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19 février 2024 1 19 /02 /février /2024 15:43

 

L'économie du Brésil

 

Nous avons vu dans la première partie que le Brésil était démographiquement dans les conditions idéal pour connaître un décollage économique. Le passage d'une société à forte fécondité et basse mortalité infantile à celui d'une faible natalité passe par un pic de la population active en proportion de la population totale. C'est ce phénomène de transition qui explique en partie le décollage de plusieurs régions du monde y compris la nôtre dans les années 50-70. Moins de bouches à nourrir et plus de travailleurs disponibles produisent une accumulation du capital beaucoup plus facile. Cela a facilité également la hausse du niveau scolaire global de la population parce que les familles ayant en charge moins d'enfants peuvent investir plus d'argent par tête dans l'éducation de ces derniers. Ce raisonnement poussé à l'extrême explique d'ailleurs sans doute en partie l'effondrement des naissances en Asie en particulier. Les parents cherchant l'excellence préfèrent n'avoir qu'un enfant et tout donner pour qu'il réussisse. Produisant à la fois d'excellents élèves, mais aussi de grands dépressifs à cause de la pression parentale qui s'exerce sur eux.

 

Nous allons donc commencer cette partie consacrée à l'économie par l'évolution de l'instruction au Brésil. Car l'éducation est l'autre facteur du développement humain. Pour se développer, on a besoin de techniciens, d'ouvrier spécialisé et d'ingénieurs, chose qu'on a un peu oubliée en France ou aux USA. Si l'on regarde le niveau d'alphabétisation, le Brésil revient de loin. Les pays d'Amérique du Sud étaient la partie de l'occident la plus en retard sur ce plan. Je dis d'occident parce que je considère ces régions comme culturellement occidentales. Ce sont après tout des pays peuplés en grande partie de descendants d'Européens et dont la matrice culturelle et linguistique est hispanique et lusitanienne. L'occident à mes yeux n'est pas une question de niveau de développement ou d'appartenance à l'Empire américain dont on peut en réalité se demander s'il est encore occidental avec ses évolutions culturelles de ces dernières décennies. De fait, ce retard est visible au Brésil, en 1960 seulement 60% de la population savait lire et écrire à une époque où l'Europe et les USA étaient déjà proches des 100% et avait entamé une massification de l'enseignement supérieur. Aujourd'hui, le taux est de 92%, ce qui signifie près de 100% dans la jeune population. Ce sont les personnes âgées des générations précédentes qui pèsent sur la moyenne nationale. Le pays a donc les qualités éducatives de base pour décoller sur le plan industriel.

 

 

Sur le plan de l'enseignement supérieur, les chiffres sont très intéressants. Le pays connaît un boom de l'enseignement supérieur. En 2020 il y avait près de neuf millions de jeunes faisant des études supérieures sur un peu plus de 16 millions en âge de faire des études supérieures. C'est un très bon taux d'étudiant. Plus intéressants encore, les jeunes Brésiliens semblent pour beaucoup se destiner aux sciences. Sur le tableau suivant qui vient du site campusfrance.org on peut voir l'attrait pour les sciences qui attirent 21% des jeunes. C'est d'autant plus correct que les sciences dures sont séparées de l'informatique et l’ingénierie, qui elles font carrément 34,6%. Cela veut dire que la moitié des jeunes qui font des études supérieures au Brésil se destinent aux sciences en général et seront donc potentiellement employable par l'industrie dans l'avenir. On est très loin des chiffres calamiteux français. Alors le tableau représente le choix des étudiants boursiers, mais il n'y a pas de raison de penser que le choix des autres étudiants soit très différent sur le plan statistique. Cela signifie une vraie dynamique sur le plan éducatif dans un pays extrêmement peuplé. On a donc un pays encore jeune dont les actifs sont très nombreux par rapport aux inactifs et qui en plus voit sa jeunesse augmenter rapidement en niveau de formation et qui s'oriente vers le cœur du dynamisme économique les sciences et techniques.

 

On comprend dès lors mieux pourquoi le Brésil décolle aujourd'hui alors qu'il avait jusque là échoué. Ce n'est pas le fruit du hasard ou l'action d'un homme providentiel, mais bien le fruit d’une évolution sociodémographique à long terme. En réalité dans ces conditions, même une mauvaise politique macroéconomique ne peut probablement pas arrêter la croissance et le développement. Seuls un conflit ou des décisions vraiment absurdes le pourraient, mais le Brésil a la chance de ne pas avoir Emmanuel Macron comme président. Pourtant, la croissance brésilienne n'a décollé que ces deux dernières années. On remarque une très faible et une croissance et même quelques années de récession entre 2013 et 2020. Le décollage actuel pourrait donc ne pas être durable malgré les avantages que cette nation possède. Si on parle en termes de poids économique pur, le PIB exprimé en parité de pouvoir d'achat de ce pays le classe quatrième puissance mondiale derrière la Chine, les USA, et le Japon. Pour rappel la France n'est probablement même plus dans les dix premières puissances économiques du monde. Après tout, dépends du calcul de parité, de l'inflation et d'autres facteurs. Mais il est clair que le Brésil est une véritable grande puissance qui pèse déjà.

