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4 janvier 2023 3 04 /01 /janvier /2023 22:09

 

Alors que le brouhaha des fêtes commençait à s'estomper le premier janvier dernier j'ai dû rechercher en urgence une équipe médicale pour ma mère se retrouvant en insuffisance respiratoire à cause d'une infection bactérienne. Elle avait trop attendu pensant bêtement qu'à son âge assez avancé cela guérirait tout seul. Il n'en a malheureusement rien été. C'est donc le premier janvier dernier que je fus confronté à ce que bon nombre de nos compatriotes malchanceux connaissent régulièrement, l'affaissement de notre système de santé jadis pourtant exceptionnel. Je m'attendais bien évidemment à des difficultés non seulement parce qu'il était 21h, mais surtout parce que ma mère avait eu la bonne idée d'attendre le premier janvier pour tomber sous les coups de son infection . Cependant, nous habitons une grande ville plutôt bien lotie en matière médicale dans le sud de la France. Et bien malgré cela j’eus le plus grand mal à contacter les secours. Au bas mot, il fallut près de trois heures pour que les pompiers puissent enfin venir chercher ma mère. Ballotté entre les services d'urgence, tous surchargés, il fallut longtemps pour ne serait-ce qu'avoir une réponse au téléphone.

 

SAMU, pompier, SOS médecin et finalement à nouveau les pompiers, tels furent les appels incessants que j'ai faits pour obtenir enfin une aide. Il ne s'agit pas ici de critiquer le personnel médical, en aucun cas. Je sais très bien dans quelle situation ils sont, mais surtout de souligner la gravité de l'état de nos hôpitaux. Car comme je l'ai dit précisément j'ai la chance d'habiter dans une ville avantagée dans ce domaine. Je n'ose imaginer la situation dans des communes de la Creuse ou de l’Ardèche. Les pompiers arrivèrent donc vers minuit, je suis monté avec eux pour accompagner ma mère sans connaissance . Les pompiers très sympathiques et rassurants au demeurant me le déconseillèrent, car faute d'avoir beaucoup de place en urgence, il faudrait attendre très longtemps avant que ma mère soit pleinement prise en charge et que les diagnostics peuvent être assez longs. Et passer la nuit en salle d'attente n'est guère agréable, mais pour une fois ma raison fit place à mes émotions et je ne pouvais me convaincre de rester à la maison pendant que ma mère souffrait de sa condition, seule à l’hôpital.

 

Je décidais donc d'accompagner quand même les pompiers . Je constatais déjà les problèmes. Le brancard instable, la bouteille d'oxygène que le pompier devait tenir parce que le loquet qui le maintenait été cassé. Le jeune pompier rigola en soulignant qu'ils avaient quand même le chauffage dans le camion contrairement à nos lycées. Arrivé à l’hôpital, je remplis la traditionnelle paperasse. Ce fut assez rapide, ma mère ayant déjà un dossier chez eux. C'est malheureusement une ancienne patiente subissant les effets à long terme de sa mauvaise habitude de fumeuse. Même si elle a arrêté il y a plus de treize ans les séquelles de la cigarette sont toujours là malheureusement. On ne rappellera jamais assez à quel point la cigarette, c'est de la merde. Après avoir appelé le reste de ma famille pour les prévenir, je m'assis donc en salle d'attente pour une longue, très longue durée. Ne pouvant guère dormir j'écoutais les personnes autour de moi . La plus ou moins grande gravité des conditions de leurs proches se lisait sur leur visage souvent fatigué, parfois horrifié et rougi par les larmes. Nulle part ailleurs qu'en ces lieux la condition humaine n'est autant à nue . La peur, l'angoisse, mais aussi parfois la joie, apparaît aussi fugacement qu'un éclair dans le ciel . On passe des joies aux larmes avec une telle rapidité que l'on pourrait croire l'être humain totalement lunatique par nature si l'on avait que ce petit observatoire pour le comprendre.

