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17 novembre 2023 5 17 /11 /novembre /2023 15:53

 

S'il y a un totem contre lequel il est bien difficile de lutter, c'est bien celui de la démocratie. Érigée depuis la Révolution française comme ultime régime politique indépassable, la démocratie a accompagné la modernité comme un compagnon fidèle. Il y a bien évidemment eu beaucoup de critiques sur la façon dont le pouvoir devait être partagé. Beaucoup de question sur la façon dont ces démocraties devaient fonctionner. Mais jamais depuis le 18e siècle la question démocratique n'a été réellement remise en question. Les sociétés organisées autour des familles souches chères à Emmanuel Todd ont tenté de créer leur propre modernité sans démocratie au 20e siècle, mais elles ont perdu face au rouleau compresseur occidental. L'URSS, à son tour,a tenu tête elle aussi à la démocratie occidentale sans succès. Mais en ce premier quart du 21e siècle, force est de constater que la machinerie occidentale se grippe. Le rejet du modèle occidental est de plus en plus palpable, que ce soit sur le plan politique ou économique, c'est de moins en moins la référence. C'est que le régime démocratique, tout du moins ce qui est présenté depuis deux siècles comme un régime démocratique, a accompagné aussi la montée en puissance des nations occidentales. Ce qui a attiré avant tout le monde extérieur ce n'est pas tant la démocratie que la réussite économique qui semblait aller avec. Et surtout la puissance que la modernité technicienne pouvait produire, une puissance technicienne qui semblait liée à la démocratie libérale.

 

De la même manière que l'Europe s'est mise à l'industrialisation pour ne pas être soumise au joug britannique, le reste du monde s'est modernisé en grande partie pour échapper à la domination occidentale. Ajoutons à cela qu'il s'agit aussi de l'effet direct de la montée du niveau éducatif général. Quoiqu'il en soit pendant longtemps démocratie et développement semblaient en apparence aller de pair. C'était en réalité une illusion puisque comme vous le savez des pays comme l'Allemagne ou l'Italie se sont développés avant de devenir des démocraties, et que dire du Japon de l'ère meiji qui n'était pas vraiment un exemple de démocratie en marche. Cette illusion qui associe démocratie et développement économique a tout de même fonctionné un moment y compris dans les plus hautes instances occidentales notamment françaises. La France a fait longtemps de la mise en place de la démocratie un préalable au développement en Afrique par exemple. Or il s'agissait là clairement d'une vision erronée. Avant la démocratie, il faut surtout un état stable et une démographie raisonnable pour espérer avoir un véritable développement. Bon nombre de pays d'Amérique du Sud sont démocratiques sans être vraiment sorti de la pauvreté pour donner un exemple.

 

Après 40 ans de globalisation néolibérale, l'occident a la gueule de bois. Il commence en partie à comprendre que ce n'était peut-être pas une bonne idée de détruire son appareil productif et d'installer toutes ses usines en Chine, mais le mal est fait. Désormais, l'occident « démocratique » n'est plus le seul modèle de prospérité. La Chine a réussi à faire ce que ni l'URSS ni l'Allemagne en leur temps n'avaient réussi à faire, c'est-à-dire construire une société prospère industrielle et moderne sans adhérer au régime économique et politique occidental. Pour l'instant, le système occidental n'a pas les moyens de faire tomber la Chine comme il avait pu faire tomber l'URSS. Au contraire dans le jeu d'interdépendance qu'il a créée avec la globalisation c'est bien plus l'occident et l'empire américain qui risquent de tomber. Je ne rappellerai pas ici la problématique du dollar qu'on a abordé de nombreuses fois. Même si les USA cherchent le conflit avec Pékin, ou au moins essaient de leur nuire le plus possible pour ralentir leur propre déclin, ce pays est maintenant trop puissant pour que ce type de méthode fonctionne. Le monde a donc maintenant sous les yeux deux modèles de développement. D'un côté un occident désindustrialisé aux mœurs de plus en plus étranges, et aux inégalités explosives. En dehors de la France, les inégalités en occident atteignent des sommets. Et la crise des opiacés aux USA a montré que ce pays n'avait vraiment aucun esprit de solidarité avec sa population la plus pauvre. Pour le reste du monde, la démocratie occidentale c'est de plus en plus la violence sociale, le faible niveau d'instruction, le mariage gay, et de plus en plus la pauvreté et la faiblesse. À l'inverse la Chine affiche des valeurs plus traditionnelles et une véritable prospérité depuis des décennies. Si l'on ajoute à ça le fait que comme l'a très bien vu Todd la grande majorité de la population d’Eurasie a des structures familiales complexes plus proches de celle de la Chine et de la Russie que de celles de l'occident, on comprend vite que le reste de la planète va plus s'intéresser au modèle chinois qu'au modèle occidental à l'avenir.

