Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
24 avril 2023 1 24 /04 /avril /2023 17:20

 

 

La grande peur de l'inflation est revenue. Après quarante ans de réduction de l'inflation jusqu'à la quasi-déflation qui a touché un moment l'Europe de l'Ouest, les Occidentaux et particulièrement les Européens s'étaient habitués à une hausse des prix relativement modérés. Et cette évolution n'a pas déplu à la majorité de la population essentiellement parce que les discours économiques sont depuis longtemps monopolisés par la dialectique libérale qui voit dans l'inflation une horreur à combattre absolument. Je ne reviendrais pas trop ici sur l’origine de l'inflation actuelle, elle est multifactorielle et le facteur énergétique dont nous avons déjà abondamment parlé est probablement l'un des facteurs majeurs de la situation en Europe de l'Ouest. Je tiens à rappeler simplement dans ce petit texte que l'inflation n'est pas le croquemitaine présenté par les libéraux et même qu'il s'agit d'un outil puissant qui pourrait nous permettre de régler rapidement quelques gros problèmes dans la structure de nos économies.

 

L'inflation et la globalisation

 

Le premier à avoir bien compris quel rôle jouait l'inflation dans les économies modernes était Keynes. Loin d'y voir une atrocité économique, fruit de la seule politique monétaire, il y voyait au contraire l'effet d'une correction d'une richesse trop mal réparti dans la société. Pour lui l'inflation était un moyen pratique de ronger les rentes sous toutes leurs formes dans une société qui avait trop concentré les richesses et trop favoriser la rente au détriment de l'investissement productif et du travail. La mauvaise allocation des ressources et des investissements est clairement une machine à produire de l'inflation à long terme. Mais pour les libéraux le seul fait d’accroître la masse monétaire crée de l'inflation, c'est faux. L'accroissement de la masse monétaire produit de l'inflation si l'ensemble du secteur productif est déjà employé. En clair, il faut déjà être en plein emploi et avoir l'ensemble des capacités productives du pays saturé. Mais ce raisonnement n'a de sens que si l'on parle d'un pays qui produit lui-même ce qu'il consomme. Le problème c'est que nos pays ont largement délocalisé les moyens de production. On a ainsi déconnecté l'évolution de l'emploi et de la production de la situation monétaire. Pendant des décennies on a pu accroître la masse monétaire sans produire d'inflation parce qu'en réalité nous produisions de moins en moins ce que nous consommions.

 

Cette déconnexion n'est pas entrée dans la tête de la plupart des économistes . Les schémas habituels hérités des économies nationales d’après guerre n'ont plus guère de sens dans une situation d'interdépendance excessive telle qu'on l'a construit depuis 40 ans. De la même manière que la globalisation a pendant un temps semblé tuer l'inflation en occident . Elle semble au contraire aujourd'hui faire un rattrapage. La dynamique des salaires en chine ne doit d'ailleurs pas être sans effets sur cette inflation. En Chine les salaires grimpent vite et pourtant l'inflation est très faible. L'on pourrait se demander si on n’assiste pas à une forme similaire de domination économique telle que celle des USA post-74 . La Chine est peut-être en train d'exporter son inflation . Les salaires chinois grimpent très rapidement alors que se maintient l'inflation ce qui casse complètement au passage l'idée de lien entre les salaires et l'inflation prévu par la courbe de Phillips. Les entreprises chinoises compensent probablement ces hausses par l'augmentation de leurs prix à l'exportation. Ce qui explique l'augmentation très rapide des exportations en valeur ces dernières années. La production chinoise n'ayant pas de concurrent dans un nombre croissant de domaines, elle peut se permettre d'augmenter ses tarifs. Une partie de l'inflation que l'occident connaît actuellement pourrait donc être le résultat de l'inversion du rapport de force entre les anciens pays industriels et cette nouvelle puissance.

