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15 décembre 2023 5 15 /12 /décembre /2023 15:39

 

La situation économique russe

 

Comme vous le savez déjà l'occident a très largement sous-estimé l'économie de la Russie. Il s'agit très probablement des effets d'une mécanisation excessive de l'esprit économique qui réduit de plus en plus la réalité d'une nation à deux ou trois paramètres au maximum. Le taux de chômage, le PIB et l'inflation en grande partie. Or l'économie est quelque chose de complexe et comme on l'a vu en comparant les USA et la Chine dans ce texte, le PIB exprimé en dollar est un très mauvais indicateur de la réalité d'une économie. Après guerre on comparait surtout les pays en parlant de production réelle, c'était infiniment plus précis, et cela n'avait pas l'inconvénient de varier en fonction des taux de change. Quoiqu'il en soit, cette sous-estimation a été fatale à la stratégie américaine qui pensait que les simples mesures de rétorsion économiques permettraient de mettre la Russie à genou. Loin d'y être arrivés, les USA et l'UE ont poussé la Russie à se réadapter et à faire les mêmes des politiques contraires à l'idéologie économique dominante au Kremlin.

 

En effet même si Poutine a l'image d'un immonde dictateur anti-occidental et antilibéral, rien n'est plus faux en réalité. Sur le plan économique en tout cas, Poutine est en réalité plutôt libérale et loin d'être un interventionniste. Il n'est pas keynésien et encore moins communiste. Et la banque centrale de Russie pratique plutôt des politiques de rigueur très germanique sur le plan monétaire. La Russie est d'ailleurs encore aujourd'hui un pays très inégalitaire sur le plan économique, bien plus que la moyenne européenne. Mais comme je l'ai déjà dit, nécessité fait loi. C'est vrai en politique comme en économie. Et les mesures anti-russes de l'occident ont poussé ce pays à revoir sa copie sur le plan économique. Les premiers changements ont eu lieu lors des premières mesures de rétorsion suite à l'annexion de la Crimée en 2014. Les pays européens ont cessé d'exporter leurs fruits et légumes en Russie par exemple. La réponse russe fut rapide avec une mise en production locale pour pallier au manque des importations. Et bien les mesures encore plus draconiennes prises lors de ce second conflit avec l'Ukraine ont eu exactement le même effet. Si la Russie a fait un changement de fournisseur en préférant l'Asie à l'Europe, et surtout la Chine. Elle a aussi fait un immense effort de substitution par des productions nationales.

 

Données provenant de Jacques Sapir

Un peu comme lors des conflits franco-anglais de la période napoléonienne où les embargos avaient surtout poussé la France a favorisé une production locale, c'est à cette occasion que le sucre de betterave a remplacé le sucre de canne. La Russie a bénéficié d'une politique protectionniste à son insu en quelque sorte. Et comme c'était prévisible, la croissance est beaucoup plus forte lorsque la production est relocalisée que lorsque l'on favorise surtout les importations. La croissance russe cette année atteint près de 5.5% en rythme annuel, très loin au-dessus de l'UE ou des USA. Alors il est pour l'instant trop tôt pour voir si cette orientation durera après la guerre ou si la Russie va réinventer l'économie monétaire de production qui a été abandonnée en Europe dans les années 70. Mais les effets économiques sont là. La croissance du pays est maintenant très forte nettement plus que celles des pays qui lui ont imposé ces sanctions étrangement. C'est en tout cas ce que nous apprend Jacques Sapir sur cet excellent fil de commentaires sur twitter. Si l'accroissement des dépenses militaires a eu un effet keynésien en tirant l'investissement et les dépenses de consommation vers le haut c'est aussi en grande partie l'investissement industriel, pour combler le manque de produits à l'importation, qui a conduit à cette plus forte croissance.

 

L'anomalie de l'excédent commercial Russe

 

La Russie va-t-elle devenir un modèle pour les Européens ?

 

Avec ces multiples mesures de contraintes économiques externes, la Russie s'est donc retrouvée à devoir produire en partie elle-même ce qu'elle consomme. Et comme je l'ai dit, ce n'était pas vraiment un choix des élites plutôt libérales sur le plan économique. Et en régime libéral un pays comme la Russie doit se spécialiser dans l'économie mondiale comme fournisseur de matière première. En effet, le pays est faiblement peuplé pour sa taille et possède d'immenses ressources qui lui permettent de tout acheter ou presque sans rien produire lui-même en théorie. C'est d'ailleurs en général le gros problème des pays producteurs de matière première en grande quantité. Pourquoi produire quand il suffit de vendre ses matières premières pour acheter les produits finis ? On pense tout de suite à des pays comme l'Arabie Saoudite, mais des pays comme l'Australie ou le Canada ne sont pas en reste. La Russie fait bien partie de ces pays aux ressources immenses et sa spécialisation naturelle dans un marché libéral est donc celle de producteur de ressources. Cependant, il est aussi évident qu'il est impossible d'avoir une nation puissante si vous ne faites que du commerce de vos matières premières. À la fin vous êtes quand même dépendant des puissances étrangères. Or si certains pays depuis longtemps se contentent d'être des nations de seconde zone et non des acteurs indépendants à l'image du Canada qui suit les USA. La Russie a montré qu'elle avait d'autres ambitions. Surtout depuis qu'elle a retrouvé des couleurs sur le plan économique après le désastre des années 90.