 

Ne pouvant rien faire pour ma mère à part attendre, je ne pouvais qu'écouter, observer et sentir les personnes autour de moi. Et c'est les problématiques de la France qui vous sautent alors aux yeux et toute l'incurie de nos dirigeants qui depuis 40 ans s’attellent à démolir le pays avec la régularité d'un métronome. Les inégalités, l'immigration, la délinquance, la démolition économiques de l’hôpital public tout vous saute aux yeux en passant simplement un peu de temps dans un espace hospitalier. Ici une jeune femme seule avec son fils de 8 ans qui demande de l'aide parce que ce dernier s'est coupé le pied avec un tesson de verre. Visiblement une femme qui fait partie des précaires mères isolées, elle est à peine habillée tenant son fils dans les bras sans personne avec elle.

 

À l'inverse je croise un couple de personnes d'un certain âge avec leur fils. Visiblement des personnes issues d'un milieu assez aisé si je me fie à leur vêtement et à leur manière de parler. En ce Nouvel An ils viennent d'amener leur fille qui s'est évanouie. Le médecin leur parle à voix haute et leur dit qu'elle a été visiblement droguée à son insu en soirée . Les parents s'inquiètent de son état et du fait qu'elle a peut-être été agressée sexuellement. L'on voit souvent ce genre d'affaires à la télévision, mais honnêtement j'ai été surpris d'y être confronté, soulignant ainsi qu'il ne s'agit malheureusement pas de cas si rares que cela dans la France actuelle. Mais la réaction du couple assez agressive vis-à-vis du médecin me fit en même temps bondir. Ces derniers voulaient absolument que leur fille soit mise dans une clinique privée . Le médecin avait beau leur dire que certains soins et analyses ne pouvaient se faire que dans le CHU, ils n'en démordaient pas avec toute la certitude de leur origine sociale. Montrant par là le mépris qu'ils avaient envers l’hôpital public même s'ils essayaient d'y mettre les formes. Cette petite dispute autour d'un drame affreux est finalement assez symptomatique de notre pays et de la fragmentation sociale qui le frappe. Une telle scène n'aurait jamais existé il y a seulement 20 ans.

 

De l'autre côté assis à côté de moi une bande de jeunes étudiants jouant aux cartes à 2h du matin. On ne leur en voudra pas, le lieu rend le sommeil improbable. Ils attendaient leur ami atteint d'une infection mineure d'un testicule, l'affaire leur semblait drôle, à 20 ans on ne s'inquiète généralement pas trop pour sa santé. Plus loin une famille gitane assez bruyante et nombreuse attendait l'un de ses proches visiblement atteints d'une intoxication alimentaire. Cas banal lors d'une soirée du Nouvel An . Dans les passages des médecins, entre deux ouvertures de portes, l'on pouvait voir rapidement les patients allongés sur les brancards, attendant péniblement qu'on les prenne en charge suivant leur état. Quand la porte automatique se fermait toute la vétusté du lieu, vous sautez aux yeux. Tout à bord, la porte elle-même se bloquait régulièrement, elle faisait un bruit horrible à la limite d'un poulet qu'on égorge. L'on pouvait apercevoir par-ci par-là quelques prises électriques dénudées , des fissures dans les murs . Dans la salle d'attente, l'on pouvait admirer des vitres brisées rafistolées avec quelques bricoles. Et du personnelle passant d'un couloir à l'autre sans arrêt, certain marchant probablement au radar le teint blafard entre deux tasses de café pour tenir le coup en cette longue nuit. Heureusement la nuit était relativement clémente en termes de température, car le chauffage en salle d'attente semblait aux abonnés absent, prend ça Poutine.

 

