Une fois, n'est pas coutume même lorsqu'il dit quelque chose de vrai, il arrive à glisser une réflexion fausse. Je parle bien évidemment de parler de notre penseur historique, le faiseur de président, et dont l’anagramme de son nom lui fait un point commun avec un glorieux ennemi de l'Empire romain. Je parle bien évidemment de Jacques Attali qui vient de se faire remarquer avec un propos relativement eurocritique même si de sa part il y a bien évidemment une forte dose de cynisme. Attila mit l'Europe à feu et à sang , l'idéologie d'Attali fit de même et il regarde maintenant le continent dépérir grâce en grande partie aux idées qu'il défendait. Il était donc invité sur une émission douteuse de France télévision « C ce soir ». Le voilà disant après moult défense de l'Union européenne pendant des décennies :«Depuis 1958, on a tout fait pour détruire les frontières internes et externes de l'Europe. Et aujourd'hui, l'Europe est une passoire ». Ce serait drôle si ce n'était pas aussi dramatique. Jacques Attali qui a défendu pendant 40 ans le libre-échange, la libre circulation des capitaux et des personnes fait maintenant le même constat que les affreux souverainistes, l'UE est une passoire inutile.
Alors on rappellera tout de même l'historique de l'adhésion d'Attali et de Mitterrand au processus européen. Quand la gauche est mise au pouvoir en 1981, les premiers actes de celles-ci sont plutôt d'essence souverainiste dans le sens où les politiques menées le sont sans vraiment prendre en compte les fameuses contraintes européennes. Pourtant à l'époque, la France faisait déjà partie de la CEE, et du fameux serpent monétaire, qui a précédé la future monnaie unique. Mitterrand va faire une politique de relance qui n'était pas keynésienne dans son esprit, car fortement influencé par l'idéologie marxiste. Cependant, cette relance va vite se heurter aux contraintes libérales que la France s'était infligées depuis les années Giscard. Il faut rappeler qu'avant les années 70 la communauté européenne des six était relativement protectionniste avec des droits de douane moyens de 30%. C'était le fameux tarif extérieur commun qui a fondu depuis. De la même manière depuis la fin des accords de Bretton Woods avec l'abandon par Nixon de la conversion du dollar en or, les USA ont aussi imposé la dérégulation financière, une dérégulation à laquelle la France a souscrit. Ce faisant, les dirigeants socialistes de l'époque savaient pertinemment que leur politique de relance se heurterait aux effets sur les déficits commerciaux. Et cela n'a pas manqué. Dès 1983, les socialistes se retrouvent à devoir faire un choix entre abandonner les lubies libérales et remettre des frontières aux marchandises et aux capitaux, ou laisser exploser le chômage en arrêtant la relance et en comprimant la demande.
Comme vous le savez, c'est ce second choix qui fut fait. Cependant si beaucoup de gens pensent qu'il s'agissait d'une erreur, je pense à titre personnel qu'il s'agissait d'un objectif. Je ne peux pas croire que Mitterrand et son entourage n'avaient pas conscience de ce qu'ils faisaient. Leur politique de relance sans mesures protectionnistes ou contrôle des changes avait justement pour but de décrédibiliser les politiques keynésiennes et de favoriser la construction européenne dès le début. On connaît la peur maladive de Mitterrand pour l'Allemagne, c'était peut-être sa motivation profonde avec l'idée que l'UE empêcherait l'Allemagne de nuire. Ce qui a posteriori s'est révélé complètement faux. Mais l'étrange tournant de la rigueur me semble en réalité avoir été préparé. Et dans ces stratégies faites de coup tordu et de conseil malavisés, on retrouve monsieur Jacques Attali qui fut l'un des proches conseillés de Mitterrand. Sachant qu'en plus il n'est pas étranger au président actuel, et qu'il l'a même en partie fabriqué, vous comprendrez bien qu'on a du mal à acquiescer sans broncher aux propos qu'il vient de tenir.
