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31 août 2023 4 31 /08 /août /2023 16:28

 

La crise actuelle des économies européennes n'est pas une crise fondamentalement conjoncturelle même si certains éléments le sont effectivement. La crise avec la Russie est par exemple conjoncturelle, elle pourrait très bien en théorie se terminer demain, même si elle peut être durable tant les tensions géopolitiques sont fortes et l'hystérie anti-russe prégnante chez nos dirigeants et surtout dans nos médias. De la même manière la crise énergétique actuelle est en grande partie le fruit de décisions stupides qui peuvent très bien être revues si les élites du continent cessent leur delirium, surtout la guerre stérile et contre-productive contre le nucléaire en Allemagne. Tout ceci reste des problèmes solubles avec un peu de sagesse et d'intelligence, ce qui ne signifie pas que nos élites actuelles en soient capables malheureusement. On voit bien l'acharnement du gouvernement français à rester dans le marché européen de l'énergie alors que la France en est largement la première victime. Les prix de l'électricité en France étant maintenant totalement déconnectés des prix de revient et de production.

 

Tous ces problèmes ne sont donc pas durables en tant que tels. Mais cela ne signifie pas pourtant que leurs résolutions entraîneraient un fort redressement des économies européennes à long terme. En effet, il y a un véritable problème de fond que vous connaissez bien si vous suivez depuis longtemps ce blog, c'est la question du libre-échange. Les théories du libre-échange qui se sont développées sous la houlette des libéraux, notamment celle de David Ricardo, sont devenues littéralement consubstantielles aux nations européennes et à l'institution européenne. Fruit de réflexions produites dans un monde archaïque où l'agriculture était encore largement l'activité économique principale de l'humanité, les thèses ricardiennes malgré leurs inanités pratiques sont encore au cœur de la « raison » économique européenne. On pourrait même dire que la construction européenne c'est d'abord et avant tout le libre-échange et le laissez-faire. Je rappellerai ici que contrairement à ce que racontent les thèses libérales c'est bien le protectionnisme qui a permis le développement industriel des pays riches actuels. Il suffit pour cela de regarder les statistiques historiques. Les USA par exemple ont eu des droits de douane de 50% en moyenne entre la fin de la guerre de Sécession et 1945. Or il s'agit de la période la plus prospère de leur histoire. La Grande-Bretagne n'est devenue libre-échangiste que lorsqu'elle a accumulé de gros avantages en matière technologique. Et l'on constate très rapidement que le libre-échange va rapidement entraîner son déclin industriel face aux puissances montantes d'alors.

 

Tableau tiré du livre de l'historien et économiste Suisse Paul Bairoch :"Mythes et paradoxes de l'histoire économique"

 

Comme l'avait très bien dit Emmanuel Todd, historiquement il y a des périodes libre-échangistes et d'autres plus protectionnistes. On peut associer ça à l'idée de Friedrich List de l'industrie dans l'enfance. Tant que vous êtes en retard techniquement, le protectionnisme vous permet de construire votre industrie en copiant les pays les plus avancés. C'était d'ailleurs surtout vrai au 19e siècle. Aujourd'hui grâce aux délocalisations, le rattrapage peut se faire encore plus rapidement. On l'a vu avec la Corée du Sud ou la Chine. Le protectionnisme dans ce cas doit surtout porter sur les transferts de technologie, en plus des installations d'activités industrielles. Là encore, la Chine a brillamment montré comment un protectionnisme bien utilisé pouvait faire accélérer considérablement la vitesse de développement d'un pays. Mais si l'on connaît les effets du protectionnisme historique sur le développement d'un pays, on connaît aussi les effets du libre-échange. Dans le cas de pays qui sont en retard, c'est fatal. Les pays qui pratiquent le libre-échange absolu en n'ayant aucune capacité industrielle ou alors des activités peu productives en regard des standards internationaux, vont se spécialiser comme producteur de produit de base, quand ils en ont. Comme disait Friedrich List, un pays qui n'a aucun avantage comparatif sur aucun produit ou service n'aura plus qu'à prostituer ses femmes et ses enfants. List n'était pas si loin que ça de la réalité, lorsqu'il a dit ça.

