Vous l'avez peut-être remarqué, mais en réalité je parle assez peu de notre pays. Cela peut sembler paradoxale pour quelqu'un qui se revendique souverainiste, et je dirai même plus indépendantiste français, étant donné l'état de soumission dans lequel se trouve notre pays. Et pourtant je viens de m’apercevoir que j'ai très peu parlé de la France depuis la reprise du blog il y a un an. C'est que pour tout vous dire la France m'attriste. Et mon esprit semble involontairement s'embrumer dès qu'il faut en parler. Mon pessimisme revient et la réalité du pays me saute des yeux sans qu'il ne voie une quelconque possibilité de redressement. Je le sais pourtant, le désespoir est aussi irrationnel que l'est l'optimisme béat, dans les deux cas il s'agit de prétendre tout connaître de la réalité du monde, et d'ignorer sa féconde capacité à produire de l'imprévisible. Mais il faut bien le dire, de l'espoir pour la France je n'en ai plus. La seule chose qui me motive encore pour en parler c'est ma raison qui me convainc en permanence de mes propres limites. Ainsi donc, je parlerais encore de ce pauvre pays en perdition en espérant que mon désespoir ne soit qu'une illusion temporaire.
Alors, pourquoi parler aujourd'hui de la France? Tout simplement parce que Jacques Sapir vient de le faire assez brillamment comme d’habitude dans une discussion avec Georges Kuzmanovic sur la chaîne YouTube de son parti souverainiste de gauche, République Souveraine. Je vous invite évidemment à regarder cette discussion qui était très intéressante et qui était centrée sur les perspectives à long terme par rapport à la montée en puissance des BRICS et du déclin inéluctable de l'occident. Jacques Sapir est comme toujours très rigoureux sur ses sujets de prédilection et parfois trop timoré à mes yeux sur les solutions. Je préfère clairement le radicalisme d'un Emmanuel Todd, un radicalisme capable à mes yeux de véritablement redresser la situation dramatique du pays. Car la France a besoin d'une rupture franche, le bain glacé de mollesse politique qui nous dirige depuis tant d'années nous conduisant tout droit à l'impasse. Et les ennemis de la France, qui sont en grande partie intérieurs, ne s’embarrassent pas eux, de propos ou d'analyses modérées. Ils veulent véritablement dissoudre le pays et ne s'en cachent même plus à commencer par le baratineur qui nous sert de président. Le vote sur la question de la suppression du droit de veto pour l'UE, ainsi que la volonté d'affaiblissement supplémentaire des derniers pouvoirs dont disposent les états membres montre encore une fois la grande taille du camp de la trahison nationale.
L'extrême gauche de Mélenchon, comme à son habitude, a trahi ses électeurs en votant massivement pour ce texte. On voit qu'en réalité si les hommes politiques font semblant de s'opposer LFI, EELV, les républicains ou Renaissance c'est exactement le même camp en réalité. Celui de l'antifrance pour le plus grand intérêt de leur classe sociale. Ils occupent différents segments marketing du marché électoral pour obstruer toute possibilité d'une naissance d'alternative. Il faut bien le dire, la bourgeoisie est extrêmement forte collectivement pour imposer sans le faire voir ses intérêts. Le problème c'est que bien évidemment ce monopole sur la politique française conduit inéluctablement le pays à l'effondrement à long terme.
Les deux voies pour la France :
1- Le destin creusois de la France européiste :
Jacques Sapir dans sa discussion a en quelque sorte résumé le destin français à deux options. Je suis assez d'accord avec son propos sur l'ensemble, même si comme je l'ai dit j'ai trouvé certaines de ses propositions trop timorées. Disons-le au préalable, les deux hypothèses de Sapir partent du fait que nos élites acceptent ou non le déclassement de l'occident et en tirent ou non les conséquences. La première hypothèse est la continuation de la France dans la direction actuelle. C'est-à-dire la continuation de l'enfermement dans le camp occidental et dans la construction européenne qui va avec. Pour Sapir la France est pourtant l'un des rares pays à pouvoir construire un pont avec ce qu'il appelle le sud global. Je préfère parler du monde et de l'Empire américain à titre personnel. L'idée de sud global est à mon sens trop réducteur. Aujourd'hui, il y a l'Empire américain et ses vassaux contre le reste du monde qui s'est débarrassé de sa tutelle. Parler d'occident quand il n'y a qu'un seul pays qui dirige ce n'est pas une description correcte. D'autant que comme je l'ai déjà dit dans d'autres textes l'Amérique du Sud par exemple est culturellement occidentale, alors que le Japon pas du tout. Et parler d'occident pour décrire l'empire américain revient un peu à surestimer le poids de l'Europe et à sous-estimer gravement le rôle des USA dans tout ça.
Quoiqu'il en soit dans cette première hypothèse, celle d'une France qui reste coincée dans l'Empire et son comité de gestion locale l'UE, la France continuera de décliner de plus en plus fortement. Je suis entièrement d'accord avec cela bien évidemment. Le simple fait de continuer la construction européenne et l'euro condamner la France au déclin de toute manière. Comme je l'ai expliqué dans mon texte sur la géographie et l'euro, notre pas n'a pas d'avantage comparatif lui permettant de briller au sein de la construction européenne. On peut dès lors imaginer un scénario pour la France qui soit similaire à celui des régions du centre de la France. Si l'UE se maintient assez longtemps ainsi que l'euro, on devrait assister à l'effondrement pur et simple du pays. Dès que l'endettement ne sera plus possible et que des mesures similaires à celles qui ont été prises en Grèce seront appliquées à la France, on pourrait assister à un effondrement non seulement économique, mais aussi démographique. Les jeunes déjà en voient d’extinction faute de naissances suffisantes, allant nourrir les usines allemandes en manque de main-d’œuvre. En quelques générations, le pays pourrait dans ces conditions trouver un nouvel équilibre en se dépeuplant à la manière d'un Portugal, les jeunes allant ailleurs pour avoir un avenir. Le rêve des élites françaises d'une France devenant un hôtel pour riches Américains ou Allemands pourrait alors advenir dans une France qui n'aurait plus qu'une vingtaine de millions d'habitants. Triste destin pour un pays qui fut glorieux.