L'UE est d'essence libérale depuis le début
Dire comme il le fait que l'UE est un échec parce que c'est une passoire que ce soit sur le plan migratoire ou économique, c'est faire semblant d'oublier ce qu'est la construction européenne depuis le départ. Nous n'allons pas revenir à l'histoire obscure de ses fondateurs français. Jean Monnet et Rober Schuman n'étaient pas des patriotes, mais des agents américains détestant l'état et la France. En réalité, ils ont fait l'Europe parce qu'ils ne pouvaient pas faire de la France un état américain sans quoi ils ne se seraient pas enquiquinés avec la construction européenne. Et dès le départ cette construction artificielle est fondée sur l'idée du marché comme seul régulateur de la vie publique. La CECA est fondée sur des principes supranationaux avec l'idée très bête de Montesquieu du doux commerce. Si j'ai beaucoup de respect pour Montesquieu et pour son œuvre, l'idée que le commerce amène la paix est probablement l'une des idées les plus stupides jamais imaginées par un intellectuel. Combien de guerres ont-elles été déclenchées justement parce que les peuples étaient trop interdépendants? La crise actuelle entre les USA et la Chine provient en grande partie du fait que les USA sont trop dépendant de cette dernière, ce qui les met en position de faiblesse. Il en va de même au sein de l'Europe avec une Allemagne qui a utilisé l'UE et l'euro pour abattre l'industrie de ses voisins.
La vision des fondateurs de la future Union européenne n'était pas une vision fédérale au sens de faire une nation européenne. Les gens qui ont fondé l'UE sont des libéraux pur jus, ils ne croyaient pas aux nations et les voyaient comme des structures contraignantes pour les individus. Ce qu'elles sont en partie. Mais pour les libéraux extrémistes, l'idéale c'est l'absence de nation, et de collectif, la disparition du commun. Ainsi libérés de la contrainte étatique, les individus donneraient libre cours à leur créativité. Mue par leurs intérêts égoïstes, ils réaliseraient la mise en pratique de la fameuse fable des abeilles de Mandeville (une autre absurdité intellectuelle libérale). Il est donc ridicule de penser que l'absence de frontières, et le fait que l'UE soit une structure impuissante soient un accident ou une erreur. C'était l'objectif de la construction européenne dès le départ, faire disparaître les nations et les états et ne laisser qu'un bouillon d'individus égocentriques n'agissant que dans leurs intérêts. Avec les mécanismes du marché comme seul régulateur, l'Europe aurait dû connaître 1000 ans de prospérité.
S'il y a échec, ce n'est pas sur la réussite des objectifs européens qu'il est. Il a été au contraire parfaitement réussi, les nations européennes n'existent pratiquement plus, les chefs d'État étant réduits à de simples agents commerciaux amusant la galerie et faisant croire au maintien de la démocratie et à la fable de la prise de décision autonome. L'UE est une pleine réussite sur ce plan, les états sont morts, les différents droits des salariés sont petit à petit détricotés. Et même les systèmes sociaux disparaissent, on le voit aujourd'hui en Grèce où c'est presque le retour du servage qui pointe. Les grands services publics sont privatisés et toutes les nouvelles décisions ou réformes se résument à détruire plus ou moins rapidement les derniers restes de l'état providence. S'il y a échec, c'est sur l'objectif de prospérité. C'est qu'ils y croyaient les libéraux à leur société de marché pure et parfaite. Ils pensaient réellement, et beaucoup le croient encore, que toute la misère du monde venait de la contrainte collective. L'échec de l'URSS les en avait d'ailleurs persuadés.
Le collectivisme ayant échoué lamentablement, son contraire devait forcément mener au paradis. On sent d'ailleurs que le mouvement néolibéral a vraiment accéléré après la chute de l'URSS, en particulier en Europe. Malheureusement pour eux c'était faux. La nature a horreur des extrêmes, et il faut croire que c'est la même chose pour l'économie et la gestion des sociétés. Le néolibéralisme qui se voulait le contraire du communisme échoue de la même manière, mais pour d'autres raisons. Les marchés ne s'autorégulent pas, il n'y a aucune raison pour que la somme des intérêts individuels mène à l'intérêt général. Et si les marchés et l'initiative sont nécessaires, les états régulateurs le sont tout autant, car ils sont les seuls à pouvoir défendre l'intérêt général contre les égoïsmes excessifs. L'échec de la construction européenne n'est donc pas l'échec de ses objectifs, ils ont été atteints. C'est avant tout l'échec de l'idéologie qui s'est servi d'elle pour s'imposer aux Européens. C'est l'échec du néolibéralisme et du tout marché. Las, si l'échec est aujourd’hui patent, reconstruire quelque chose après ça va être très difficile. Pour paraphraser un célèbre adage « Là où Attali a passé, l’économie ne repousse plus. »