 

La situation actuelle de bon nombre de pays tient évidemment à ce phénomène en particulier en Afrique même si d'autres facteurs entrent en jeu comme la croissance démographique naturelle beaucoup trop rapide. Pour se développer, un pays doit construire patiemment une industrie même si cette dernière coûte plus cher et s'avère moins efficace au début que celle des autres pays et des importations. Il faut bien comprendre que la productivité et les capacités industrielles ne sont pas statiques, elles évoluent dans le temps. Et les pays en retard qui décident de se protéger, quitte à payer plus cher certains produits à court terme pour développer un embryon d'industrie, finira tôt au tard par rattraper les pays les plus avancés. J'ai déjà souvent cité cet exemple, mais la Corée du Sud dans les années 90 a préféré produire ses propres voitures au lieu d'importer du Japon. Alors que le FMI sous obédience libérale lui conseillait d'ouvrir ses frontières et de se spécialiser dans la construction navale qui était alors son point fort. Heureusement que la Corée n'a pas écouté le FMI ou des entreprises comme Hyundai ou Samsung aurait alors disparu et la prospérité qu'elles ont ensuite apportée à la Corée du Sud n'aurait jamais eu lieu.

 

Le libre-échange avec l'Asie aujourd'hui est suicidaire

 

Mais si les cas des pays en retard tués par le libre-échange et transformés en pays du tiers-monde sont connus tout comme le développement industriel produit par le libre-échange. Il existe un troisième cas, celui des pays anciennement industrialisés qui perdent petit à petit de leur prospérité à cause d'un libre-échange permanent. Il existe bien évidemment un cas historique, c'est celui de la Grande-Bretagne. Mais il est à relativiser. En effet, si les effets négatifs à long terme du libre-échange se sont fait sentir tout au long du 20e siècle qui fut celui du déclin de l'industrie anglaise. Il faut bien avoir conscience que les pays qui en ont profité ont rapidement vu leur poids et leur coût de production augmenter aussi. De sorte que si la Grande-Bretagne a perdu une partie de son industrie, elle est tout de même toujours restée un pays industriel jusqu'aux années 70.

 

La situation actuelle pour l'Europe et les USA est très différente. En effet, les rapports de force démographique sont sans commune mesure avec ce qu'a dû subir la Grande-Bretagne entre 1880 et 1970. La Chine à elle seule est plus peuplée que l'ensemble de l'occident tout entier et derrière il y a l'Asie du Sud et du Sud-est sans parler de l'Inde et demain peut-être l'Afrique. Il s'agit d'une masse humaine colossale qui bénéficie désormais d'un nouveau d'instruction de plus en plus comparable à l'occident et qui est beaucoup plus jeune et dynamique. Les thèses du libre-échange ne prennent absolument pas en compte les évolutions de la productivité. Ce sont des thèses imaginées pour un monde statique dans lequel les avantages comparatifs sont immuables. Mais dans le monde réel, il n'en est rien comme dans l'exemple coréen. Les pays moins avancés rattrapent inéluctablement les pays les plus avancés qui se retrouvent alors dépourvus perdant sur le plan commercial tout ce qui leur permettait de subvenir jusqu'alors à leurs besoins. Et cela se traduit par une dégradation continue de la balance commerciale.

 

Les USA ont fortement payé le prix du libre-échange d'abord avec l'Europe et le Japon et aujourd'hui avec l'ensemble de l'Asie, particulièrement la Chine. Ils ont le dollar qui jusqu'à aujourd’hui permit aux USA de faire illusion, mais comme je l'ai déjà expliqué cela ne durera pas éternellement. Il en va de même pour nous. La dégradation actuelle du commerce européen et particulièrement allemand montre que même dans les technologies où les Allemands avaient un avantage comparatif très important ils commencent à perdre du terrain. Pour tout dire, même, le très libéral journal Les Échos s'en inquiète dans cet article récent. Mais cela ne peut surprendre que les racistes cette affaire. En effet, il était évident dès le départ que la globalisation entraînerait à terme cette situation. Comme le disait très bien Jean Luc Gréau, le libre-échange a toujours eu un fond intellectuel assez raciste, surtout le libre-échange moderne. Les Occidentaux pensant se spécialiser dans la haute technologie pendant que le reste du monde leur fournirait leur produit de base. Désormais l'Europe qui n'avait que sa technologie et ses savoir-faire pour compenser sa faiblesse en ressource naturelle n'aura même plus ça. Dans ces conditions que deviendra le niveau de vie en Europe ? C'est assez facile à deviner, la grande misère dont la baisse actuelle du niveau de vie n'est qu'une ébauche. On peut donc décrire cette évolution comme un processus de pays en voie de sous-développement. Si nous ne réagissons pas en protégeant nos industries par des politiques protectionnistes, il ne restera aucune activité productive sur le continent dans les décennies qui viennent. À moins que nos élites aient comme projet de transformer l'Europe en continent-musée pour riches étrangers, un peu comme la France actuelle.

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