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4 septembre 2023 1 04 /09 /septembre /2023 16:04

 

 

La nouvelle a fait un peu de bruit, mais voilà qu'on annonce une hausse de 10% sur l'antibiotique le plus utilisé en France, l’amoxicilline. L'annonce n'a pas fait énormément de bruit et pourtant elle est assez symptomatique du problème actuel de notre organisation économique totalement déliquescente. En effet, que constate-t-on dans cette affaire ? La France depuis des années fait face à des pénuries de plus en plus dramatiques sur les médicaments, y compris sur les médicaments de première nécessité comme les antibiotiques. Pendant la crise COVID, les pénuries ont été féroces d'ailleurs. L'origine est connue, la France a totalement délocalisé sa production de médicament dont l'un des principaux fabricants est l'Inde désormais. Une absurdité totale dans un secteur où le coût de la main-d’œuvre est absolument ridicule par rapport au volume de production. L'industrie pharmaceutique n'est pas l'industrie textile ou la sidérurgie, le besoin de main-d’œuvre y est largement inférieur. Mais la rapacité du système capitaliste à courte vue y a vu une opportunité de réduire encore et toujours plus les coûts de production au risque de provoquer des pénuries mondiales de médicaments en cas de problème en Inde.

 

Si l’imbécillité du capitalisme libéral n'est plus à démontrer depuis longtemps, il est important de rappeler que ce système sans une contrainte collective forte se transforme rapidement en machine à détruire non seulement l'économie, mais toute la société. La situation aux USA où l'espérance de vie s'effondre malgré les dépenses médicales les plus fortes du monde nous le montre en pratique. L’appât du gain comme seul moteur ne saurait produire une société fonctionnelle quoiqu'en disent les fous du libéralisme intégral. Or depuis les années 70, nous avons petit à petit affaibli nos états et dérégulé nos économies. En Europe en particulier l'ancienne régulation, qui avait permis un capitalisme relativement civilisé après guerre, a été détruite sous les coups idéologiques des néolibéraux anglo-saxons d'un côté et des ordolibéraux germaniques de l'autre. La France qui est coincée entre sa passion délirante pour le modèle anglo-saxon ultra-individualiste, et de l'autre côté par sa soumission à l'Allemagne depuis Giscard, n'a pas fait de choix. La France a pris les pires des deux mondes. Une dérégulation financière à anglo-saxon et un modèle monétaire psychorigide à l'allemande. Mais tout ceci a déjà été longuement décrit par tout un tas d'auteurs et nous n'allons pas y revenir.

 

Le système capitaliste monopolistique occidental se soviétise

 

Comme nous l'avons vu dans un texte récent consacré à la concurrence, le marché n'est qu'un phénomène transitoire. En réalité, laissez à lui-même, il ne produit naturellement que des cartels et des monopoles par le simple mécanisme de l'économie d'échelle. Plus une entreprise est grosse, plus elle est efficace dans un premier temps, et plus elle peut écraser ses concurrents. Un peu à l'image de l'accrétion des poussières qui ont permis l'apparition des étoiles et des planètes par le simple jeu de la gravité et de l'énergie cinétique, le marché de la même manière fabrique des planètes-entreprises qui concentrent les activités d'un secteur ou de plusieurs par le simple jeu de la concurrence. Et ce phénomène est diablement apprécié par le capital. Car le capital n'aime pas la concurrence. En effet, la concurrence oblige à l'investissement que ce soit dans le développement de l'activité et des machines pour accroître la productivité ou dans le marketing pour accroître les parts de marché. Globalement, le but du capital n'est pas le bien commun, la réponse aux besoins de la population ou le salut de l'humanité. Il n'y a que les libertariens et les libéraux naïfs ou ignorants pour croire ça. Le seul but du capital est de toujours croître ou de ne jamais diminuer suivant les conditions macroéconomiques. Le capital tend donc à pousser les entreprises à la concentration et à l'élimination de la concurrence. À la fin quand il n'y a plus que des cartels et des monopoles, le capital peut tirer un maximum de profits. La dérégulation libérale est donc l'allié objectif des monopoles privés à terme, même si à première vue, elle semble être sa Némésis.

 

Sans tomber dans le marxisme, il est quand même assez facile de comprendre qu'un mécanisme dont le seul but est de croître sans arrêt est soit un problème. Dans un monde rempli de limite, un organisme qui croît sans arrêt devient vite un danger pour tous. La croissance du capital doit donc trouver rapidement des limites. Ces limites bien évidemment étaient produites par l'état et les frontières que les libéraux ont donc fait sauter dans les années 70-80. Nous ne faisons que subir les multiples crises produites par ce système depuis. Les problèmes de pénurie de médicaments sont le symptôme d'un système qui n'est pas organisé pour produire mieux, et moins cher, mais pour produire des plus-values pour les actionnaires. On l'a d'ailleurs bien vu pendant l'épisode du COVID. Ce sont bien les intérêts des entreprises pharmaceutiques qui ont primé sur l'intérêt général. L'état s'étant lui-même dépourvu de moyens scientifiques et techniques, la recherche publique étant de plus en plus désœuvrée et sans ressources. En effet dans le même temps que le libéralisme a promu le marché dérégulé intégral, il a également encouragé le désinvestissement de l'état dans la recherche publique. Le privé étant censé être mieux sur tous les plans. L'état n'avait d'autre choix que de devenir l'otage des multinationales pharmaceutiques qui ont imposé leurs produits et leurs agendas. Nous avons la même chose ici avec la question des antibiotiques. Alors évidemment ces entreprises vous diront qu'elles ont des contraintes de coût, de brevet, etc. Mais n'oubliez pas que l'industrie pharmaceutique est l'une des plus rentables et qu'elles versent bien plus de dividendes aux actionnaires qu'elles n'investissent dans la recherche. Si l'on prend les marges aux USA en moyen tout secteur d'activité confondu aux USA les marges représentent 7,7% des activités économiques, pour l'industrie pharmaceutique c'est 18,3% or pour l'informatique par exemple c'est seulement 16,3%, c'est pourtant déjà un secteur très rentable.

