croissance économique, elle n'avait comme seul but que la casse des salaires en occident. Il fallait mettre fin à l'inflation à tout prix même au prix d'un chômage massif ce qui fut fait. Les délocalisations et la concurrence des pays à bas salaire ont effectivement cassé le lien entre la hausse des gains de productivité et l'évolution salariale. Cette politique à bien évidemment produit du chômage, et dès lors les politiques de l'emploi ont juste consisté à s'adapter aux contraintes externes nouvellement produites par la politique du libre-échange . Toutes les politiques libérales de l'emploi qui consistent à déréguler les conditions d'embauche, à détruire la stabilité de l'emploi, à réduire les aides aux chômages et à mettre fin aux « rigidités » de l'embauche ou du licenciement, découlent de la logique du libre-échange. Cette logique malsaine est entièrement le produit du libre-échange et donc dire que la France est socialiste ou dirigiste alors même qu’elle applique cette contrainte à sa population est une malhonnêteté intellectuelle invraisemblable.

 

De la même manière, la dérégulation financière qui consistait à mettre fin au contrôle des changes et des capitaux est à la base de la destruction de notre système fiscal. En effet à partir du moment où vous laissez les capitaux circuler librement, ces derniers exercent mécaniquement une pression à la baisse fiscale, c'était même le but des libéraux depuis le début. Les capitaux vont là où c'est le plus rentable d'investir et où les impôts sont les plus bas. Contraindre l'état, en particulier, à se plier aux contraintes du marché financier était le but ultime des libéraux et ils ont réussi. D'un côté vous obligez l'état à emprunter sur les marchés internationaux des capitaux au lieu de la banque de France. Créant ainsi des intérêts sur la dette qui n'existaient pas avant. De l'autre côté avec la pression de l'évasion fiscale vous obligez les états à faire une course au moins-disant fiscal entraînant toute la planète vers la baisse de la fiscalité pour les grandes entreprises et les particuliers richement dotés. Il n'est dès lors pas très étonnant de voir les dettes des nations flamber depuis les années 70 . Le problème c'est que les libéraux pensaient ainsi libérer l’investissement et donc accroître la croissance, mais c'est bien Keynes qui avait raison, l'investissement est avant tout piloté par la demande. L'explosion des bénéfices pour les multinationales n'a pas créé de surplus d'investissement, mais des bulles spéculatives, car les entreprises n'avaient en réalité aucune raison pratique d'investir plus. Non content d'avoir asséché les économies occidentales en industrie et produit un ralentissement de la croissance, l'ouverture financière va créer un casino spéculatif géant, appelé marché financier, dont les ratages vont produire des crises à répétition de plus en plus violentes. À la prochaine crise financière, on ne voit d'ailleurs pas comment les états occidentaux vont pouvoir s'en sortir avec leurs endettements stratosphériques.

 

Alors la gauche ressort régulièrement la martingale de la lutte contre les paradis fiscaux, mais c'est de la poudre aux yeux. Il y a toujours eu des différences fiscales entre les nations, tout comme il y a toujours eu des avantages comparatifs différents, mais ce sont justement les frontières qui empêchaient ces différences de causer des problèmes. L'absence de frontières devrait contraindre à une homogénéisation, mais celle-ci, si elle se produisait, se ferait sur la base du moins-disant fiscale. Il est de toute manière peu probable qu'une telle évolution advienne le laissez-faire libéral touchant surtout l'UE et les USA . Le reste du monde adhère beaucoup moins au laissez-faire. Et pour les USA on voit bien que l'envie d'en finir avec le dogmatisme libéral est de plus en plus palpable. La mise en place d'une politique de protectionnisme de subvention montrant un tournant aux USA en la matière même s'il s'agit d'un protectionnisme très maladroit à mes yeux.

