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22 décembre 2022 4 22 /12 /décembre /2022 16:13

 

 

Nous vivons tout de même une drôle d'époque. On a parfois l'étrange impression que les gens qui nous dirigent ne savent pas vraiment ce qu'ils font, et ce n'est probablement pas qu'une impression d'ailleurs. Macron qui est au fond de lui un libéral a quand même pris des décisions momentanées que certains qualifient faussement de keynésienne. En effet au beau milieu de la crise Covid Emmanuel Macron a fait de multiples plans de relance à coup de « quoiqu'il en coûte ». Ce faisant Emmanuel Macron est l'homme qui a le plus amplifié la dette française depuis 40 ans, ce qui fait beaucoup pour quelqu'un qui est en fait un gros libéral. En effet, Emmanuel Macron, qui s'enorgueillit avec trop de confiance sur les chiffres de chômage de plus en plus frelaté, a fait exploser la dette française . Et ce qui aurait dû inquiéter nos communicants télévisuels, je n'ose plus parler de journalistes, car je ne suis pas certain qu'il y ait encore des gens pour pratiquer ce métier en France, c'est que la dette a grimpé beaucoup plus vite que le PIB .

 

Cela peut paraître normal à monsieur et madame tout le monde, mais en réalité ce ne fut pas toujours le cas historiquement parlant. Dans les années 60 quand l'état français faisait 1% de dette qu'il injectait dans l'économie sous forme d'investissement public généralement, le PIB finissait par croire quatre ou cinq fois plus vite, de sorte que l'augmentation de la dette en volume était moins rapide que celui de la richesse nationale. Donc en proportion la dette en fait se réduisait malgré le plan de relance. C'est ce que l'on a appelé un peu abusivement les plans de relance keynésiens. Mais depuis les années 70 dans les pays avancés, on assiste petit à petit à la réduction de cet effet. C'est aux USA que le déclin du multiplicateur keynésien a été le plus visible. Mais les USA ont quand même continué à utiliser les relances crise après crise malgré le fait que ce multiplicateur keynésien est devenu progressivement inférieur à un, occasionnant un accroissement toujours plus rapide de la dette. À tel point que le service de la dette américaine est maintenant le premier poste de dépense de l'état américain avec 800 milliards de dollars par an.

 

 

 

Je soupçonne Emmanuel Macron de penser que les grands équilibres n'ont plus d'importance. Il s'agit là d'une croyance qui s'est développée chez certains économistes avec l'apparente impunité de l'économie américaine. En effet suivant la logique économique classique, un pays ayant une telle dette et un tel déficit commerciaux devrait voir sa monnaie s'effondrer et son inflation atteindre des niveaux zimbabwéens. Mais c'est ignorer le rôle particulier que tient le dollar dans l'économie mondiale. Nous en avons déjà parlé régulièrement, mais c'est ce statut de monnaie de réserve international et son rôle dans l'échange des matières premières en particulier pour les énergies fossiles qui permet au dollar de ternir sans que l'état américain ne se soucie des grands équilibres. Certains pourraient également ajouter le rôle de l'armée américaine capable de frapper n'importe quel pays récalcitrant qui accompagne la pax américana et le rôle du dollar. C'est ce que l'on nomme plus simplement l'Empire américain même si ses défenseurs avouent rarement qu'il s'agit d'un empire. Il est donc assez spécieux de croire que cette situation particulière de la monnaie américaine permet d'en déduire une généralité comme la fin de la nécessité d'équilibrer ses comptes intérieurs et extérieurs.

 

C'est pourtant ce que semblent croire certains de nos dirigeants qui en apparence ne s'inquiètent plus du tout de l'amoncellement de dettes sous toutes leurs formes. L'autre facteur qui explique aussi probablement cette irresponsabilité macroéconomique vient certainement de l'appartenance à la zone euro. En effet, l'euro protège la France des conséquences des déficits extérieurs, mais en même temps c'est l'appartenance à la zone euro qui la provoque. Emmanuel Todd avait comparé cela à une drogue, je parlerai plutôt d'un analgésique économique. Cela camoufle la douleur de la désindustrialisation, cela permet de produire des emplois de services en surnombre pour permettre aux gens de continuer à consommer, mais vous mourrez à petit feu en réalité. Jusqu'au jour où il y aura un sevrage brutal et ce jour n'est plus si loin désormais. La France s'est fait dépecer petit à petit sans rien sentir grâce aux bulles immobilières que les injections monétaires et les taux bas ont permises. Emmanuel Macron et ses prédécesseurs n'ont pas compris que les plans de relance keynésiens font partie d'un système d'organisation qui implique une forte régulation par les frontières sur les capitaux et les marchandises. Et que si cette condition manque, les plans de relances peuvent s'avérer extrêmement néfastes à long terme.