 

Comparaison de l'évolution des salaires dans les pays en développement

La Chine monte et nous descendons très rapidement avec une réduction de notre pouvoir d'achat. Ce phénomène va rendre la réindustrialisation indispensable pour limiter la baisse du niveau de vie, mais comme vous le savez s'il est assez simple de délocaliser une industrie et de détruire les savoir-faire, faire l'inverse est beaucoup plus compliqué. Nos jeunes se sont habitués à vivre dans une société de service. Ils se détournent pour beaucoup des sciences et de la technologie et pour cause ce n'était plus très gratifiant de travailler dans des métiers qu'on ne cessa de délocaliser. Nombre de jeunes des années 90-2000 n'ont finalement jamais travaillé dans les secteurs pour lesquels ils avaient été formés. Cela a constitué un immense gaspillage de capital humain pour la France . Employer un mathématicien, un ingénieur dans le tertiaire et la finance est littéralement un drame scientifique pour le pays. Les générations suivantes ont donc logiquement préféré entrer directement dans les formations tertiaires plutôt que de perdre du temps faire encore des sciences. Il n'y a pas à chercher beaucoup plus loin la désaffection pour les sciences chez les jeunes Français. Et la situation est encore pire aux USA. On le voit, la réindustrialisation sera très compliquée, même si nous n'aurons pas le choix si nous ne voulons pas devenir un pays du tiers monde.

 

L'inflation n'est donc pas juste le fruit de la politique monétaire. Ce n'était déjà pas tout à fait vrai dans un cadre national, mais si l'on prend en compte la globalisation cela devient complètement faux. À cette question de l'exportation de l'inflation s'ajoute évidemment le taux de change. Quand vous importez énormément, la baisse, de la monnaie produit une hausse mécanique des prix des importations. Si à long terme c'est favorable à la production locale, qui, elle, devient moins chère à l'exportation, à court terme cela produit aussi des phénomènes inflationnistes. Dans le cas de l'Europe s'ajoute le problème de l'énergie. Non seulement l'augmentation du prix de l'énergie accroît directement l'inflation par le prix à la consommation direct, mais cela fait aussi des effets indirects d'inflation sur la production des produits locaux qui consomment de l'énergie. La globalisation a comme à son habitude rendue extrêmement complexe les interactions économiques et donc la compréhension pratique que l'on peut avoir des phénomènes. Il en va évidemment de même avec l'inflation et cela rend d'autant plus difficile une politique nationale adéquate. Les chèques énergie et les politiques contre l'inflation qui sont prises à l'heure actuelle, sont avant tout le résultat de cette incompréhension et de cette impuissance produite par la globalisation. Faute de vouloir revenir à des modèles économiques plus nationaux et plus déterministes qu'ils pourraient maîtriser, nos politiques en sont réduits à signer des chèques à faire simplement de la communication, car ils n'ont plus aucun contrôle sur quoi que ce soit.

 

Comment utiliser utilement l'inflation actuelle?

 

Nous le voyons, l'inflation n'est pas uniquement le produit des politiques monétaires. Elle est aussi le produit des changements de rapport de force qui se produisent dans la globalisation . Cependant, l'inflation n'est pas forcément une catastrophe, elle peut être employée dans l'intérêt général. Cela a déjà commencé, les pays européens se désendettent . Cela peut paraître paradoxal, mais effectivement malgré les gaspillages effectués par les pays européens ces dernières années, on assiste à une baisse de la part de la dette dans le PIB et c’est bien l'inflation qui en est responsable, pas les politiques qui seraient économiquement restrictives. La dette des pays européens est ainsi passée de 95,5% du PIB à 91% en seulement un an. Car l'inflation est en quelque sorte un impôt sur les rentes et les capitaux. Elle fait fondre la valeur de la monnaie et donc du capital. Dans le même temps, les recettes fiscales augmentent, on pense directement à la TVA qui est un pourcentage de la valeur des marchandises et donc elle croît proportionnellement à l'inflation. C'est pour cette raison que l'on voit cette baisse de la part de la dette en proportion du PIB au sein de la zone euro.Le plus drôle c'est de voir un défenseur des baisses d’impôt comme Macron profitant d'une des mécaniques classiques des politiques keynésiennes. Même si Keynes aurait largement préféré frapper durement le gros capital plutôt que de laisser filer l'inflation. Mais comme nous l'avons vu l'inflation n'est pas vraiment le fait de Macron ou même de l'UE c'est plutôt un concours de circonstances.

