Visiblement, le dernier texte critiquant la démondialisation, qui avait été posté sur le site de médiapart par une partie de dirigeants scientifiques d'ATTAC, et que j'avais moi-même critiqué ici, n'est pas passé inaperçu. Il semble avoir réveillé la fracture qui traverse aujourd'hui la gauche sur la question des solutions pratiques à mettre en œuvre face à la crise de l'euro et de la mondialisation néolibérale. Le texte en question a d'ailleurs provoqué la réponse virulente de deux de nos économistes préférés Frédéric Lordon et surtout Jacques Sapir qui, probablement à cause du titre de son dernier livre, s'est justement senti visé par le texte d'ATTAC. Il semble d'ailleurs que cette question ait fait débat pendant la réunion organisée par le M'PEP. Elle s'est déroulée ce Week-end. Celle-ci avait comme invités notamment Jacques Sapir, Frédéric Lordon, Emmanuel Todd ou encore Jacques Nikonoff le fondateur du M'PEP et ex-dirigeant d'ATTAC. Je vous invite à écouter les discussions qui ont eu lieu, c'est très instructif et la séance des questions dans la deuxième partie entame quelques sujets très corrosifs. De la position qu'il faut avoir vis-à-vis du FN à la question justement de la stratégie de sortie de l'Union européenne.
Partie 1: Chaque intervenant parle 10mn sur "Que faire de l'Union européenne?"
Partie 2: Séance de question-réponse
La droite, la gauche et le libéralisme
Cette affaire montre toute la tension qui existe au sein de la gauche sur cette question européenne. Les gens de gauche étant tiraillés par leur envie de résoudre les problèmes sociaux du pays, leur envie de réduire la fameuse fracture sociale qui est aujourd'hui une fracture béante. Et leur besoin d'idéalisme,et d'internationalisme qui produit chez une grande partie d'entre eux une peur de la nation, de la frontière et de la limite. Or il est clair que sans les nations et les frontières il est en pratique impossible de résoudre les problèmes actuels. Je ne dis pas bien évidemment qu'il n'existe des problèmes sur ces sujets qu'à gauche. La droite elle aussi est divisée entre sa partie libérale postnationale et sa partie plus traditionnelle et attachée aux restes de colbertisme qui ont fait la France. Je crois cependant que la droite a moins de problèmes existentiels avec la notion de frontière ce qui me pousse à penser que le déblocage sur la question du protectionnisme viendra en premier de la droite plutôt que de la gauche. En effet, si le discours libéral s'est imposé à droite et notamment dans la partie de la population de la droite qui croit en la nation, c'est avant tout parce que le libéralisme économique se présentait comme efficace pour l'économie du pays. Le libéralisme triomphant des années 70-80 était un libéralisme nationaliste si je puis dire, qui disait en quelque sorte que les nations les plus ouvertes étaient celles qui allaient croitre le plus vite. Le libéralisme de l'époque n'était pas, ou ne se présentait pas uniquement comme un moyen d'écraser les pauvres ou d'accroitre les inégalités. Il y avait derrière lui l'idée d'un plus grand dynamisme. Ce n'est pas un hasard si le FN a été regeanomaniac même si ce parti semble avoir étrangement oublié cette période de sa pensée économique.
Si le libéralisme économique a plu à la droite des affaires parce qu'il permettait d'accroitre les dividendes des actionnaires, il ne faut jamais oublier que même à droite les riches sont très minoritaires. Ceux qui vivent de leur rente ne peuvent pas vous faire gagner une élection présidentielle même en dominant tous les médias. Donc si le libéralisme a plu à l'époque à droite c'est aussi, voir même surtout, parce qu'il se présentait comme un moyen d'améliorer encore l'économie française. Il était vu comme une bonne chose pour la nation. Donc on peut dire que l'imposition du libéralisme à droite fut en quelque sorte le résultat d'une erreur. Les patriotes de droite se faisant en quelque sorte flouer par les promesses de la droite d'affaires et de son libéralisme triomphant. Avec comme apothéose l'élection de Nicolas Sarkozy élu comme quelqu'un qui allait redresser la France et son industrie et qui a finalement pour bilan la plus grande destruction d'emploi industriel que la France ait connu dans son histoire récente. Le libéralisme a affaibli la nation et quand on aime son pays on rejette les politiques qui peuvent nuire à son intérêt. Le virage actuel du Front National peut-être aussi analysé dans ce sens d'ailleurs et pas uniquement dans le sens d'une pure stratégie électorale. Encore une fois, une grande partie des gens de droite ne sont pas libéraux par nature, leur rejet de l'immigration de masse par exemple en est une preuve assez flagrante. Un vrai libéral ne peut pas être opposé à la libre circulation des personnes puisqu'il ne croit pas à l'action collective, mais uniquement à l'addition de comportements et de choix individuels qui compose le marché. La confusion de la droite et du libéralisme est donc quelque chose d'historiquement circonstanciel. La droite n'aura aucun problème moral à rejeter une politique qui n'a en fait tenu aucune de ses promesses.