Plus tard vers 6h du matin je pus enfin avoir des nouvelles de ma mère. Elle était maintenant sous respirateur . La médecin fut surprise de me voir, elle m'avait contacté par téléphone. Elle était visiblement exténuée comme une grande partie de son personnel. Elle a essayé de me rassurer sans trop y arriver, je dois bien vous le dire. Ma mère fut envoyée en salle de réanimation faute d'une respiration suffisante à cause de son infection bactérienne. Depuis trois jours donc je me rends régulièrement à l’hôpital. Parlant rapidement avec le personnel l'on se rend compte des multiples problèmes. Si nous sommes dans un CHU, on voit bien que bon nombre d'étudiants en médecine sont utilisés pour pallier au manque de médecins attitrés. Bien évidemment ces étudiants sont souvent très sérieux, mais ils n'ont pas encore fini leurs études. C'est avant tout le manque de personnel expérimenté qui frappe. En parlant à l'une des infirmières s'occupant de ma mère, j’apprends rapidement que la dernière grippe, que votre hôte a eu le malheur d'avoir d'ailleurs, a fait bien des dégâts. À son échelle, l'infirmière me dit que la grippe de cette année a été plus virulente qu'en 2017, année pourtant noire d'après les statistiques. Elle me dit aussi que l'un des gros effets pervers du COVID est que bien des gens retardent leurs soins et hésitent à aller à l’hôpital avant qu'il ne soit trop tard. On peut faire des hypothèses sur un tel comportement . La peur du virus qui a été essaimé par les médias, l'état de l’hôpital lui-même qui inquiète les Français. Ces derniers ayant peur de surcharger les urgences retarderaient au maximum les appels, mais ce faisant ils ne font qu'aggraver leur état et accroître encore plus à terme l'engorgement des urgences. Qu'il ne faille pas aller aux urgences pour un simple rhum est une chose, qu’on laisse une pathologie anormale s'installer en est une autre.

 

Le manque de médecin est aujourd'hui criant en France, mais l'affaire n'est pas nouvelle. Le problème vient de loin et l'absurdité d'un numerus clausus trop bas est dénoncée depuis des décennies par de nombreux médecins. Il était complètement absurde de réduire le nombre de médecins par habitant alors même que l'on savait pertinemment que la population allait en plus vieillir. Comme dans le cas de l'énergie, le manque de prévoyance dans le domaine est absolument fascinant. Cela fait 30 ans au moins que l'on sait que le manque de médecin se produirait aujourd’hui et pourtant rien n'a été fait pour endiguer le phénomène. Et voilà que la seule solution trouvée par nos shadok du libéralisme est de faire venir des médecins immigrés. Comme si le reste de la planète avait des médecins à revendre à l'infini pour compenser les insuffisances du système de formation français et les imbécillités de quelques hauts fonctionnaires qui ont pris au sérieux les âneries néolibérales.

 

 

Ajoutons au problème du numerus clausus trop bas pendant trop longtemps, la problématique de la féminisation du personnel médical. C'est un professeur de médecine bientôt à la retraite qui m'a souligné le problème. S'il est tout à fait normal que les femmes deviennent médecins, elles y excellent d'ailleurs, on assiste à une féminisation massive de la profession. À terme, elles devaient représenter 60% des médecins suivant les projections démographiques. Les femmes semblent plus attirées par les études de médecine que par d'autres secteurs. S'il n'y a aucun problème sur le plan technique et scientifique à ce phénomène, il engendre cependant une pression supplémentaire sur le manque de médecin. Parce qu'il faut gérer les absences familiales. Les femmes médecins ont bien sûr le droit d'avoir une famille et des enfants, mais lorsqu'elles sont enceintes et ont des enfants en bas âges elles doivent choisir momentanément entre leur vie familiale et leur travail souvent difficile et prenant chronologiquement parlant. Dans un système médical qui manque cruellement de médecins, cela aggrave fortement les pénuries . Il s'agit là encore d'un point de détail que nos dirigeants shadok n'avaient pas prévu lorsqu'ils ont artificiellement diminué le numerus clausus.

 

 