 

Malheureusement si nos dirigeants sont bien contents de cette baisse du poids de la dette qu'occasionne l'inflation cela ne veut pas pour autant dire qu'ils ont abandonné l'idée de défendre les couches sociales les plus aisées. L'emprunt d'État indexé sur l'inflation montre quels intérêts réels défendent les dirigeants français par exemple. L'inflation pourrait pourtant nous permettre de réduire certains problèmes comme la bulle immobilière. Nous le savons, les prix du logement en France sont déconnectés des salaires depuis deux décennies. C'est un des nombreux mauvais effets macroéconomiques de l'euro. À cause de la monnaie unique, le capital français s'est mal investi et s'est dirigé vers la pierre au lieu de l'investissement productif. Il faut dire qu'en régime monétaire unique et sans protectionnisme l'investissement industriel était simplement plus logique en dehors de la France en particulier dans les pays de l'Est. Pour le pays il ne restait plus que le logement dopé par des taux extrêmement bas. Mais évidemment cette bulle immobilière en dehors du fait qu'elle a créé une richesse relativement fictive transférant du revenu de la population active vers les rentiers de l'immobilier, a aussi déformé la structure sociale de nos villes et produit le fameux phénomène de gentrification des centres-ville et des grandes agglomérations.

 

L'inflation actuelle pourrait nous permettre de réduire un peu ce phénomène. Il suffirait pour cela de geler les loyers et d'indexer les salaires sur l'inflation. Nous pourrions ainsi réellement avantager le travail au détriment de la rente. On m'objectera que cela nourrirait l'inflation, mais comme nous l'avons vu l'inflation n'est plus liée à la situation nationale. Elle est essentiellement importée. Du reste en pratique on n'a jamais vu d'exemple pratique du lien entre l'inflation et les salaires. Certains économistes ont même montré récemment qu'il y avait surtout un lien entre les bénéfices de certains secteurs et l'inflation. Il faut dire que le marché tend naturellement à produire des monopoles ou des cartels privés, ce qu'oublient généralement de dire les libéraux. Sans intervention extérieure ces monopoles privés tendent vite à devenir de véritables parasites. Il ne serait donc pas étonnant que quelques acteurs aient utilisé la hausse de l'inflation pour faire croître de façon déraisonnable leurs profits. Quoiqu'il en soit, il n'y a aucun argument réellement logique au refus de revenir à une indexation des salaires sur l'inflation comme c'était le cas autrefois. Cela réduirait mécaniquement le poids des rentes sur l'économie française et donnerait un peu de souffle à notre population active. Même si évidemment cela ne résoudra pas notre problème de désindustrialisation qui lui nécessite un ensemble de mesures malheureusement en totale contradiction avec la construction européenne, mais c'est un autre débat.

Partager cet article
Repost0

commentaires

S
Bonjour,<br /> Pour notre élite libérale, l'inflation n'est pas qu'un lien avec l'augmentation de la masse monétaire.<br /> Que cette augmentation traduise un emballement de l'immobilier ou du marché des oeuvres d'art, c'est dans l'ordre des choses, des intérêts. Mais, que l'inflation induise l'augmentation (modérée) des salaires, c'est idéologiquement inacceptable. Ils ne veulent pas augmenter les salaires. Et dans un monde sans frontières, ils n'ont pas tort. "Ils" étant "elle", notre élite, au sens large.<br /> A ce jour, les prix des courses du quotidien s'emballent et les milieux populaires trinquent.<br /> L'inflation réduit le coût de la dette ... Mais l'inflation reste indigeste pour le plus grand nombre.<br /> Combattre l'inflation au nom du pouvoir d'achat des plus modestes sera avancé.<br /> Mais à tort.<br /> Et à tort, cette action pourrait être accepté par le plus grand nombre.<br /> Signé A2
Répondre
Y
Ce n'est pas une question de libéralisme. On a simplement affaire à des intérêts de classe sans vouloir faire trop de marxisme. Les classes dominantes retournent toujours les idéologies dans le sens de leurs intérêts. Et effectivement la seule inflation dangereuse pour elles c'est celle qui peut leur faire perdre du pouvoir d'achat le reste elles s'en fichent.