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17 août 2023 4 17 /08 /août /2023 16:37

 

 

Des élections ont lieu en ce moment chez nos amis argentins. Et c'est apparemment un candidat ultralibéral qui arrive en tête, ce qui est très inquiétant pour ce pays dont l'économie est déjà dans une situation extrêmement difficile. Ce pays traverse depuis plusieurs décennies de grosses difficultés et des crises à répétition. L'on pourrait y voir les effets d'un certain retard de développement si l'on oublie que pendant longtemps l'Argentine fut un pays prospère et même très riche . Au début du vingtième siècle, l'Argentine n'avait pas un niveau de vie plus bas que celui de la France. L'échec argentin c'est un peu l'exemple même de l'échec des pays latins d'Amérique du Sud qui sont pourtant des pays qui ont théoriquement tout pour réussir. On reviendra sur l'origine potentielle de ces problèmes en regardant avec l'aide des analystes d'Emmanuel Todd sur les structures familiales. Pour en revenir à ce pays, la première chose qui frappe à l'heure actuelle c'est l'hyperinflation. Cependant comme nous allons le voir l'image extrêmement négative que l'on peut avoir sur ce pays d'un point de vue économique est loin d'être aussi évidente en réalité. Une bonne part de cette image est surtout le fruit de notre ignorance et de la déformation produit par les médias français comme dans bon nombre de secteurs.

 

 

En effet, l'inflation en Argentine atteint des niveaux extrêmement élevés de plus de 100% d'après les estimations de certains experts. Cependant, il faut prendre avec des pincettes les arguments des économistes néolibéraux qui pullulent dans les médias et sur le net. Car si l'on fait le bilan de ces 20 dernières années, il est largement positif. Rappelons que dans les années 90, les élites d'Argentine avaient eu la riche idée de coller la valeur du peso argentin à celui du dollar. Effectivement, cela limitait l'inflation en permettant de réduire le coût des importations et cela a facilité l'investissement étranger, mais dans le même temps cela a fortement nui à la production locale. Cette surévaluation monétaire, tout à fait comparable à ce que la France subit depuis l'euro, a mis l'économie argentine en déficit commercial permanent. Le résultat fut la crise de 1998-99 qui entraîna un effondrement de la monnaie et une fuite des capitaux. L'Argentine nous montre ce qu'une erreur sur le plan monétaire peut produire comme catastrophe, c'est à méditer pour l'avenir français et l'euro.

 

Quoiqu'il en soit après cela, les élites locales sont revenues à la raison et ont également favorisé les productions locales. Je viens de remarquer au passage que la page Wikipédia ne donne que l'avis d'Eric Leboucher économiste ultralibéral qui se trompe fréquemment et dont la seule solution à tout problème économique est toujours la privatisation et la suppression de l'état. Le fait est que l'Argentine si elle a effectivement une forte inflation surtout ces cinq dernières années n'en demeure pas moins un pays dynamique nettement plus que la France. Le taux de chômage est 6,8% alors que le pays connaît encore une importante croissance démographique. Je rappelle que l'Argentine est un des rares pays au monde à avoir passé sa transition démographique et avoir encore un niveau de natalité raisonnable à 1,91 enfant par femme, mais ce taux était encore à 2,3 en 2015. Ce qui fait que la population s’accroît encore naturellement de 0,9% par an. Il faut souligner qu'il est nécessaire de créer plus un emploi pour maintenir le taux de chômage ou le réduire que dans un pays dont la population stagne ou décroît. C'est un facteur extrêmement important à prendre en compte quand on parle de ce genre de chose, mais c'est souvent ignoré par nos médias ou nos économistes mainstream qui préfèrent coller des bons ou mauvais points en fonction d'un ou deux paramètres maximum.

 

Balance commerciale de l'Argentine

Si l'on regarde au niveau de la balance commerciale, l'Argentine va bien, elle a même un excédent malgré son importante inflation. La situation du peso argentin est à mettre sur le dos de la fuite de capitaux. En effet, les possesseurs de capitaux n'aiment pas l'inflation et vont donc préférer investir à l'étranger plutôt que dans le pays. La question du contrôle des changes devrait donc sérieusement se poser à ce pays. Si l'on regarde du point de vue des inégalités, les réductions sont très importance depuis 20 ans. La part des 10% les plus riches s'est rétractée alors que celle des 10% les plus pauvres a augmenté au niveau d'avant la crise de 2001. Voir l'Argentine comme un échec est donc une vision de bourgeois et de rentier des grandes villes. Il ne faut jamais oublier que le point de vue qui prédomine dans les médias est essentiellement celui des riches, des rentiers et des hauts revenus. Et il est clair que ces couches sociales n'ont aucun intérêt à valoriser un modèle économique qui a mis leur puissance financière en déclin pendant presque deux décennies.