 

On a donc ici surtout un effet d'aubaine produit par l'irresponsabilité de l'état qui a ouvert toutes les frontières et laissé l'industrie pharmaceutique produire ailleurs échappant ainsi à d'éventuelles sanctions. Car aujourd’hui l'état n'a plus d'autre choix que de plier face au chantage à la pénurie. Et l'on comprend donc bien qu'on est passé d'une société « libéral » de marché à un système néo-féodal où des intérêts sont maintenant au-dessus de l'état et de l'intérêt général. La globalisation capitalistique ayant permis au capital d'échapper à toute contrainte collective. Évidemment ce système détruit en fait nos sociétés en les privant petit à petit de tout ce qui est essentiel pour donner toujours plus à la rente financière. Il ne faut pas s'étonner de l'explosion des dividendes à l'échelle mondiale, car il n'y a plus de marché ou de concurrence seulement des cartels et des monopoles qui imposent leur dictat aux peuples et aux nations à part peut-être en Chine. Et la France est très bien placée puisque nous avons fourni en 2021 la plus grosse hausse des dividendes pour les actionnaires en Europe. Notre système pharmaceutique n'est donc plus capable de soigner correctement la population, mais il fait exploser les revenus des actionnaires. Comment ne pas y voir le caractère suicidaire du capitalisme dans ces conditions ? En définitive, le capitalisme finit par produire les mêmes méfaits que le communisme à son stade suprême, des pénuries, mais pour d'autres raisons.

 

Réinsérer les entreprises dans le cadre du bien commun

 

Comment faire pour sortir de ce système néo-féodal qui s'est mis en place avec la globalisation ? La première étape est bien évidemment de sortir du globalisme en remettant des frontières sur les marchandises et les capitaux. Bien sûr il est difficile de le faire d'un seul coup, il faut y aller pas à pas et contraindre les entreprises à relocaliser leurs productions. Mais ce ne sera pas suffisant, hélas. En effet, la nature monopolistique du système économique conduira quand même à des problèmes même si à l'échelle d'un pays ce sera beaucoup plus facile à gérer qu'avec des entreprises d'échelle mondiale. C'est dans ce but qu'on peut voir plusieurs solutions ou une combinaison d'entre elles si possible.

 

1- On peut essayer d'appliquer réellement les thèses ordolibérales en cassant volontairement les monopoles et les cartels et en réduisant simplement ces entreprises. Le problème c'est que l'on perdra dans ce cas l'efficacité collective que la concentration d'activité produit. Cependant dans certains secteurs cela peut tout à fait être imaginé. Il s'agirait donc d'introduire en France des lois antitrust à l'image de ce que Roosevelt avait fait dans les années 30 aux USA.

 

2- On peut nationaliser certains secteurs clefs trop importants pour les laisser au contrôle d'acteurs privés. C'est ce qu'avait fait le CNR en nationalisant les secteurs à caractère monopolistique. Au moins dans ce cas là la population peut contrôler en partie ces entreprises par le biais des élections. Mais il ne faut pas oublier que les activités publiques elles-mêmes peuvent devenir problématiques avec le temps. L'entropie touche aussi les entreprises publiques.

 

3- On peut aussi imaginer un retour de l'état dans la production, chose qui a été abandonné petit à petit depuis Giscard et Mitterrand. Il ne s'agirait pas ici de créer des monopoles publics, mais des entreprises publiques dont le but serait de pourvoir à certains produits de base essentiels. Elles pourraient aussi servir à faire pression sur le marché et les entreprises privées pour limiter leur possibilité de contrôle du marché par une concurrence publique.

 

4- On peut aussi penser à plus long terme et imaginer un système social politique qui ferait rentrer un tas de règles obligeant les entreprises à s'insérer dans le tissu social en les responsabilisant. Un peut à l'image des guildes du moyen-âge qui avaient des droits, mais aussi des contraintes par tout un tas de règles des mesures. Dans ce cadre-là, on pourrait aussi limiter l'espace dans lequel ces entreprises pourraient se déployer en limitant leur espace marchand et en délimitant fortement les activités.

 

Dans tous les cas, il s'agit évidemment de remettre les marchands et les rentiers à leur place. Il ne s'agit pas de dire que le profit est un mal en soi. Mais de bien faire comprendre qu'il ne doit pas être fait à n'importe quel prix, car son coût collectif peut s'avérer dommageable à l'ensemble de la société et être mortel y compris pour les capitalistes eux-mêmes. À force d’abîmer nos sociétés, de les détricoter, les gens ne font plus d'enfant et ne se projettent plus dans l'avenir, ce qui hypothéquera l'avenir du capitalisme lui-même à terme. Pour l'instant, les capitalistes fuient les conséquences de leur égoïsme en partant loin en Asie ou en Afrique, mais tôt ou tard c'est bien la planète entière qui tombera malade de cette vision à court terme. Et à ce moment-là il n'y aura plus d’échappatoire pour le capital, enfin s'il reste encore des êtres humains pour le faire fonctionner.

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