 

C'est cette volonté de puissance et surtout d'indépendance qui a poussé les USA à utiliser l'Ukraine pour faire plier ce pays. Et les mesures coercitives poussent maintenant la Russie à devoir reconstruire un véritable appareil industriel pour ne plus dépendre que de ses matières premières. Si la Russie a commencé à ne plus vouloir trop dépendre de l'Europe et de l'occident dès 2008-2010 suite à la crise financière, c'est véritablement le conflit en Ukraine qui a donné un coup d'accélérateur comme on peut le voir sur le graphique concernant la réorientation du commerce extérieur russe. (Le graphique provient de cette lettre du CPEII concernant la Russie) La Chine et l'Asie deviennent les principaux clients et fournisseurs de l'économie russe. C'est un double avantage pour la Russie, d'une part elle est beaucoup moins susceptible de souffrir en cas de nouvelles sanctions occidentales. Et l'histoire récente montre que les orientations russophobes de l’occident sous influence américaine ne sont pas près de changer même si la lutte contre la Russie commence à faire grincer des dents chez les satellites européens. Le second avantage est d'arrimer la Russe au nouveau centre du monde qu'est l'Asie. En effet si l'Asie est déjà le cœur de l'économie mondiale, cette situation ne va faire que s'accélérer avec l'entrée de l'Asie du Sud, de l'Indonésie ou encore de l'Inde dans un processus de développement économique.

 

 

Alors la Russie pourrait-elle devenir le pays du retour de la régulation économique et un nouveau modèle ? La tendance à un dynamisme de production nationale est récente et elle est le produit de choix imposés de l'extérieur. Rien ne dit que ces orientations persisteront après la guerre en Ukraine. La Russie comme tous les autres pays a des luttes sociales internes et les intérêts des bourgeois russes comme celui des Occidentaux n'est pas forcément dans une limitation des importations pour favoriser les productions locales forcément plus chères. Pour l'instant le sursaut patriotique semble plus fort que les intérêts de classe, mais cela pourrait ne pas durer. Ensuite même si la Russie commence à plus produire, ce pays reste encore très dépendant des matières premières, c'est encore la moitié de ses exportations par exemple. Cependant il est effectivement possible que constatant une meilleure efficacité économique produite par un régime relativement protectionniste, les Russes décident de persister dans cette direction. On peut donc faire assez raisonnablement l'hypothèse d'une Russie abandonnant le libéralisme économique pour essayer la voie keynésienne d'une économie monétaire de production. Rappelons d'ailleurs qu'il s'agissait en grande partie du fonctionnement des économies occidentales d'après-guerre, et cela jusqu'aux années 70. On peut d'ailleurs décrire le changement économique d’après guerre par rapport à la période libérale qui l'avait précédé d'un des effets secondaires de la Seconde Guerre mondiale. Lorsque les générations qui ont vécu la guerre ont vu l'importance de la planification collective et de l'interventionnisme étatique dans l'économie nationale. À l'inverse ce sont les années de paix qui ont ramené l'idéologie libérale au pouvoir, de là à dire qu'elle ramène la guerre par son inefficacité.

 

Cette orientation économique pourrait d'ailleurs trouver une autre justification de la pression de l'empire américain. En effet si pour l'instant la Chine est un allié de circonstance, ce pays pourrait devenir problématique pour la Russie dans les années qui viennent. Devenir trop dépendant économiquement de la Chine pourrait à terme devenir tout aussi problématique que de trop dépendre de l'Europe et de leur suzerain américain. On le voit en raisonnant ici rapidement, la Russie se retrouve en fait dans une situation géopolitique qui risque de la contraindre à avoir un politique plus souverain en matière économique, et donc ne dépendant pas entièrement de ses matières premières. En clair, la Russie va peut-être être obligée de faire du Gaullisme au moins sur le plan économique. Et je pense qu'il s'agit là d'une très bonne chose pour le peuple russe et peut-être d'un espoir pour les pauvres européens englués dans un libéralisme autodestructeur depuis trop longtemps. Si les Européens ont sous le nez l'exemple d'un pays qui régule son commerce extérieur et connaît des taux de croissance largement supérieurs, ils finiront peut-être par se poser des questions sur leur propre modèle économique eurolibéral. Et d’ailleurs la simple peur de la Russie pourrait pousser les élites européennes à revoir leur copie et à abandonner leur modèle économique autodestructeur. Un peu comme la peur de l'URSS a poussé le patronat européen à être un peu moins égocentrique et idiot pendant la période d'après-guerre pour ne pas nourrir le communisme. Mais il ne s'agit évidemment là que d'hypothèses. Et même si la Russie a un modèle économique plus dynamique, il aura du mal à le rester avec le vieillissement de la population. Car comme on l'a vu dans la première partie, la natalité russe n'est pas bonne tout comme celle de l'Europe en général. Et c'est peut-être là qu'on verra si la Russie peut devenir un modèle ou pas. Si les Russes arrivent dans les dix ans qui viennent à redresser la situation sur ce plan et à revenir à deux enfants par femme on pourra peut-être alors parler d'un nouveau modèle économique et politique viable pour l'Europe.

 

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