 

Le multiplicateur keynésien

 

Pour comprendre cela, je vais réexpliquer rapidement ce qu'est le multiplicateur keynésien. Mais bien sûr je vous invite à lire et à relire Keynes sur ce sujet. Notamment en ressortant son recueil de textes que Jean Paul Fitoussi avait fait éditer aux éditions Tel Gallimard il y a quelques années . J'en profite d'ailleurs au passage pour saluer la mémoire de Fitoussi dont j'ai appris bien tardivement son décès qui a eu lieu en avril dernier . Il fut l'un des rares économistes assez médiatiques à remettre en cause les certitudes néolibérales du moment, et il n'a pas hésité à comparer Keynes à un Einstein de l'économie. Un Einstein qu'on aurait voulu oublier et enterrer lui et ses théories trop gênantes pour certaines classes sociales.

 

Pour en revenir à notre sujet, c'est quoi le multiplicateur keynésien ? Il faut tout d'abord replacer le raisonnement dans le contexte où Keynes a imaginé son multiplicateur. Il s'agit d'un contexte de chômage de masse résultant de la grande crise des années 30. À l'époque de nombreux penseurs et économistes cherchaient une porte de sortie à une misère qui semblait s'étendre de façon inéluctable à toutes les strates de la société. Keynes émit des hypothèses de travail lui permettant de résoudre en théorie la question du chômage de masse . Le multiplicateur keynésien est assez simple en fait. Si vous considérez une économie dans un régime fermé, c'est-à-dire dans une situation dans laquelle vous consommez ce que vous produisez et inversement (nous y reviendrons, cette condition est très importante). Votre économie forme en quelque sorte un circuit fermé, la consommation des uns est la production des autres et inversement. Dans ce cadre là si vous augmentez la masse monétaire en circulation, vous créez artificiellement de la demande. Et si votre société est en proie à une sous utilisation de la population et au chômage alors cette demande supplémentaire va inciter les entreprises à embaucher pour répondre à la demande.

 

Pour calculer les effets de ces politiques de relance, appelons simplement notre plan de relance de départ D. L'état, pour mettre fin au chômage, va faire cette dépense D soit en distribuant directement l'argent à la population, soit en baissant les impôts sans contrepartie du même montant, soit en finançant des projets qu'il a sous le bras depuis longtemps et qu'il utilise cette occasion pour les réaliser. C'était d'ailleurs l'objectif originel du commissariat au plan celui de fournir des projets prêts à l’emploi au cas où nous aurions soudain des besoins d'activité pour occuper toute notre main-d’œuvre. À l'occasion Keynes avait fait sa célèbre boutade qui consistait à dire que l'on pourrait tout autant employer des gens à creuser des trous et à les reboucher, mais qu'il serait tout de même plus avisé de les employer pour des projets utiles à la communauté. Donc l'état dépense D pour alimenter la demande nationale. Vous construisez par exemple des centrales nucléaires (on en aurait bien besoin en ce moment). Cette dépense D va alimenter les salaires des ouvriers, des techniciens, des ingénieurs et des entreprises en général qui vont faire les travaux. Une partie de cette somme l'état va directement la récupérer sous forme d'impôt par la TVA l'impôt sur le revenu, etc. Mais les dépenses que vont faire à leur tour les salariés du nucléaire vont encore faire circuler cette dépense. Cette dépense sera cependant amputée en fonction de leur habitude d'épargne. D, amputé de l'épargne de nos salariés du nucléaire, va donc donné après un certain laps de temps D*p où p est la propension à consommer qui est une variable qui varie de 0 à 1. À 0 vous épargnez 100% de vos revenus (sacré radin), et à 1 vous consommez 100% de vos revenus.

 

Donc au bout d'un moment on a l'état qui a dépensé D, mais dans l'économie on se retrouve avec D+D*p . Mais l'argent de la dépense primaire va continuer à circuler un peu comme lorsque vous jetez un caillou dans l'eau qui va continuer à faire des vaguelettes circulaires autour du point de chute de votre caillou. Un laps de temps plus loin on a la consommation des salariés du nucléaire qui a alimenté d'autres personnes dans les supermarchés, les restaurants et les autres activités possibles . Et eux même vont consommer avec cet argent dont l'origine est la dépense primaire de l'état D. Et cette dépense diminue progressivement avec la propension à consommer. À la seconde vague cela nous donne comme dépense totale D+D*p+(D*p)*p= D+D*p+D*p² . Pour ceux qui se souviennent de leur lointain cours de mathématique on a affaire ici à une suite géométrique de raison p . cela fait une équation finale de :

 

Accroissement du revenu total = D+D*p+D*p² +...+D*p^n où n est le nombre de vagues de diffusion de l'accroissement de la consommation initiale. Comme p<1 D*p^n tend vers zéro lorsque n tend vers l'infini. En factorisant, on obtient la suite géométrique :

 

K= 1 / (1-p) K étant le multiplicateur keynésien et p la propension à consommer . Si votre propension à consommer est de 0,8 c'est à dire que la population épargne 20% de ses revenus alors k= 1/ 1-0,8= 5

Pour une dépense de 1 vous accroissez la richesse de 5 .

