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9 juin 2023 5 09 /06 /juin /2023 11:43

 

S'il y a bien une question qui joue un rôle majeur pour différencier la vision économique keynésienne de la vision classique ou néoclassique qui nous dirige depuis les années 70 c'est bien celle de l'investissement. Je vais faire un petit rappel ici de cette différence très importante. Car elle conditionne en réalité une grande partie des politiques publiques et des obsessions erronées de ce qui se prétend être l'élite française. En effet, depuis les années 70, et contrairement au discours grotesque sur le prétendu socialisme du modèle français , c'est bien la vision néoclassique qui s'est imposée en France. L'échec patent de ce modèle pousse ses défenseurs à en nier l'existence pour éviter d'avoir à argumenter justement sur les origines de cet échec qui ont entraîné le pays dans un déclin inconnu depuis des siècles. Un peu comme le communisme dans les années 80, les néolibéraux vous expliquent que ce n'est pas leur théorie qui est fausse, mais simplement qu'on ne l'a pas assez appliqué quand ils en nient même l'application depuis les années 70 . Pourtant la France a bien coché toutes les cases du bon petit élève du libéralisme avec la suppression des frontières pour le commerce, les capitaux et même les personnes. La France a bien dérégulé son économie et mis l'état sous la coupe des marchés financiers en l'obligeant à emprunter sur ces derniers à la place de la banque de France. Tous ces facteurs macroéconomiques sont le cœur du néolibéralisme, car ils conditionnent tout le reste en fait.

 

Et non la France n'est pas un pays socialiste, communiste ou keynésien, les imbéciles que nous affrontons confondant au passage toutes ces écoles de pensé, qui sont pourtant souvent incompatibles, quand elles ne sont pas franchement opposées. Keynes a été l'un des premiers intellectuels à décrire le communisme en Russie comme un phénomène religieux et ils disaient de Marx qu'il n'avait rien découvert de réellement original avec ses textes. Les mettre dans le même panier relève donc une inconnaissance pure. Quant à la lubie libérale qui consiste à mettre en parallèle les dépenses de l'état et le soi-disant socialisme français, c'est oublier un peu vite que le premier poste de dépense de l'état est dans le soutien aux entreprises. L'état néolibéral est un état qui n'est pas maigre comme dans le libéralisme classique ou pire les thèses grotesques des libertariens qui pullulent un peu trop sur les réseaux sociaux français à mes yeux. L'état néolibéral est un état qui lève des impôts pour alimenter les intérêts privés et soutenir les couches sociales aisées. Et c'est très clairement ce qui ressort de la situation macroéconomique française. Cette obésité étatique n'a pas forcément été voulue par les néolibéraux, mais elle est en quelque sorte la conséquence de leurs dogmes. En effet en dérégulant l'économie, vous détruisez des facteurs de production et des usines. Vous cassez donc la base salariale du pays et la demande qui est adressée aux entreprises. Suivant les thèses libérales au bout d'un moment, le marché se rééquilibre tout seul par la sainte volonté de la loi de l'offre et la demande. Mais c'est en réalité la non-élasticité des salaires qui empêche la demande de trop s'effondrer jusqu'à ce que nous soyons tous morts comme disait Keynes.

 

Lorsque le modèle libéral a cassé la demande intérieure par sa dérégulation, le taux de chômage explosa jusqu'à se stabiliser à un niveau élever, mais pas à 100% de la population heureusement. L'impossibilité de trop baisser les salaires empêche alors de libéralisme de conduire à l'effondrement total de la société. Ce sont les fameuses rigidités sociales et salariales tant décriées par les libéraux qui ont toujours empêché la grande catastrophe qui résulterait de l'application totale de leurs modèles théoriques. Alors ce modèle adepte sans le dire du « struggle for life » typiquement américain, qui est explicite chez les libertariens, s’accommode fort bien d'un fort taux de chômage. D'autant que parmi les thèses économiques erronées, celle de la courbe de Phillips et du lien théorique en inflation et chômage, tend à motiver les libéraux à vouloir un chômage élevé pour éviter l'inflation. Cependant, la faible demande entraîne une faible croissance économique. Et c'est là que le néolibéralisme remplace le libéralisme classique avec sa roue de secours étatique. Si l'on admet, que les théories libérales n'ont d'yeux que pour les intérêts des couches sociales dominantes, ce qui semble assez réaliste, l'obésité de l'état néolibéral prend un sens. Il s'agit d'un modèle dont le but est de produire uniquement une croissance économique pour le haut de la société. Le biais de l'endettement public permet ainsi de combler le modèle en colmatant les effets de l'insuffisance de la demande structurelle provoqués par le libre-échange et la libre circulation des capitaux. L'endettement est donc structurel dans ce modèle puisque c'est elle qui permet le maintien de la croissance économique. Sans cela nous serions en stagnation depuis 40 ans au moins.