Je grossis le trait à peine honnêtement. La France ne serait d'ailleurs pas la première nation à décliner de la sorte. Fut un temps où la Grèce ou le Portugal étaient de grandes puissances, et pourtant regardez-les aujourd'hui . Mais le déclin ne concernerait pas que la France. En continuant sa soumission à l'Empire américain, c'est toute l'Europe qui suivra la France par la suite. À dire vrai étant donné que le PIB de l'UE stagne depuis 20 ans et l'avènement de l'euro, il n'est guère difficile de deviner ce que pèsera cette région du monde dans 20 ou 30 ans. On peut même se demander si de simples pays comme le Vietnam à eux seuls ne pèseront pas plus que l'UE néolibérale dans à peine une génération. Être le seul à stagner, quand tout le monde croît, c'est finir dernier à la fin. On le sait très bien, nous français qui avons stagné démographiquement depuis deux cents ans. Il est malheureusement assez probable que cette hypothèse soit celle qui adviendra. Mais nous devons quand même imaginer un autre chemin, même si je n'y crois guère.
2- Le redressement national sans « l'Europe »
La seconde hypothèse de Jacques Sapir est celle d'un retour à l'action nationale. Sapir parle essentiellement de politique économique et de la nécessité du retour à un véritable commissariat au plan et à la planification. On ne peut être que d'accord avec ça. Il faut véritablement rompre avec l'idée que le marché tout seul permettra une politique efficiente. Bien évidemment cette réindustrialisation ne sera possible qu'avec une rupture avec l'euro actuel. Et c'est là que je divergerais avec Sapir. En effet, ce dernier parle de transformer l'UE et de la faire redevenir une simple structure économique visant à organiser les relations entre les nations européennes. Ce qu'elle fut en partie à l'époque de la CEE. C'est l'hypothèse d'un retour en arrière. Convenant que le saut fédéral est impossible même si les européistes délirants essaient tant bien que mal d'y parvenir, soutenu par l'Allemagne qui aimerait bien reconstruire son Reich. L'Europe actuelle est un système hybride qui n'a ni les avantages d'un état nation ni la force du nombre que théoriquement sa taille devrait lui donner. En réalité, c'est une structure dont le poids devient un inconvénient plus qu'autre chose. L'idée de Sapir est donc de revenir à une structure plus légère où l'UE ne pourrait plus agir que dans les domaines où l'action collective à l'échelle de l'UE est plus efficace, et laisserait les autres tâches aux états membres.
L'idée théorique peut être séduisante, mais cela revient à penser que l'on peut refaire le même vase en terre cuite une fois cassé en recollant les morceaux. Les bureaucrates européens et leur structure administrative sont à mon sens irrécupérables. Ils ne renonceront jamais à leur fantasme de fédération européenne et ils iront jusqu'au bout pour détricoter les nations membres. Il n'y a donc pas d'autre solution que la dissolution de l'UE et la sortie de l'euro purement et simplement. On pourra imaginer ensuite d'autres moyens de coordination, mais penser que l'on puisse changer ce mammouth administratif, relève de la croyance au père Noël à mes yeux. Et c'est une perte de temps inutile. Temps que nous devrions mieux mettre à profit en reconstruisant le pays après le saccage néolibéral de ces quarante dernières années. La France n'a de toute manière aucune raison de se contenter de travailler avec des pays européens. Nous avons par exemple des territoires en Amérique du Sud et une grande frontière avec le Brésil. Un pays de 215 millions d'habitants qui pourrait être un bon partenaire à long terme avec une croissance de près de 5% cette année.
Pour ce qui est de la stratégie géopolitique, je ne suis par contre guère gaulliste. Si nous parvenions à retrouver notre indépendance nationale, je pense que nous gagnerions à ne plus jouer les gros acteurs internationaux. Nous n'en avons plus les moyens et les élites françaises, par leur incompétence notoire depuis deux générations, ont prouvé qu'elles étaient plus une nuisance qu'autre chose en la matière. Plutôt que jouer les ponts entre les peuples du monde, je pencherai bien plus pour une neutralité du pays à la Suisse. Pour le siège à l'ONU, je pencherai pour offrir notre siège à une véritable grande puissance, l'Inde ou le Brésil serait plus convenable qu'un modeste pays comme le nôtre. Les temps ont changé et la France n'est plus qu'un petit pays d'un continent en déclin. Cela doit être accepté comme le dit d'ailleurs Sapir sans pour autant en conclure la même chose sur le plan diplomatique. En tout cas même si nous arrivons à redresser le pays en rompant avec l'européisme et l'occidentalocentrisme, il faudra tout de même accepter la réalité d'un monde dont le centre a pivoté vers le pacifique et l'Asie. Ce n'est qu'en acceptant cette réalité que nous pourrons nous y insérer convenablement.