 

Évidemment ces raisonnements simplifient énormément la réalité . Le taux d'épargne n'est pas homogène . Il peut y avoir des difficultés d'embauche liées à plein de problèmes, difficulté de déplacement, niveau de formation. La population peut simplement ne pas accroître sa consommation pour x ou y raison, etc. Mais globalement il est indéniable qu'une dépense importante de l'état qui injecte de la masse monétaire supplémentaire dans un pays qui a du chômage est une bonne chose.Comme la richesse du pays croit plus vite que la dette, vous pourrez toujours la rembourser sans problème parce que les revenus de l'État augmenteront plus vite. Il reste cependant la première hypothèse de départ, celle qui est la plus importante. Il faut impérativement que l'argent circule dans le pays qui fait la relance. Or comme vous le savez, nos frontières sont ouvertes. On sent tout de suite que cela va poser problème. En fait si une part du revenu qui est censé circuler dans l'économie du pays part à l'étranger votre multiplicateur va décroître progressivement. Et s'il devient inférieur à un, vous avez un problème, car l'accroissement de la dette va devenir alors supérieur à l'accroissement de la richesse du pays.

 

Avec les mesures anticovid la dette française a augmenté plus de deux fois plus rapidement que le PIB . Preuve que le multiplicateur keynésien ne fonctionne plus. Et pour cause nous ne sommes plus dans un cadre keynésien depuis les années 70. Il a fallu du temps pour que les délocalisations et la fuite des capitaux se fassent sentir, la France avait encore de beaux restes dans les années 80-90, mais c'est terminé. Il nous reste dès lors deux choix à faire . Le premier est d'accepter la fin des politiques de régulation macroéconomiques keynésiennes qui vont avec le libre-échange. La France doit alors devenir totalement libérale et laissez faire le marché avec la violence que cela implique. Chômage massif, exclusion d'une part de plus en plus importante de la population, la France n'ayant aucun avantage comparatif à l'échelle mondiale. Il faudra alors accepter une sud-américanisation de notre société avec de petits centres de richesses extrêmes entourées de bidonvilles. Soit nous le refusons et alors cela implique de rendre à nouveau opérationnelles les politiques de régulation macroéconomiques . Cela signifie donc abandonner le libre-échange l'euro et l'UE pour faire du protectionnisme et relocaliser notre production en France. La situation d'entre-deux dans laquelle nous ont mis nos dirigeants n'est pas tenable à long terme.

 

Nous sommes à la croisée des chemins. Au début des années 80, Mitterrand a choisi la voie Rocard qui consistait à intérioriser le libéralisme économique. Mais les socialistes de l’époque pensaient naïvement que l'ont pourrait faire à terme des politiques keynésiennes à l'échelle européenne. Sauf que cela n'a pas évolué en ce sens et que l'UE n'a été que le cheval de Troie du néolibéralisme et de l'ordolibéralisme allemand. En réalité nos dirigeants n'ont jamais voulu assumer leur libéralisme en allant au bout de la logique parce qu'ils ont peur de la réaction de la population . Alors ils ont fait grimper les dettes sans se soucier du lendemain. Beaucoup d'économistes libéraux parlent de la France comme d'un état socialiste, voir communiste. La preuve en serait la dette et la dépense publique. C'est complètement faux, en réalité ce sont les conséquences macroéconomiques du choix du libre-échange tout en n’en assumant pas les conséquences qui ont conduit à cette situation. D'ailleurs, la dette et la dépense publique a flambé dans les tous les pays développés, y compris aux USA ou au Japon qui ne sont vraiment pas des pays socialistes. Rééquilibrer les comptes extérieurs par le laissez-faire complet conduirait probablement notre pays à des taux de chômage de 40 ou 50% et à une très grande misère. Ce n'est pas politiquement acceptable. Nous subissons en réalité une situation de non-choix de la part des politiques et c'est particulièrement vrai avec Macron. Totalement acquis au libéralisme il ne peut pas accepter l'échec du laissez-faire et de ses baisses d'impôt pour les plus riches alors il laisse filer la dette. Mais nous ne pourrons plus différer nos choix très longtemps soit on admet la catastrophe qu'a été le libre-échange pour notre pays soit on continue et la France va se couvrir de gang et de favelas.

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