 

 

Cependant ce pays qui a, comme on l'a vu, tout pour réussir, semble embarqué dans quelques erreurs de stratégie macroéconomique. En effet, si l'on regarde la balance commerciale du Brésil, on constate des déficits sur une longue période. Le Brésil comme la plupart des pays d'Amérique latine est sous l'influence de l'idéologie néolibérale plus ou moins directement. Le succès d'un pays a été accroché à l'idée que le libre-échange était une bonne chose. Je ne crois pas d'ailleurs que Lula qui est revenu au pouvoir ait une quelconque envie de revenir sur cette question. Il existe à l'heure actuelle des barrières protectionnistes générales au Brésil, mais elles sont moindres avec la Chine qui a des accords bilatéraux depuis 1978. Ce pays a signé divers accords de libre-échange le plus célèbre étant l'organisation du Mercosur. Mais comme on le verra ensuite c'est le commerce avec la Chine qui pose problème Il y a par ailleurs des accords de libre-échange en discussion à l'heure actuelle entre l'UE et le Mercosur auquel appartient le Brésil. Il s'agit là à mon sens du véritable problème du Brésil. L'absence d'une véritable politique industrielle a fait retomber ce pays dans sa spécialisation classique, celle de pays producteur de matières premières et de produits agricoles.

 

 

Si les USA ont cessé d'être leur principal partenaire commercial, c'est la Chine qui joue aujourd'hui ce rôle. Mais on constate un rapport quasiment colonial d'un point de vue commercial entre les deux pays. Le Brésil important énormément de bien de technologie avancé chinois. Ce qui signifie qu'il n’y a pas de développement des capacités de production locale. Un phénomène qui se voit dans la part du PIB de l'industrie qui s'est cassé la figure à partir de 2010. Et comme vous pouvez vous en douter, c'est la Chine qui représente la plus grosse part du déficit commercial brésilien. On retrouve ici un peu la même situation qu'entre l'Inde et la Chine. Le mercantilisme chinois associé à une absence de politique et de stratégie industrielle nationale favorise un échange asymétrique qui ne pourra pas durer éternellement. D'une part parce que cela casse la croissance économique du Brésil. Ensuite parce que comme on l'a vue ce pays est par ailleurs extrêmement dynamique sur le plan démographique et éducatif. Un scénario à la portugaise où le pays se laisserait mourir en faisant partir ses jeunes est pour l'instant exclu à mon avis. Le Brésil est encore jeune et on peut plutôt penser à des révoltes et des phénomènes de colère populaires face à la situation du pays.

Car même si les inégalités ont reculé, la dette extérieure est un problème qui risque à long terme de pousser le Brésil dans des situations similaires à celles de son voisin argentin. La baisse du chômage récent donne des signes d'espoir d'autant que l'emploi industriel semble donner quelques signes de remontée, mais ce dernier ne représente plus que 20% de la population active contre près de 25% en 2014. On pense souvent que la globalisation a détruit l'industrie dans les pays avancés comme la France ou les USA et c'est tout à fait vrai. Mais cela a concerné aussi bon nombre de pays dans le monde. Le Brésil en est un exemple. La chine a aspiré une grande partie de l'activité productive mondiale, y compris celle des pays en voie de développement malgré leurs faibles salaires. Dans le contexte d'un marché mondial, la spécialisation du Brésil devrait être les productions agricoles et le secteur des matières premières. Pas vraiment de quoi occuper entièrement une société dynamique sur le plan scolaire.

 

 

Dernier point sur les inégalités territoriales. Comme on l'a vue, les différentes ethnies au Brésil sont relativement séparées sur le plan spatial au nord, les métis et les noirs au sud les blancs d'origine européenne. À cela s'ajoute une forte disparité de revenu entre le nord et le sud, la richesse étant surtout dans le sud comme l'indique cette carte du développement humain au brésil. Je ne connais pas assez bien ce pays pour savoir si des tensions séparatistes peuvent poindre un jour ou l'autre, mais il y a factuellement des conditions qui pourraient y mener. Il s'agit là probablement du plus grand talon d’Achille de cette nation. Nous voyons donc que si ce pays a un immense potentiel, ce dernier risque de ne pas en profiter s'il ne change pas d'orientation macroéconomique. Le pays devrait s’atteler à développer avant tout son industrie nationale au risque de perdre quelques marchés d'exportation et de se fâcher un peu avec la Chine. L’asymétrie commerciale n'est pas une bonne chose et je ne pense pas que ce Brésil souhaite troquer la domination néfaste des USA par celle de la Chine. Si le laissez-faire continue, c'est pourtant bien ce qui risque d'arriver à terme. Ce n'est pas la première fois que les pays d’Amérique du Sud souffrent du libre-échange et d'une absence de politique industrielle. C'est d'ailleurs à cause de cette idéologie qu'ils ont pris un énorme retard sur le reste de l'occident au 19e siècle. Le problème c'est qu'une politique industrielle nécessite une projection dans le temps. Or le Brésil comme la plupart des pays d'Amérique latine est sujet à de violents phénomènes de changement politique. On le voit dans le passage entre Bolsorano et Lula. Difficile de faire une politique de continuité macroéconomique quand deux camps aussi disparates se succèdent. Pourtant il serait nécessaire par exemple que le Brésil ait une politique constante de substitution des importations industrielles par des productions locales pour monter en gamme petit à petit. Une politique qui n'est pas seulement protectionniste, mais qui passe aussi par une stratégie étatique à long terme. Il serait triste que le Brésil ne brille à l'avenir que comme fournisseur de main-d’œuvre qualifiée pour d'autres nations comme c'est malheureusement le cas aujourd'hui du pauvre Portugal.

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