 

En un sens, la montée d'un ultralibéral est la conséquence de cette lutte des classes. En survalorisant l'importance de l'inflation et en négligeant tout le reste, la croissance économique, les inégalités, la balance commerciale positive, ils donnent à la situation argentine une image catastrophique alors que la réalité est tout autre. C'est un peu le macronisme inversé. En France tout va très mal, mais comme la politique économique est très favorable aux rentiers, elle est présentée comme formidable pour le pays. L'inflation semble être un mécanisme nécessaire aux sociétés fortement individualistes comme l'Argentine ou la France. En son absence les inégalités explosent et la société dysfonctionne en concentrant trop fortement le capital. L'inflation joue le rôle d'un lubrifiant social en quelque sorte favorisant la circulation des richesses au sein de la société. Des pays moins individualistes peuvent probablement vivre avec une faible inflation, mais ce n'est pas le cas de la France et encore moins de l'Argentine.

 

La similitude franco-argentine

 

Le lien que l'on pourrait faire entre la situation argentine et la situation française tient à la faible appétence nationale des élites économiques. La France partage avec une large partie de l'Amérique latine le fait d'avoir une élite économique peu patriote quand elle n'est pas carrément antinationale comme le parti actuellement au pouvoir en France. Cette similitude entraîne des effets macroéconomiques importants. Dès qu'elles en ont l'occasion, les élites de ces pays font fructifier leur argent à l'étranger et consommeront des produits importés plutôt que des produits nationaux. L'origine de ce comportement est probablement à mettre sur la similitude des structures familiales chères à Emmanuel Todd. L'argentine, tout comme l'essentielle de la zone sud-américaine, a une structure de famille de type nucléaire égalitaire, la même qui domine en France dans le bassin parisien. La différence c'est que contrairement à la France, les pays d'Amérique latine n'ont pas une large population avec des systèmes familiaux plus complexes comme les familles souches. La famille souche ayant probablement beaucoup joué dans la possibilité d'organisation état en France par son amour de l'autorité et de la hiérarchie. Cependant comme le souligne Todd dans ses derniers travaux, les structures familiales minoritaires en France sont en déclin.

 

La carte des structures familliales selon Emmanuel Todd

 

On peut donc imaginer que la France dans quelques décennies finira par ressembler aux nations d’Amérique du Sud fortement instables avec des affrontements de classe assez violents. Le retour d'ultralibéraux en Argentine montre un retour de l'intérêt des classes supérieures au pouvoir. Il y aura sans doute une politique violente de réduction des dépenses de l'état et de lutte contre l'inflation. Le pays aura probablement une nouvelle phase de réduction de l'inflation suivie d'une hausse du chômage et des inégalités. Ce qui semble caractériser les sociétés nucléaires égalitaires, c'est l'absence de solidarité du haut en bas de l'échelle économique. Si cette structure familiale est censée défendre une certaine vision égalitaire de l'homme, ce même imaginaire égalitaire empêche ses membres d'imaginer une politique vraiment nationale. Les sociétés comme la France ou l'Argentine semblent plus susceptibles que d'autres d'imaginer leur propre dissolution dans un monde global fait d'individus sans appartenance. Malheureusement pour elle ce n'est absolument pas la vision sociale des sociétés aux structures familiales plus complexes et inégalitaires.

 

 

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commentaires

R
Très intéressant, merci. Mais putain, c'est quand même assez délirant que le peuple argentin puisse voter pour un furieux pareil. 😳. Si il gagne, les pauvre et les classes moyennes vont en prendre plein la gueule et aux dernieres nouvelle, ces populations sont ultramajoritaires dans ce pays. On serait donc dans une démocratie ou les gens votent clairement contre leurs intérêts vitaux ? J'avoue que je ne comprends pas tout là...
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Y
Désolé pour le retard dans les commentaire je viens juste de voir que j'en avais. Je ne reçois pas les notifications.<br /> <br /> Sinon on est mal placé pour critiquer la qualité des candidats en Argentine honnêtement. Macron est moins délirant dans ses propos en apparence, mais ses politiques par contre... Après il faut peut-être y voir aussi les effets des médias. Je ne connais pas bien ce pays à dire vrai. Je parle ici uniquement en me fiant aux statistiques officielles. Il faudrait l'avis de gens qui connaissent bien le système médiatique et politique local. Après comme en France les gens semble assez égoïstes et à courte vue. Le libéralisme libertaire est très fort dans les pays à famille nucléaire égalitaire même si cela conduit au suicide du pays et de la population.
D
Le pouvoir actuel est victime de l'inflation. Comme en France les soutiens des rentiers n'ont aucun mal à convaincre la population que l'inflation est un probleme prioritaire.
D
Peux-tu expliquer, s'il te plaît, la description du déclin des systèmes familiaux minoritaires par Todd? Le différentiel de taux de natalité entre le bassin parisien, le sud-ouest et les régions centristes?
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D
Merci à Yann.
Y
En fait c'est simple pour Todd ils se font assimiler. En gros petit à petit les valeurs des régions périphériques déclinent au profit des valeurs du centre. Cela ne veut pas dire qu'elles ont totalement disparu, mais elles s'affaiblissent petit à petit. Après tout ce n'est pas si surprenant étant donné le centralisme français, en particulier en matière d'éducation. Les langues régionales ont en grande partie disparu, le déclin des valeurs des familles minoritaires suivent le même chemin même si c'est beaucoup plus lent. Après la natalité joue aussi, c'est vrai que les régions souches font moins d'enfants.