 

C'est la demande qui pilote l'investissement

 

Mais au milieu des nombreuses élucubrations que l'on appelle la théorie économique libérale ou néoclassique, l'une d'elles tient un poids particulier. C'est la fameuse maxime de Jean Baptiste Say, encore un hurluberlu français, qui émit l'hypothèse ridicule que l'épargne est toujours égale à l'investissement. De cette simple hypothèse, qui est pourtant contredite par toutes les observations, la théorie néoclassique va déduire tout un tas de politiques économiques qui se révéleront particulièrement néfastes. Un exemple simple et bien connu du grand public, c'est la fameuse théorie du ruissellement très en vogue au moment du tournant néolibéral anglo-saxon avec Reagan et Thatcher au pouvoir. Une théorie encore à la mode en France chez les macronistes puisque toute la politique de Macron a consisté à dégager du revenu supplémentaire pour les classes sociales les plus aisés pour accroître l'investissement, pensait-il. Car si vous supposez que l'épargne est égale à l'investissement, alors toute politique visant à accroître l'épargne va nécessairement faire gonfler l'investissement et donc la croissance économique à terme grâce aux gains de productivités qui en résulteraient. C'est tout le fondement théorique des baisses d'impôts sur les plus riches, enfin c'est en tout cas l'excuse qu'ils en donnent et je pense que certains sont de bonne foi.

 

Évidemment ce choix politique implique de nombreuses suppositions auxquelles ses apôtres n'ont bien souvent jamais réfléchi. Tout d'abord est-ce que l'épargne est vraiment égale à l'investissement ? Comme je l'ai dit, la réponse est non et c'est bien le problème. Si l'épargne était toujours égale à l'investissement, comme le supposé Jean-Baptiste Say, il n'y aurait jamais eu de crise économique puisqu'il n'y aurait jamais eu de stockage de la valeur, de thésaurisation comme disait Keynes. Si 100% de l'épargne est toujours investi, il n'y a pas de problème d'insuffisance de la demande ou de sous-investissement. Or comme on a pu l'observer régulièrement, en particulier en 1929, ces crises existent bien et il n’y a donc pas d'égalité absolue entre l'épargne et l'investissement. La seconde hypothèse qu'implique cette politique de ruissellement est que la simple augmentation de leur revenu pousse les riches et les grandes entreprises à investisseur. C’est bien mal connaître le monde réel que de supposé ça. Et cela résume le caractère assez fantasmagorique des hypothèses qui servent de références aux théories économiques libérales.

 

Une entreprise n'investit pas parce qu'elle gagne tout d'un coup plus d'argent. Il n'y a pas d'automaticité entre le fait de gagner plus et le fait d'investir plus. L'investissement n'a comme motivation qu'une réponse à un besoin. Ce n'est que si votre carnet de commandes est plein et que vous n'arrivez pas à y répondre entièrement que vous allez investir. Il ne faut jamais oublier que le but d'une entreprise est de gagner de l'argent, pas de créer des emplois, d'investir ou de défendre l'intérêt général. C'est d'ailleurs assez drôle de voir que les libéraux bien souvent se retrouvent aveugles face aux conséquences de leurs propres hypothèses. Car c'est bien cet égoïsme naturel des acteurs économiques qui invalide le lien entre l'investissement supposé et les gains supplémentaires résultant de la politique de ruissellement. Si vous accroissez les revenus des entreprises en période de faiblesse de la demande, elles ne vont pas investir, elles vont soit se désendetter, soit thésauriser, mais elles n'auront aucune envie d'investir puisque la demande qui leur est adressée stagne ou baisse. Au mieux, elles investiront dans des machines pour réduire le besoin de main-d’œuvre et accroître encore leurs marges. Mais c'est vraiment dans le meilleur des cas. En vérité la seule chose qui pilote l'investissement c'est bien la demande comme l'avait très bien vu Keynes. Une politique de baisse d’impôt ou de charges pour les entreprises n'a donc de sens que si elle est accompagnée d'une véritable politique de relance. Et encore faut-il prendre en compte les contraintes externes. En régime de libre-échange, les entreprises préféreront importer d'ailleurs pour répondre à la demande ce qui creuse les déficits commerciaux.

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