 

Libéralisme apparent, égoïsme de classe pratique

 

Si le libéralisme économique des années 70-80 a eu un certain dynamisme intellectuel dans le sens où nombre de ses défenseurs étaient réellement motivés par ses idées, le libéralisme actuel semble tout de même moins conquérant. Si ses défenseurs prétendent que leur idéologie a permis de grand progrès à l'échelle mondiale, ils savent au fond que les pays qui sont sortis de la misère ces quarante dernières années le doivent peu au libéralisme en dehors du fait qu'ils aient permis les délocalisations. Contrairement aux discours ridicules, la Chine n'a rien d'une puissance libérale par exemple. Si elle n'est plus vraiment une nation communiste, elle n'est certainement pas une adepte du laissez-faire bien au contraire. On pourrait facilement la comparer au système français d'après-guerre en plus autoritaire et beaucoup moins libérale sur le plan politique . La Chine est une économie mixte qui navigue à vue sur le plan économique, sans vraiment faire dans l'idéologie, et c'est probablement pour ça que cela fonctionne. L'autre réussite la Corée du Sud n'est pas non plus une nation libérale. L'état a des politiques macroéconomiques vigoureuses et n'a pas hésité à maintenir longtemps des politiques protectionnistes tant que cela était favorable au commerce coréen . En réalité dans les pays qui ont réussi aucun n'a pratiqué le laissez-faire et le libre-échange. D'ailleurs, l'un des pays les plus dynamiques du monde à l'heure actuelle, le Vietnam, est encore une fois un régime communiste devenu fortement pragmatique.

 

Bref si le libéralisme a été promoteur de richesse pour certains pays c'est avant tout parce que ces derniers ne l'ont pas pratiqué pendant que les anciennes puissances industrielles, elles , se sont désarmées et ont ouvert leurs frontières. Mais cette histoire n'est pas nouvelle, cela s'est déjà passé au 19e, les protagonistes étaient juste différents. Les USA, l'Allemagne, le Japon et la France furent protectionnistes à la fin du siècle pendant que d'autres puissances en Amérique du Sud, dans l'Empire ottoman, ou en Inde (par la contrainte britannique) pratiquaient le libre-échange. On connaît la suite et les vainqueurs de l'histoire, je vous invite à relire l'économiste et historien Paul Bairoch sur la question. En clair, le libéralisme a du plomb dans l'aile. S'il continue à dominer, c'est d'une part à cause de la logique qui concourt au fonctionnement des médias qui sont par nature ultraconservateurs s’astreignant à faire circuler indéfiniment des idées reçues, en l’occurrence en matière économique, celles du libéralisme.

 

Ensuite, le maintien du libéralisme tient aussi aux intérêts des classes sociales dominantes sur le plan économique. Car si le libéralisme des années 70-80 a fait énormément de victimes chez nous, il a aussi fait des gagnants. Ils sont peu nombreux, mais ont beaucoup de moyens. Peu attachés à leur nation, ils ont souvent les pieds sur plusieurs continents, et il est clair que dans leur cas une vision nationale ne peut être que cauchemardesque. Imaginez être obligé de payer des impôts comme tout le monde et de payer les salariés correctement . Ne plus pouvoir importer des produits faits par des miséreux au Bangladesh pour les revendre extrêmement cher dans les boutiques parisiennes. L' entrepreneuriat dans l'économie mixte française en 1960 consistait à inventer des choses, à organiser une chaîne de production et à faire bosser des ouvriers , l'entrepreneuriat des années 2022 consiste essentiellement à acheter des choses faites à pas cher et à les revendre chez nous. On n’est plus du tout dans le même type d'entrepreneurs, on s'approche un peu des négriers du 18e, d'ailleurs eux aussi justifiaient leur commerce au nom de la loi de l'offre et de la demande. Si le libéralisme a coïncidé un moment avec la mode de la bourgeoisie des années 70 et a eu un certain engouement populaire, il est aujourd'hui le bouclier d'une classe sociale parasitaire qui n'a d'autre intérêt qu'elle-même. Elle cache ses intérêts de plus en plus mal derrière un libéralisme dont il est assez facile en fait de montrer l'inanité pratique. Dire qu'il fut un temps où le libéralisme prétendait lutter contre les rentes et les avantages acquis, aujourd’hui il sert surtout à les fabriquer et à les maintenir .

 

 

 

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