Il est clair maintenant pour l’hôpital comme pour l'éducation et l'ensemble des services public, il y a eu une volonté de destruction totale. Le but est la privatisation avec tous les effets délétères que cela aurait pour la santé générale du pays. Le dogme libéral a fait un travail de sape discret, mais régulier depuis trente ans et la France n'est pas la seule à en payer le prix. Aux USA l’espérance de vie diminue rapidement et pas seulement à cause des effets de l'augmentation des drogues . Bon nombre de personnes n'ont pas accès aux soins qui sont extrêmement chers. L'on ne compte plus le nombre de cas de personnes faisant faillite à cause d'accidents de la vie comme les cancers. Et s'il est incroyablement nul, le système de santé américain est aussi incroyablement cher, encore un paradoxe néolibéral. Le mythe de la concurrence qui améliore un système et qui serait plus efficace doit être abandonné. Il faut penser les problèmes non à partir d'une idée reçue sur un prétendu mécanisme économique magique qui résoudrait tous les problèmes comme par magie, mais par l'observation des faits et du fonctionnement pratique de nos institutions. Le principal problème de la France aujourd'hui c'est appliquer bêtement des recettes inventées par des idéologues qu'ils soient libéraux, ou autres, sans jamais regarder réellement ce qui se passe. C'est vrai autant pour la santé que pour le reste de nos institutions en souffrance. Loin d'améliorer les choses, les idées libérales les aggravent parce qu'elles ne sont fondées sur rien d'autre que des a priori. Heureusement que les médecins et les scientifiques ne font pas de même lorsqu'ils essaient de traiter un problème.

 

PS: Vous m'excuserez, ce texte a été fait dans un contexte personnel particulier. Mais je pense que donner un point de vue observationnel de la situation des hôpitaux français pourrait intéresser les lecteurs. À l'heure actuelle ma mère est toujours en réanimation, je suis très inquiet même si son état est stable. J'essaierai de continuer à écrire quand même . Pour tous vous dire, cela me déstresse un peu de le faire.

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commentaires

D
Je souhaite d'abord bon retablissement à votre mère et de garder de l'optimisme pour cette periode d'hospitalisation.<br /> Des fois, je me demandes si la France n'aurait pas besoin d'un nouveau Robespierre.<br /> Mr Macron prefere donner 1 milliard à des cabinets de conseils dont on a aucune information sur la teneur du travail. Pendant que les pompiers doivent rouler en retenant à la main les pieces de leur vehicule.<br /> Comment cela pourrait se passer autrement ? Si les français ne s'occupent pas des affaires de leur pays ils seront spoliés par tout un tas de minorités influentes...<br /> Le vrai changement arrivera peut être quand la dette sera inremboursable et que les copains et clients des politiciens ne pourront plus piller les ressources de l'Etat.
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P
Bonjour Yann , <br /> ravi de ton retour et j'espère que ta mère se rétablira au plus vite.<br /> J'ai aussi pu constater le délitement de notre système hospitaliser ,que ce soit aux Urgences ou autres...<br /> Pendant des années j'ai écouté Pelloux tirer la sonnette d'alarme ,mais c'est seulement quand on attend 8h dans la salle d'attente d'un service ophtalmologique qui ressemble à une véritable cour des Miracles qu'on comprend l'étendue de la catastrophe...<br /> <br /> Pendant la grève des généralistes j'ai entendu une porte parole qui expliquait que le numerus clausus ,en réalité , était un problème appartenant au passé.Le souci que rencontrent aussi bien la médecine publique que libérale est la fuite des talents !<br /> Les uns abandonnent dégoutés par la dégradation des conditions de travail et de rémunération , les autres vont cachetonner en devenant contractuels ,volant de patients en patients et d'hopitaux en d'hopitaux ...le phénomène touche aussi bien les docteurs que les soignants selon elle.
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Y
Salutation. <br /> Oui quand on y est confronté, on s'aperçoit de l'ampleur du problème. Je l'avais déjà vu l'année dernière en allant de me faire soigner suite à la morsure d'un chien qui m'avait attaqué lors de mon footing matinal un 11 novembre ... Des heures d'attente et un personnel débordé. <br /> <br /> Pour le numerus clausus ce n'est pas du tout du passé, car les médecins qui n'ont pas été formés en nombre suffisant de 1980 au début des années 2000 ne sont tout simplement pas là pour compenser ceux qui partent à la retraite. Qui plus est le numerus clausus est encore insuffisant à l'heure actuelle . Mais je crois que certains médecins (pas tous) aiment bien ce rapport de force qui assure leur rareté. <br /> <br /> De toute façon, il s'agit d'une collection de problèmes produits par une logique purement comptable de la gestion de la santé. Et ce n'est pas vrai que dans ce domaine. Notre pauvre éducation nationale est dans un état encore plus grave en un sens même si là les dégâts nous touchent de façon moins forte.