 

Vieille carte des systèmes familliaux dans le monde d'Emmanuel Todd

 

L'occident des ploutocraties électives

 

Comme on le voit à l'avenir, la démocratie occidentale va fortement reculer. Elle n'a plus d’attrait parce que l'élément qui permettait de la vendre, celui de la prospérité et de la prétendue supériorité de ce système n'existent tout simplement plus. Maintenant si personnellement je n'ai jamais cru à la supériorité des systèmes démocratiques sur la question du développement économique cela ne veut pas pour autant dire que ce système n'est pas désirable pour d'autres raisons. Il correspond après tout assez bien à la mentalité des pays d'Europe de l'Ouest et du monde anglo-saxon par son côté libéral sur le plan des mœurs et de la politique. Mais il faut bien comprendre que ce que nous préférons n'est pas forcément ce que d'autres cultures ou d'autres sociétés préfèrent. Nous devons réapprendre et accepter la différence entre les nations et les peuples. Un régime politique qui fonctionne en France n'est pas forcément adapté à d'autres régions du monde et à d'autres mentalités et histoires. SI les Anglo-saxons acceptent généralement bien ce différentialisme, les Français et leur égalitarisme se crispent généralement beaucoup trop sur ça. Il n'y a pas de régime politique qui soit universel contrairement à ce que pouvaient penser les révolutionnaires français de la grande époque. Contrairement aux prédictions de Francis Fukushima, nous n'allons pas vers un monde entier modelé sur le modèle « démocratique » occidental. Au contraire, on peut penser que ce modèle restera minoritaire s'il ne disparaît pas d'ailleurs progressivement de ses terres d'origine.

 

Car après la perte d'influence du modèle démocratique occidental, il faut aussi se demander si ce modèle est bien ce qu'il paraît être, ou ce qu'il prétend être depuis longtemps. Comme je l'ai souvent souligné, je ne suis pas certain que l'on puisse décrire les régimes politiques occidentaux comme démocratiques. En tout cas dans les grands pays occidentaux ce n'est pas vraiment le caractère démocratique de ces régimes qui ressort, surtout pas les temps qui courent. Partout, les dirigeants sont conspués, et détestés. Les intérêts de la masse des populations de nos pays ne sont guère défendus. On retrouve un peu partout en occident des régimes politiques qui défendent essentiellement les intérêts de classe d'une petite partie de leur population de manière plus ou moins affirmée. Et quand des régimes politiques se transforment en régime défendant uniquement les intérêts des 10 ou 15 % d'en haut peut-on encore parler de démocratie ? Je ne vais pas faire ici une défense totale des thèses fameuses d'Henri Guillemin dont les vieilles émissions ont connu une nouvelle jeunesse avec YouTube. Guillemin produisant quelques cours d'histoire à la télévision donnant une image beaucoup moins glorieuse à la Révolution française et au régime "démocratique" républicain. Mais il est clair que nos régimes politiques ne sont plus vraiment démocratiques, s'ils ne l'ont jamais été un jour. S'ils l'étaient réellement, ils défendraient les intérêts de la masse de la population, ce qui n'est absolument pas le cas. Et les quelques politiques qui essaient de défendre ces intérêts sont même systématiquement réduits aux quolibets et à la formule de « populiste ». Comme si la véritable démocratie n'était pas par nature populiste. Rappelons que l'une des mesures de Roosevelt dans les années trente fut de monter le taux d'imposition sur le revenu pour les riches à près de 90%. Ce populisme permit justement de sauver les USA en les sortant petit à petit de la crise de surproduction. Mais point de Roosevelt à l'horizon dans l'occident actuel.

 

En France la démocratie a été réduite à la plus simple expression. Les gens votent régulièrement pour de petits dictateurs défendant globalement les intérêts de ceux qui financent leurs campagnes. Le cas Macron est quand même assez emblématique de cette évolution, il est bien difficile de voir chez lui le commencement d'une politique de défense des intérêts du peuple français. Dans son cas l'oligarchie a ouvertement pris le pouvoir, il faut être aveugle pour ne pas le voir. Et le référendum qui était le seul véritable mécanisme démocratique dans notre régime politique actuel n'est plus pratiqué depuis 2005. L'année où le peuple français a dit non à l'UE technocratique si chère à nos soi-disant démocrates. Dès lors, on peut dire que si un jour la France a peut-être été un peu démocratique, elle ne l'est clairement plus du tout aujourd'hui. La même remarque peut se faire aux USA et dans le reste de l'occident. À mes yeux nous devrions donc nous définir autrement. Le terme "ploutocratie élective" me semble être beaucoup mieux approprié à la description de nos régimes politiques. Les gens votent effectivement, mais le vote n'est pas la démocratie. Surtout quand le vote se résume à choisir entre des gens présélectionnés par des médias eux-mêmes aux mains de quelques puissances d'argent. On vote donc pour un représentant de l'oligarchie et des multinationales. Un ploutocrate donc. Autrefois, le régime ploutocratique français s'assumait beaucoup mieux. Après tout, le suffrage censitaire fut pratiqué longtemps par la République française. Mais contrainte au suffrage universel, la bourgeoisie s'est adaptée par le contrôle de l'information. Et nous avons su créer une ploutocratie quasiment parfaite. Un régime politique où les gens pensent être en démocratie et libres de leurs choix alors que tout est fait pour qu'ils n'en aient réellement aucun. Mais cela aussi commence à se voir y compris à l'étranger.

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commentaires

P
petite note: FUKUYAMA, le Francis. Sinon merci pour vos écrits, c'est très intéressant.
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