À gauche c'est plus compliqué. D'abord parce qu'il faut le rappeler le libéralisme économique vient de gauche. Il s'est construit contre la société traditionnelle et s'est même fait l'ennemie à ses débuts de la rente. Adam Smith critiquait les rentiers de son époque. Ensuite, il y a une forte confusion entre le libéralisme économique et le libéralisme politique qui conduit souvent à penser que l'on ne peut pas avoir l'un sans l'autre. La liberté individuelle s'est construite contre le conservatisme et la droite. Le libéralisme fait donc partie intégrante du logiciel intellectuel de la gauche. Il y a d'ailleurs une certaine contradiction entre le fait de mettre l'individu au dessous de tout sur les questions sociétales, les mœurs, et en même temps s'offusquer des mêmes libertés lorsqu'elles sont dans le champ économique. Il y a là une vraie contradiction entre la gauche qui rêve d'un ordre économique non individualiste, ou socialiste et la même gauche qui porte son attachement aux choix purement individuels sur le plan sociétale. On s'inquiète des choix individuels lorsqu'ils mettent en péril l'organisation économique, mais l'on se fiche des actions individuelles lorsqu'elles mettent en danger les structures familiales ou l'éducation des enfants. Au final si la gauche s'est fait dévorer par le libéralisme c'est peut-être aussi parce qu'il ne pouvait pas en être autrement. Le libéralisme des mœurs de gauche ne pouvant in fine que se traduire sur le plan économique que par un libéralisme débridé. Enfin, la gauche est naturellement portée à l'universalisme tout comme l'est le libéralisme. Si la gauche a facilement accepté le libéralisme, c'était avant tout pour ses promesses d'un monde sans frontière qu'il partage avec son cousin communiste. Vouloir rompre à gauche avec cette notion d'universalisme sera autrement plus difficile que d'imposer l'idée à droite que le libéralisme est économiquement néfaste pour la nation. D'ailleurs à gauche lorsque vous dites que le libre-échange est mauvais pour les salariés français on vous rétorque systématiquement que c'est quand même bon pour les Chinois. Un certain François Hollande peut être futur remplaçant de DSK répétant à satiété ce message. Comme si cela compensait le malheur des ouvriers français.
Et l'Europe
Ces problèmes se retrouvent sur la question de l'Europe qui ne fait que reprendre les problématiques que j'ai énoncé précédemment. Dire à gauche qu'il faut sortir de l'Europe pour protéger les salariés français s'oppose à l'idée universaliste que les gens de gauche dans leur majorité croient être une défense plus efficace à l'échelle du monde. Alors il s'agit probablement d'un universalisme mal compris en ce sens que défendre le salarié français par exemple en mettant des protections face à la Chine pourrait obliger cette dernière à augmenter ses salaires chez elle. Ce qui au final serait bon pour le travailleur chinois. Mais la majorité des gens de gauche ne le voit pas ainsi, du moins pas encore. Ce qui compte c'est le réflexe pavlovien qui dit que frontière, égal nationalisme, égal rejet de l'autre. Il sera bien difficile et bien long de faire changer ces idées reçues. Donc quand on dit on va sortir de l'euro ou de l'Europe, l'homme de gauche moyen entend, on va faire du nationalisme, on va exporter nos problèmes chez les autres, alors que c'est en fait l'inverse. À droite par contre on peut s'appuyer justement sur le réflexe nationaliste pour rejeter l'Europe dans l'intérêt de la nation, même si notre but n'est pas uniquement national. C'est paradoxal en fait, la population de droite est plus à même d'améliorer par ses réflexes pavloviens le sort des plus faibles que la gauche dont c'est pourtant la justification existentielle.